Article publié dans l'édition Hiver 2022 de Gestion

La négociation est un processus lors duquel deux parties tentent de parvenir à un accord en étudiant divers scénarios et en présentant des offres. Selon certains chercheurs, il est essentiel de comprendre les différences culturelles entre les négociateurs et de les utiliser comme des passerelles afin de mener à bien des discussions difficiles.

Les hommes ne sont pas toujours meilleurs que les femmes

La littérature scientifique a jusqu’ici fait valoir que les hommes sont généralement meilleurs négociateurs que les femmes en raison de leur caractère plus affirmé et plus compétitif. Les hommes sont davantage susceptibles, par exemple, d’entamer les négociations, de se fixer des objectifs plus ambitieux et de faire des offres plus audacieuses, ce qui peut conduire à des résultats économiques plus favorables.

Les chercheurs ont attribué cette différence au conditionnement social issu des stéréotypes de genre, qui dictent les manières dont un homme ou une femme doit se comporter dans certaines situations et dans des cultures données : en général, les hommes chercheraient avant tout à contrôler leurs actions et leur destin, alors que les femmes seraient plutôt au service du bien commun.

Or, lors d’une récente étude1, des chercheurs ont examiné la façon dont la performance des hommes et des femmes varie selon les cultures au cours d’une négociation. Après avoir analysé les résultats de 185 recherches menées dans 30 pays à ce sujet, ils ont conclu que la performance relative des femmes dépend des valeurs et des pratiques culturelles dominantes dans leur société. Leurs constats nous apprennent donc que les femmes sont plus susceptibles de surpasser les hommes lors de négociations dans des cultures moins individualistes, où les structures de groupe sont plus fortes et où les pratiques d’affirmation de soi sont plus faibles. Sachant qu’une négociation couronnée de succès peut être attribuable à la volonté des parties d’agir dans leur propre intérêt, les hommes performent moins bien dans les cultures où les besoins du groupe l’emportent sur les intérêts des individus.

Cependant, on apprend aussi dans cette étude que les hommes peuvent être socialement conditionnés à agir au détriment de leur intérêt personnel lorsqu’ils comprennent les avantages inhérents au fait d’appartenir à des groupes, notamment la famille, le réseau d’amis proches et les organisations qui les emploient.

Enfin, dans les cultures qui valorisent l’harmonie sociale, la performance des femmes est moins susceptible que celle des hommes d’être minée par les stratégies d’accommodement auxquelles on doit avoir recours pour préserver de bonnes relations, par exemple le fait de donner satisfaction aux revendications de l’autre partie et de limiter ses propres demandes.

Les tactiques de négociation douteuses

 Faire semblant, tromper, mentir : des chercheurs ont voulu savoir si ces trois tactiques de négociation sont jugées acceptables dans la culture germanique, plus précisément chez 300 négociateurs autrichiens. Leur étude2 révèle ainsi que, de façon générale, ces personnes approuvent davantage les tactiques de simulation que les tactiques trompeuses et mensongères.

  1. La tactique du faux-semblant ou de la feinte – que la littérature scientifique considère d’ailleurs comme un moyen de négociation traditionnel –consiste par exemple à :
  • Demander dès le départ bien davantage que ce qu’on espère obtenir ;
  • Faire croire à son interlocuteur qu’on l’aime personnellement ;
  • Exprimer de la fausse sympathie pour l’autre partie ;
  • Laisser penser qu’on accorde de l’importance à une question particulière alors que c’est faux.
  1. La tromperie, qui se classe au deuxième rang sur le plan de l’approbation, se traduit par des comportements de ce type :
  • Promettre un retour d’ascenseur à l’autre partie si elle nous donne ce qu’on désire, alors qu’on n’en a pas du tout l’intention ;
  • Proposer de futures concessions auxquelles on ne donnera pas suite en échange de concessions immédiates de la part de la partie adverse ;
  • Cultiver l’amitié de l’interlocuteur au moyen de cadeaux ou de faveurs dans le but de lui soutirer des informations stratégiques à propos de la négociation en cours ;
  • Nier la validité des informations dont dispose l’adversaire et qui affaiblissent notre propre position de négociation, même si ces renseignements sont exacts et pertinents.
  1. L’usage du mensonge, la moins tolérée des trois tactiques douteuses auxquelles les chercheurs se sont intéressés, peut prendre diverses formes :
  • Submerger d’informations l’autre partie de telle sorte qu’elle a du mal à distinguer les facteurs importants et les éléments secondaires ;
  • Imposer des délais inutilement serrés pour obtenir rapidement l’accord de la partie adverse ;
  • Donner la fausse impression qu’on n’est pas pressé de parvenir à un accord de façon à mettre de la pression sur l’adversaire pour qu’il cède au plus vite.

