Photo : Martin Girard

Pragmatique, ancrée dans des valeurs fortes et une énergie qui donnent le goût de la suivre, Valérie Plante est élue le 5 novembre 2017 à la mairie de Montréal alors que son parti, Projet Montréal, obtient une majorité de sièges au conseil municipal. Elle devient ainsi la première femme à la tête de la métropole en 375 ans d’histoire. Une grande fierté pour cette féministe engagée.

Toute jeune, Valérie Plante trouve dans le bénévolat une manière d’aider, de se rendre utile, de pallier les injustices à sa façon. À l’université, sa sensibilité à l’égard des iniquités sociales l’incite à militer pour mille et une causes, pour les droits étudiants, contre la guerre en Irak, pour la sauvegarde des nappes phréatiques ou pour les droits des femmes. Puis, elle fait le saut en politique, avec la volonté d’agir concrètement, de s’attaquer en profondeur à certaines inégalités et de contribuer au changement sociétal.

Cette assurance optimiste, son style enjoué et pourtant rigoureux ainsi que sa capacité à comprendre les préoccupations de ses concitoyens auront certainement contribué à la «vague rose» qui a porté la mairesse au pouvoir, faisant référence à son ambition de créer une ligne de métro rose reliant Montréal-Nord au centre-ville. Si ce projet de mobilité durable a depuis changé de forme, ce qui reste, à mi-chemin du second mandat qui lui a été accordé, c’est sans aucun doute son amour viscéral pour Montréal, cette ville «à échelle humaine», comme elle la décrit.

En quête d'égalité sociale

Valérie Plante confie aimer l’humain et s’entourer de gens. «Je suis une fille de gang. Petite fille, j’étais déjà comme ça. On partait à l’aventure, sur nos bicycles à siège banane, comme dans le film E.T. J’étais souvent celle qui amorçait le mouvement. J’aime encore bouger, j’aime encore jouer et toujours rire.» C’est probablement pour cette raison qu’elle a choisi l’anthropologie comme domaine d’études à l’université. Pour aller à la rencontre de l’autre, des cultures, des traditions, «de ce qui fait qu’on est beaux et parfois moins beaux dans nos parcours».

Les relations humaines lui procurent de l’énergie. Parfois, une simple conversation attrapée au passage est source d’inspiration. Ayant travaillé plusieurs années dans le milieu communautaire avant de bifurquer en politique, elle a côtoyé l’indigence et l’adversité. Mais elle a aussi observé beaucoup de résilience. Plusieurs de ces rencontres l’ont touchée.

«Les héroïnes du quotidien m’interpellent. Je me souviens de cette femme dont je ne sais même pas le nom, une grand-maman autochtone, du temps où je travaillais à Whitehorse, au Yukon. Sa manière très particulière d’aborder des sujets vraiment douloureux comme la violence ou les agressions me fascinait. Elle avait le pouvoir de calmer les femmes qui vivaient ces situations tragiques. Elle s’assoyait à côté d’elles, ne les regardant jamais en face. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a dit que le regard est trop confrontant quand on a vécu des choses insupportables.» Valérie Plante évoque aussi les personnes en situation d’itinérance avec lesquelles elle réussissait à avoir une conversation de temps à autre et qui lui racontaient leur parcours. «Je sentais une force malgré la détresse. Ça m’inspire énormément. Ça me donne l’élan de continuer.»

L’anthropologie, les rencontres et le travail communautaire l’ont comblée, assurément. Mais jusqu’à un certain point. De son propre aveu, il lui manquait une analyse politique. Devant les inégalités, les injustices, toutes ces situations qui la dérangeaient, elle sentait qu’elle n’avait pas les outils nécessaires pour comprendre, pour agir, pour changer les choses.

«Pourquoi les personnes aînées aboutissent- elles dans une résidence? Pourquoi est-ce si difficile d’avoir accès à tel service? Le bénévolat, c’est essentiel, mais c’est comme mettre un pansement sur ce qui ne va pas. Puis, le militantisme ne permet pas nécessairement de creuser les causes profondes de certaines inégalités, explique la mairesse. J’ai toujours su qu’il fallait que je fasse quelque chose. De manière un peu égoïste, j’ai besoin de me sentir utile, car devant tout ce qui ne va pas, si je ne suis pas dans l’action, je risque d’être en boule à pleurer sur mon divan!» Animée par le désir de participer à rendre la société plus juste pour tous et par la volonté de régler certains problèmes à plus long terme, Valérie Plante devait faire le saut en politique.

