Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

Il n’y a pas si longtemps, le worldsourcing, c’est-à-dire la recherche ininterrompue des meilleurs matériaux et des meilleurs processus d’innovation, de logistique ou de production à travers tous les fuseaux horaires, a fait son entrée dans les multinationales. Près de dix ans plus tard, l’explosion de l’utilisation des technologies dans les pratiques de gestion fait briller le potentiel de repérage de talents de la même façon.

Une recherche menée par l’agence internationale de pensée sociale (ou social thinking) We Are Social rapporte qu’en 2016, près de la moitié de la population de la planète avait accès à Internet sur une base régulière. Parmi ces milliards d’utilisateurs, environ 2,31 milliards de personnes sont également présentes sur les médias sociaux et 1,97 milliard d’entre eux y sont actifs grâce à la technologie mobile. Étant donné la pénétration profonde du marché que permet la technologie, les possibilités de repérage de talents sont énormes. En amont de ce phénomène, il y a eu l’avènement des sites de réseautage social et des applications de médias sociaux en tant qu’outils de premier choix pour les gestionnaires et les professionnels en ressources humaines à la recherche de nouveaux talents à l’international.

Les défis de la gestion des talents à l’échelle internationale

L’approche d’une organisation en ce qui a trait à la gestion des talents est souvent figée d’un côté ou de l’autre du paradigme différenciation-inclusion. Les employés à haut potentiel et à haut rendement au sein d’une organisation sont-ils considérés comme les talents clés ? Ou alors tous les employés de l’entreprise sont-ils considérés comme des talents possédant le potentiel de contribuer au repérage à l’international ? Certaines entreprises souhaitent attirer des talents grâce à leurs valeurs organisationnelles, ce qui facilite grandement le processus d’accueil et d’intégration des nouveaux employés. Le détaillant de vêtements de plein air Patagonia, fondé par l’environnementaliste Yvon Chouinard et dont les valeurs organisationnelles écoresponsables sont claires depuis le début, constitue un bon exemple de ce type de repérage. En effet, son approche internationale à la fois sélective et inclusive lui a valu la réputation d’un employeur de choix.

Pour une gestion de talents internationale optimale, il est important de ne pas seulement se focaliser sur le recrutement et le développement de nouveaux talents : le déploiement de compétences à l’interne est également capital. Il arrive fréquemment que les entreprises, incapables de pourvoir des postes à l’international, externalisent le mandat à des agences de recrutement de cadres pour se rendre compte que celles-ci repèrent des candidats de leur organisation dans des succursales situées dans d’autres pays. Une autre raison valable de miser sur la gestion internationale des talents est la transmission des connaissances au sein de l’organisation, non seulement pour bien servir la clientèle in fine mais aussi par souci de perfectionnement du personnel, et ce, partout dans le monde. Un objectif ultime devrait être le partage des innovations, notamment les meilleures pratiques, peu importe les pays où elles ont été mises en œuvre de prime abord.

Il est également primordial que les entreprises déterminent judicieusement quelles personnes au sein de l’organisation devraient être impliquées dans le processus de gestion des talents à l’international. De nos jours, il est impératif que le repérage et le recrutement ne soient pas exclusivement réservés aux RH. Les professionnels en RH internationales sont certes qualifiés et doivent avoir cette responsabilité. Toutefois, étant souvent en première ligne pour côtoyer et reconnaître les talents, les cadres opérationnels sont également de plus en plus critiques à cet égard. Les talents qu’ils recruteront pourront à leur tour attirer de nouveaux talents dans l’organisation. Un bon exemple de ceci est la façon dont IBM s’assure que ses employés véhiculent l’image de l’entreprise qu’ils représentent, non seulement aux clients et aux consommateurs mais également par l’entremise des candidats potentiels. Grâce à la plateforme de sourcing Reppify, les demandes d’emploi sont adaptées aux talents du monde entier qui ont été identifiés à partir du réseau social des employés actuels d’IBM. Le processus de repérage des talents intègre dès lors les employés, puisque ceux-ci facilitent la présentation entre les recruteurs et les candidats potentiels et qu’ils sont de plus rémunérés en retour pour ce service. Finalement, il est souhaitable que les RH travaillent en étroite collaboration avec les services de marketing et de communication numérique pour produire un message aussi attrayant qu’informatif concernant les possibilités professionnelles au sein de l’entreprise. Pour ce faire, les médias sociaux s’avèrent de plus en plus efficaces.

