Originaire d’Iowa City, aux États-Unis, Frances Haugen rejoint le service d’intégrité civique de Facebook en 2019. Devant l’incapacité de l’entreprise de corriger ses lacunes, elle deviendra lanceuse d’alerte en 2021. Elle a publié en 2023 le livre The Power of One, qui relate son expérience, et a fondé l’ONG Beyond the Screen.

1. Vous êtes à l’origine des «Facebook Files», une fuite de documents internes qui a révélé des pratiques répréhensibles de la multinationale. Pourquoi avez-vous décidé de parler?

J’ai découvert chez Facebook une culture d’entreprise qui ne permettait pas le changement. Il n’y avait pas d’espace pour la critique; les inquiétudes des employés n’étaient pas prises au sérieux, et même les rapports de recherche et les notes de service des dirigeants qui révélaient des problèmes ne menaient pas à des améliorations.

Cela engendrait parfois des situations très graves qui mettaient en danger la vie des gens et la santé des adolescentes, en plus de menacer nos démocraties. Les dirigeants de Facebook connaissaient ces problèmes, mais agissaient peu pour les corriger. Encore aujourd’hui, leur objectif reste de garder le plus d’usagers connectés le plus longtemps possible sur leur plateforme, et tant pis pour les dommages collatéraux.

2. Devenir lanceuse d’alerte a-t-il eu des conséquences négatives sur votre vie?

J’aimerais d’abord que les gens comprennent qu’on n’a pas besoin d’être une personnalité publique quand on devient lanceur d’alerte. Dans la presque totalité des cas, ces personnes restent anonymes. C’est ce que je voulais au départ. J’ai dévoilé mon identité parce que je craignais que les dirigeants de Facebook prennent les devants et me nomment. En le faisant moi-même, je contrôlais le moment de la révélation et le message.

Avant que je divulgue mon identité, on m’avait prévenu que je risquais de subir du harcèlement, des tentatives de piratage informatique ou de devenir une cible des paparazzis. Mais rien de tout cela ne s’est produit. Peut-être parce que j’habitais à Porto Rico; j’étais donc moins facilement accessible. Ou peut-être parce que les gens se réjouissaient de savoir ce qui se passait chez Facebook.

3. Que retenez-vous de votre expérience de lanceuse d’alerte?

Je suis fière d’avoir pris le risque de révéler ce que je savais des pratiques de Facebook. Je suis satisfaite d’avoir fait mon devoir. Je me suis découvert une force que je ne me connaissais pas. Maintenant, j’espère que les gouvernements trouveront les moyens de rendre les géants du Web plus transparents, afin qu’ils soient dans l’obligation de travailler pour éliminer leurs aspects les plus dommageables.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion