Bien qu’ils soient conscients de l’importance de se démarquer pour assurer la performance et la longévité de leur organisation, de nombreux dirigeants saisissent mal la notion d’avantage concurrentiel. Qui plus est, peu d’organisations savent comment s’y prendre pour développer et tirer profit de ce type d’avantages1.

La notion d’avantage concurrentiel est simple : si une organisation est en mesure de fournir un produit ou un service à un coût inférieur à celui de ses concurrents ou d’offrir une valeur perçue supérieure à ce que ces derniers peuvent proposer, elle possède face à eux un ou plusieurs avantages concurrentiels. La difficulté de bien identifier un avantage concurrentiel repose sur le fait que les coûts varient d’un produit ou d’une application à l’autre et que les clients diffèrent les uns des autres par l’endroit où ils se trouvent, leurs connaissances, leurs préférences ou autres caractéristiques.

Quels sont les types d’avantages concurrentiels?

Quatre types d’avantages permettent à une organisation de se démarquer de ses concurrents. Les trois premiers, qui sont liés à l’offre, à la demande et aux économies d’échelle, sont dits «structurels», puisqu’ils représentent des barrières durables, voire même immuables, contre les rivaux et les «nouveaux entrants», c’est-à-dire les nouvelles entreprises qui pourraient potentiellement entrer sur le marché et nuire à la performance de l’organisation. Le quatrième type d’avantage est lié à l’efficience opérationnelle.

La portée des trois avantages structurels est limitée, puisqu’ils sont sujets à des circonstances essentiellement «locales». Autrement dit, ils se limitent généralement à une seule industrie ou à une seule région géographique. À titre d’exemple, bien que l’avantage concurrentiel de l’économie d’échelle dont a profité Microsoft dans l’industrie des systèmes d’exploitation au cours des 40 dernières années lui ait permis de maintenir une part de marché de plus de 80 %, cet avantage n’a pas mené l’éditeur de logiciels à développer un avantage similaire dans l’industrie des progiciels de gestion, un secteur régi par des forces concurrentielles bien différentes.

Les avantages liés à l’offre

Ce sont les avantages dont dispose une organisation grâce à un accès favorable à des intrants clés, au développement de technologies propriétaires ou à la création d’expériences exclusives. Ces avantages permettent à l’organisation de générer des rendements intéressants que ses rivaux et les entrants potentiels sont incapables d’atteindre à cause de leur structure de coûts plus élevés. À titre d’exemples, Xerox dans l’industrie des photocopieurs, Kodak et Polaroid dans le marché des appareils photo et de nombreuses entreprises pharmaceutiques ont profité de ce type d’avantage durant la durée de vie de leurs brevets.

Les avantages liés à la demande

Ces avantages reposent sur l’accès à des clients que les concurrents sont incapables d’atteindre. Cela exige que la clientèle soit, dans une certaine mesure, captive de l’organisation, généralement en raison de coûts de transfert importants (de l’anglais switching costs) devant être assumés par le client pour changer de fournisseur, de coûts de recherche élevés, d’habitudes bien ancrées, du fait qu’un produit en particulier soit déjà très populaire auprès des consommateurs ou d’effet de réseau (de l’anglais network effect), un phénomène qui se produit quand la valeur d’un bien ou d’un service augmente en fonction du nombre d’utilisateurs. Les coûts de transfert élevés associés à un changement de système d’exploitation confèrent par exemple à Microsoft un avantage important qui lui a valu une rentabilité et une profitabilité remarquables durant des décennies. Les coûts de recherche élevés pour trouver d’autres solutions offrent, quant à eux, un important avantage aux compagnies d’assurances. Enfin, les habitudes des amateurs de boissons gazeuses sont une des principales raisons qui expliquent la domination de Coca-Cola dans ce marché.

Les avantages liés aux économies d’échelle

Les avantages de ce type ne dépendent pas de la taille absolue de l’organisation dominante, mais plutôt de la différence de taille entre cette dernière et celle de ses concurrents en ce qui a trait aux parts de marché. Si les coûts moyens par unité peuvent diminuer au fur et à mesure qu’une organisation augmente sa productivité, les concurrents plus petits n’arrivent généralement pas à atteindre la même échelle de fonctionnement, et ce, même s’ils ont accès à la même technologie et aux mêmes ressources. Ces économies d’échelle reposent sur une structure de coûts qui combine généralement un niveau élevé de coûts fixes et un niveau constant de coûts variables marginaux. Le magasin de meubles Nebraska Furniture Mart de Berkshire Hathaway, aux États-Unis, est un bon exemple des économies d’échelle et de l’aspect «local» lié à cet avantage concurrentiel. Créée dans un marché qui ne comptait alors que 50 000 habitants, cette entreprise a su développer au fil du temps un monopole naturel qui perdure depuis et qui fait en sorte qu’elle est aujourd’hui le plus grand magasin de son genre en Amérique du Nord.

L’efficience opérationnelle

Ce quatrième et dernier type d’avantage concurrentiel, qui s’ajoute aux trois avantages structurels, repose sur la capacité de l’organisation à utiliser ses ressources (ressources humaines, temps, équipements et argent) de façon optimale pour exercer ses activités. L’efficience opérationnelle exige que l’on contrôle les coûts de l’ensemble des activités de la chaîne de valeur et que l’argent dépensé génère un rendement.

Bien que cet avantage puisse s’appliquer à plusieurs industries, il est d’une durée plus limitée que les trois avantages structurels. Toutefois, malgré ses effets plus restreints, l’efficience opérationnelle est cruciale, puisque très peu d’organisations sont en mesure de développer de réels avantages structurels liés à l’offre, à la demande et aux économies d’échelle. En contrôlant leurs dépenses et en augmentant leur productivité, de nombreuses entreprises oeuvrant dans diverses industries comme Toyota, Wells Fargo, Walgreens et les compagnies régionales de téléphone américaines fondées lors du démantèlement de AT&T en 1984 ont été en mesure de générer, à différents moments de leur histoire, un rendement et une profitabilité supérieurs à ceux de leurs concurrents.

Dans certaines situations bien particulières, d’autres avantages concurrentiels peuvent s’ajouter à cette liste, comme une protection gouvernementale ou un accès privilégié à de l’information (dans les marchés financiers). Précisons aussi que les quatre types d’avantages décrits précédemment ne sont pas mutuellement exclusifs. En effet, de nombreuses entreprises en possèdent plusieurs. Par exemple, Apple est en mesure de dépenser plus en recherche et développement que ses concurrents (avantage lié aux économies d’échelle), peut protéger sa technologie par des brevets (avantage lié à l’offre) et profite d’une clientèle captive (avantage lié à la demande).

Ne pas confondre avantage concurrentiel et performance

Avantage concurrentiel et performance sont deux notions bien distinctes. Bien qu’un avantage concurrentiel puisse théoriquement permettre à une organisation d’améliorer sa performance, ce n’est pas toujours ce qui se produit. Au début de l’ère informatique, le centre de recherche de Xerox à Palo Alto, en Californie, a développé une technologie pour la conception d’interface graphique qui aurait dû permettre à l’organisation de devenir un leader dans son marché. Malheureusement, les dirigeants ont pris des décisions qui ont fait en sorte qu’ils n’ont pas été en mesure de tirer profit de cet avantage concurrentiel. Netscape a également perdu la guerre des fureteurs Web. Jusqu’à la fin, l’entreprise a tenu à ce que les utilisateurs paient pour utiliser son logiciel, tandis que Microsoft a opté rapidement pour un fureteur gratuit, Internet Explorer, grugeant ainsi des parts de marché à son concurrent.

Pour qu’un avantage concurrentiel procure une croissance ou une stabilité des parts de marché ainsi qu’une rentabilité et une profitabilité supérieures, l’organisation qui le détient doit tout faire pour en tirer profit, le défendre et tenter de le faire croître au fil du temps. Lorsqu’ils sont développés, protégés et bien exploités, les quatre types d’avantages peuvent avoir des effets positifs sur la performance d’une organisation (voir le schéma ci-dessous).