Les possibilités infinies des médias sociaux

Depuis 2002, l’utilisation des médias sociaux comme Facebook, LinkedIn et Twitter a littéralement explosé. L’arrivée sur le marché du travail de la génération Y, c’est-à-dire des employés nés entre 1980 et 1994, a propulsé l’utilisation des médias sociaux sur les lieux de travail et transformé la façon traditionnelle de faire des affaires. Les candidats de cette génération en particulier sont en contact avec des employeurs potentiels sur Facebook, où ils ont accès à des offres d’emploi diffusées sur les pages Facebook des entreprises ou par l’entremise de publicités Facebook que ces dernières utilisent pour les cibler directement grâce à des paramètres géographiques et démographiques, à leur parcours scolaire et à leurs intérêts.

L’accès aux médias sociaux et l’utilisation qui en est faite varient toutefois selon les régions et les pays. Par exemple, le site de réseautage professionnel LinkedIn est extrêmement utilisé en Amérique du Nord, là où il a été créé, ainsi qu’en Asie, surtout en Inde, où il compte environ 20 millions d’utilisateurs. Il est de plus en plus populaire en Europe ainsi qu’en Chine. Parmi les sites de recherche d’emploi, Indeed est en pleine expansion internationale, tout comme Glassdoor, qui fournit aussi des évaluations des employeurs par les employés (actuels ou anciens) partout dans le monde. De plus, même si les médias sociaux de communautés comme Facebook et Twitter ne sont pas accessibles aux utilisateurs chinois, l’offre et la segmentation d’applications de médias sociaux en Chine surpassent de loin celles des autres pays. Par exemple, le site en pleine croissance WeChat compte près de 700 millions d’utilisateurs. Des multinationales comme Lenovo et Deloitte ont par ailleurs utilisé des techniques de microrecrutement et des approches axées sur le jeu en ligne sur Sina Weibo (le Twitter de la Chine) afin d’attirer de jeunes talents chinois.

Les médias sociaux peuvent grandement contribuer à surmonter les défis de la gestion internationale des talents, par exemple lorsqu’il s’agit de joindre des candidats sur de vastes étendues géographiques ou de réduire les coûts en temps et en argent. D’ailleurs, la stratégie des médias sociaux attire souvent la jeune génération de talents. La plupart des sites étant gratuits et à caractère public, ils constituent des moyens très efficaces de communiquer. Cela permet également aux organisations de joindre à la fois les candidats actifs, qui se cherchent activement un emploi, et les candidats passifs, qui pourraient être attirés par la bonne image ou la bonne réputation d’une entreprise.

Les éléments clés de la gestion internationale de talents sur les médias sociaux
  • LE FAIT DE FAVORISER UNE MENTALITÉ MONDIALE (GLOBAL MINDSET) DANS LE MILIEU DE TRAVAIL peut sensibiliser le personnel à l’identification et à l’engagement (sourcing). Il faut être prêt à réseauter sur les médias sociaux, à l’interne comme à l’externe, pour chercher des talents tant actifs que passifs à l’échelle internationale.

  • L’UTILISATION EFFICACE DES MÉDIAS SOCIAUX à l’échelle internationale commence par la familiarisation des intervenants clés au sein de l’organisation avec les outils des médias sociaux utilisés dans différents pays. On recommande également l’adoption d’une politique en matière de médias sociaux qui souligne les normes globales auxquelles on doit se conformer pour faire référence au nom et à l’image de l’entreprise et qui respecte l’expression culturelle et les lois de chaque pays.