Il ressort de cette étude que les négociateurs autrichiens de nature individualiste verticale – c’est-à-dire des personnes compétitives pour qui le statut professionnel est primordial et qui veulent se démarquer – tendent tout particulièrement à approuver la tactique du faux semblant. Ceux de nature collectiviste verticale – des gens qui acceptent l’idée selon laquelle certains membres du groupe sont plus importants que les autres et qui respectent l’autorité de façon inconditionnelle – tendent à entériner la tromperie et le mensonge. De leur côté, sans surprise, les négociateurs de nature idéaliste désapprouvent tant le faux-semblant que la tromperie et le mensonge.

Brésil : trois profils de négociateur

Une autre étude3 s’est intéressée aux caractéristiques spécifiques et paradoxales du négociateur brésilien dans un contexte de relations commerciales internationales. Au terme des entretiens qu’ils ont menés avec des cadres brésiliens et allemands, les chercheurs ont été en mesure d’affirmer que le négociateur brésilien choisit naturellement parmi les caractéristiques de trois personnalités-types pour maximiser les résultats des négociations qu’il mène : le « capoeiriste africain », le « guerrier indigène » et le « bureaucrate portugais ».

Le capoeiriste africain s’inspire de la pratique de la capoeira, une danse brésilienne qui enchaîne des figures acrobatiques et des mouvements de combat, qu’on considère à la fois comme un jeu, un art martial, un mode d’expression corporelle et une philosophie de vie. Ainsi, le négociateur de ce type est animé par un vif sentiment de cohésion de groupe, par un fort esprit de collaboration et par la nécessité d’exprimer ses émotions. Il éprouve aussi de l’aversion pour le risque.

De son côté, le guerrier indigène n’hésite pas à prendre des risques. De nature égalitariste, il mise sur la négociation en équipe et sur le consensus. Toutefois, il est compétitif et ne cherche pas à conclure des accords avantageux pour tous comme le fait le capoeiriste africain : à ses yeux, une partie ne peut être gagnée que si l’autre perd.

Le bureaucrate portugais est pour sa part individualiste, ponctuel, rationnel et respectueux à l’égard du pouvoir hiérarchique. Les chercheurs ont conclu que c’est le capoeiriste africain qui caractérise le mieux le négociateur brésilien, à en juger par sa solide représentation à toutes les étapes des discussions : pendant la pré-négociation avec son aversion au risque, dans la phase formelle avec sa nature collectiviste, puis pendant la post-négociation avec son caractère émotionnel. En revanche, le type du guerrier indigène a été relevé à la fois dans les phases de pré-négociation et de post-négociation. Par comparaison, les traits du bureaucrate portugais ont été observés principalement dans la phase de négociation formelle puisque les personnes interrogées ont alors révélé de forts traits individualistes.

Occident-Asie : des clés qui facilitent les échanges

Les gens apportent à la table de négociation les attributs de leurs origines culturelles. Ces traits conduisent à des comportements qui déroutent parfois les négociateurs les plus chevronnés. Dans le but de comparer les approches américaine et asiatique en matière de négociations, des chercheurs4 ont ainsi examiné diverses clés culturelles susceptibles d’améliorer le déroulement de discussions difficiles.

Selon la littérature scientifique consultée par ces auteurs, l’approche américaine présente les caractéristiques suivantes :

  • Une vision optimiste selon laquelle presque tout est négociable ;
  • Une tendance à se concentrer davantage sur l’objet des échanges que sur les liens entre les interlocuteurs ;
  • La volonté de trouver des solutions avantageuses pour toutes les parties ;
  • Une préoccupation obsessionnelle en ce qui a trait au temps ;
  • Une faible connaissance des négociateurs étrangers.

De plus, dans la culture d’entreprise occidentale, on cherche souvent à conclure la transaction en premier lieu, quitte à nouer éventuellement des liens par la suite. De plus, la culture occidentale en matière de management est plus fréquemment axée sur le court terme : on y évalue la performance d’un PDG à la lumière des résultats financiers obtenus au cours des derniers trimestres. À l’opposé, dans la culture d’entreprise orientale, on évalue plutôt la haute direction en fonction de sa performance au cours de la dernière décennie.

Les négociateurs asiatiques considèrent pour leur part que le processus est plus important que le résultat de la négociation. Or, un certain nombre de pratiques ou de conventions culturelles peuvent influer sur le déroulement des discussions, notamment les concepts de guanxi, de kibun, de nunchi et de wa.

Sans doute l’élément primordial pour faire des affaires en Chine, le guanxi désigne le réseau de relations que cultive un individu ou une entreprise. Ce réseau repose sur l’honnêteté et sur l’obligation mutuelle de faire ce qui est juste. Une bonne relation ne s’établit pas simplement en offrant des cadeaux ou de l’argent : seuls le temps et la confiance peuvent bâtir le guanxi entre deux personnes ou entre des partenaires commerciaux.

En Chine, tout comme au Japon d’ailleurs, il est capital de lancer un processus de négociation en présence d’un intermédiaire guanxi qui créera un climat de confiance entre les négociateurs asiatiques et étrangers.

Le kibun, le nunchi et le wa sont eux aussi des concepts culturels fondés sur l’harmonie dans la façon dont nous traitons les autres. Dans la culture d’entreprise asiatique, cette bonne entente est basée sur la confiance, le respect, la bonne foi et l’établissement de relations positives. Plus la quête d’harmonie est au cœur d’une négociation, meilleures sont les chances de prévenir les conflits.

Ainsi, selon le concept du kibun, il est recommandé d’éviter de répondre de manière négative à l’autre partie. Quant au nunchi – qu’on appelle l’intelligence émotionnelle en Occident –, il est crucial pour jauger l’état d’esprit de son interlocuteur et notamment pour mieux comprendre la dynamique d’une relation. Enfin, dans la culture d’entreprise japonaise, le wa désigne la capacité de s’entendre avec autrui.

Les chercheurs soulignent également l’importance de deux concepts de négociation qu’on trouve dans toutes les cultures de la planète : la réciprocité et la réflexion. Sans doute le facteur de persuasion le plus influent, la réciprocité est engagée lorsque quelqu’un fait quelque chose pour une autre personne et que celle-ci se sent tenue de rendre service en retour ou d’acquiescer à une demande. La clé pour établir l’obligation de réciprocité consiste à être le premier à agir.

En parallèle, la réflexion est la capacité de prendre du recul au cours d’une négociation afin d’avoir le discernement nécessaire pour instaurer confiance, respect et harmonie tout au long des échanges. Les chercheurs affirment que la réciprocité et la réflexion, lorsqu’on y a recours conjointement avec les clés culturelles mentionnées précédemment, peuvent faire aboutir les négociations les plus ardues.


Notes

1- Shan, W., Keller, J., et Joseph, D., « Are men better negotiators everywhere ? A meta-analysis of how gender differences in negotiation performance vary across cultures », Journal of Organizational Behavior, vol. 40, n° 6,

2- Goelzner, H., Stefanidis, A., et Banai, M., « Ethically questionable negotiation tactics in the Austrian workplace », European Business Review, vol. 31, n° 1, 2019,

3- Fang, T., Schaumburg, J., et Fjellström, D., « International business negotiations in Brazil », Journal of Business & Industrial Marketing, vol. 32, n° 4, mai 2017,

4- Arnesen, D. W., et Foster, T. N., « Guanxi, reciprocity, and reflectionapplying cultural keys to resolve difficult negotiations », Journal of Business and Educational Leadership, vol. 8, n° 1,