Un outil pertinent : l’arbre décisionnel

La manière dont une organisation peut s’y prendre pour se donner des avantages qui lui permettront de dépasser ses concurrents dépend de plusieurs facteurs. L’arbre décisionnel est un bon outil pour aider les dirigeants à faire les bons choix (voir le schéma ci-dessous).

L’itinéraire qu’empruntera une organisation dans cet arbre décisionnel variera d’une situation à l’autre. Évolue-t-elle déjà dans une industrie bien établie ou tente-t-elle plutôt de s’y tailler une place? Veut-elle se joindre à une industrie en émergence?

Si l’organisation évolue dans une industrie déjà établie, elle devra déterminer si elle profite ou pas d’un ou de plusieurs avantages structurels :

  • Si c’est le cas et que l’organisation est le seul joueur dominant dans l’industrie, elle devrait protéger ses avantages structurels et les faire évoluer, tout en maximisant son efficience opérationnelle.
  • Si l’organisation fait partie d’un groupe de joueurs dominants, en plus de protéger ses avantages concurrentiels, de les faire évoluer et de maximiser son efficience opérationnelle, elle devrait aussi interagir avec les autres joueurs dominants, afin qu’ils apprennent à coexister. Trois approches peuvent être utilisées pour soutenir des interactions concurrentielles : la théorie des jeux, qui présente le dilemme du prisonnier (un principe qui oppose les intérêts individuels aux intérêts collectifs, notamment pour l’ajustement des prix), la dissuasion stratégique à l’entrée (lorsqu’une organisation déjà présente sur un marché agit de manière à décourager l’entrée de rivaux dans ce même marché), ainsi que la coopération et la négociation, comme l’ont fait durant de nombreuses années les entreprises Sotheby’s et Christie’s pour se partager le marché de la vente aux enchères d’objets d’art.
  • Si l’organisation ne possède aucun avantage structurel dans l’industrie dans laquelle elle œuvre et qu’aucun autre joueur dominant n’y est présent, elle devrait se concentrer sur son efficience opérationnelle. Si d’autres joueurs dominants y sont déjà actifs, elle devrait tout simplement envisager de quitter cette industrie.
  • Si l’organisation n’évolue pas dans une industrie déjà établie mais tente de s’y faire une place, elle devrait suivre dans l’arbre décisionnel le même chemin qu’une organisation en place qui ne possède aucun avantage dans son industrie.
  • Une organisation qui tente de se tailler une place dans une industrie en émergence devrait faire tout le nécessaire pour développer et exploiter des avantages structurels, et maximiser son efficience opérationnelle.

Pour se démarquer dans un marché de plus en plus compétitif, les organisations doivent déterminer quels sont les avantages concurrentiels à développer et déployer tous les efforts nécessaires pour en tirer profit, les défendre et tenter de les faire croître au fil du temps. Tout compte fait, elles arriveront ainsi à attirer, fidéliser et satisfaire leur clientèle, à augmenter leur part de marché et, par conséquent, à améliorer leur performance et assurer leur longévité.

Article publié dans l’édition Printemps 2023 de Gestion


Note

1- Cet article s’appuie principalement sur les travaux de Michael Porter et Richard Rumelt, pionniers et chercheurs renommés en stratégie, et sur des écrits de Bruce Greenwald, professeur en finance et gestion des actifs à la Columbia Graduate School of Business. Voir notamment : Greenwald, B. C., et Kahn, J., Competition Demystified: A Radically Simplified Approach to Business Strategy, London, Penguin Books, 2005, 416 pages ; Porter, M. E., Competitive Strategy: Techniques for Analyzing Industries and Competitors, New York, The Free Press, 1980, 396 pages; Rumelt, R., Good Strategy Bad Strategy: The Difference and Why It Matters, London, Profile Books, London, 2013, 320 pages