  • LES MULTINATIONALES DOIVENT ÊTRE ACTIVES SUR LES MÉDIAS SOCIAUX et faire plus que simplement afficher des messages sur un site Web pour une activité donnée. La valorisation de la marque par les employés sur les médias sociaux commence d’abord par la mise en œuvre, par l’entreprise, de sa stratégie de marque sur les médias sociaux, puis par le partage de contenu essentiel avec les employés à l’international. Il est important de savoir remarquer les employés qui, partout dans le monde, sont des ambassadeurs naturels de la marque et d’encourager leurs efforts.

L’employé ambassadeur

Le recrutement par l’entremise des médias sociaux peut ainsi constituer un outil puissant pour renforcer l’image de marque d’un employeur. La valorisation de la marque, notamment au moyen du partage d’actualités et de liens avec les employés sur les médias sociaux, a une influence importante sur la participation de ces derniers à la gestion internationale de talents. En effet, ils peuvent eux-mêmes recommander des candidats et agir à titre d’ambassadeurs de la marque. Un employé ambassadeur de marque fait du bouche-à-oreille positif à propos de l’entreprise avec ses contacts, partage de l’information sur son expérience avec celle-ci, adhère aux valeurs qu’elle promeut et la connecte avec ses contacts dans son réseau social comme employeur potentiel. Par exemple, la multinationale Pernod Ricard a récemment annoncé un partenariat avec LinkedIn Elevate pour créer une plateforme où les employés pourront partager du contenu clé avec leurs réseaux privés. L’idée consiste à créer des « ambassadeurs numériques » pour leurs différentes marques de vins et spiritueux à l’échelle internationale. Les marques sont déjà présentes sur Facebook et Instagram, où Pernod Ricard affiche sa culture d’entreprise globale, notamment en visant un public cible plus jeune grâce à son programme d’ambassadeurs internationaux (voir Pernod Ricard Graduates et Pernod Ricard Winemakers sur Facebook ou @prfuturevintage sur Instagram).

Une nouvelle recherche internationale sur la marque-employé produite par l’EDHEC Business School France et par l’Université de Montréal montre l’importance pour les multinationales de communiquer à l’interne leur présence sur les médias sociaux. Dans les succur sales de différents pays, l’utilisation des médias sociaux est fréquente et la majorité des employés utilisent au moins un média social (Google+ ou Facebook). Les entreprises ciblées dans cette recherche étaient actives sur les médias sociaux (Facebook et Twitter). Toutefois, plus de la moitié de leurs employés internationaux ignoraient l’existence de leurs pages Facebook. On en a déduit que les entreprises donnent l’exemple à leurs employés en ce qui concerne les interactions sociales avec les candidats potentiels et avec les clients. Elles s’attendent aussi à ce que les employés les perpétuent. Ces résultats montrent à la fois un besoin de formation à l’interne quant à l’importance des médias sociaux par rapport à la stratégie de communication ainsi que la nécessité d’être un véhicule pour les employés internationaux quand il s’agit de s’exprimer et de contribuer à la performance de l’entreprise à l’échelle mondiale.


Pour aller plus loin

  • Amelio, W. J., « Worldsource or Perish », Forbes (version en ligne), août 2007.
  • Dubois, D., et Pelletier, É., « Savoir utiliser les médias sociaux pour recruter le personnel », Gestion, vol. 36, n° 3, automne 2011, p. 5-15.
  • Cascio, W. F., « Leveraging employer branding, performance management and human resource development to enhance employee retention », Human Resource Development International, vol. 17, n° 2, avril 2014, p. 121-128.
  • Cervellon, M.-C., et Lirio, P., « When Employees Don’t “Like” Their Employers (and What Managers Can Do About It) », MIT Sloan Management Review, hiver 2017.