Le parcours de Valérie Plante

  • Native de Rouyn-Noranda, Valérie Plante passe son enfance à sillonner le territoire de l’Abitibi-Témiscamingue aux côtés de son père, qui est voyageur de commerce. À l’adolescence, elle s’exile un an à North Bay, en Ontario, puis vient s’installer à Montréal pour étudier, époque où elle commence à militer.
  • Détentrice d’un baccalauréat en anthropologie, d’une maîtrise en muséologie et d’un certificat en intervention multiethnique, elle travaille pour plusieurs organismes communautaires. Avant de faire le saut en politique, elle dirige pendant quelques années la Fondation Filles d’action, un organisme pancanadien qui vient en aide aux filles et aux jeunes femmes. Elle travaille également auprès des femmes immigrantes victimes de violence conjugale et donne des cours d’autodéfense.
  • Elle s’engage en politique en 2013 sous la bannière Projet Montréal, dont elle devient la cheffe trois ans plus tard avant d’être élue mairesse en 2017. En novembre 2021, la population montréalaise lui accorde un second mandat.

La politique, ce sport extrême

C’est au niveau municipal que choisira de s’impliquer celle qui se lance dans la course comme candidate pour le parti Projet Montréal aux élections de 2013. Élue au poste de conseillère municipale dans le district Sainte-Marie de l’arrondissement de Ville-Marie, elle bat contre toute attente la politicienne d’expérience Louise Harel, alors cheffe de l’opposition officielle.

Valérie Plante gravit les échelons de son parti pour en devenir la cheffe trois ans plus tard. «J’ai mis du temps à m’impliquer dans la politique active, parce que je n’étais pas certaine que c’était pour moi. La politique, c’est très formaté, très hiérarchique. C’est un modèle établi par et pour les hommes. Finalement, c’est le municipal qui m’a interpellée. C’est ce qui était le plus pertinent pour moi, le plus pragmatique, le plus près des gens.» On connaît la suite : Valérie Plante devient la première mairesse de Montréal en 2017.

Selon elle, cette entrée tardive en politique est un avantage. Sa longue expérience en milieu communautaire auprès de gens moins privilégiés lui a permis d’apprendre à écouter leurs préoccupations. «Ça fait de moi une mairesse plus complète!» Et lorsqu’elle s’est présentée comme candidate à la mairie, alors qu’elle était à la tête de Projet Montréal, elle se sentait prête. Elle raconte même ne pas avoir été particulièrement surprise par son élection. «Nos chiffres montaient. On sentait l’engouement sur le terrain. Les gens m’appelaient Val! On savait qu’on allait gagner, même si on ne pouvait pas deviner l’ampleur. Tout comme je savais que ma vie allait changer, sans réaliser l’envergure de ces changements. Heureusement, j’ai un réseau de soutien solide et un mari qui est là, qui m’encourage. Parce que c’est un projet de couple, quand même, se lancer en politique! Par contre, ce que j’avais sous-évalué, c’est le fait que je ne serais plus anonyme. Je n’avais pas pensé à ça», lance-t-elle dans un éclat de rire.

Ce qu’elle avait également mésestimé, c’est le fait que les municipalités n’ont pas les moyens de leurs ambitions. Pour nombre de décisions et pour leur financement, les villes sont dépendantes des autres paliers gouvernementaux. Cette dépendance est parfois difficile à accepter, voire frustrante. «Un de mes chevaux de bataille dans ce mandat-ci, c’est d’engager une réflexion globale sur le financement des municipalités. Oui, on s’occupe du déneigement et des services aux citoyens, mais on s’occupe aussi d’itinérance, de santé mentale, de la société dans tout ce qu’elle représente.»

Sur ces chemins parsemés de batailles politiques, pour faire face aux vents contraires et à l’usure qui guette tout politicien, Valérie Plante croit qu’il est fondamental d’être ancré dans des valeurs fortes et une vision claire. Pour elle, l’équité sociale, l’humilité et le courage protègent ses idéaux et gardent vivant son enthousiasme devant les obstacles et la résistance. «Mes valeurs, celles qui m’enracinent, font que, même après une mauvaise journée, je peux me dire : OK, ça n’a pas été comme je voulais, mais je suis en harmonie avec mes valeurs. Moi, je dors bien!»

Le plaisir de diriger

En tant que femme qui aime l’action, Valérie Plante désire que les choses avancent. Mais parfois, au lieu d’un grand bond, il faut y aller en faisant quelques pas plus modestes. «J’ai appris que ça ne sert à rien de s’entêter à faire entrer un carré dans un triangle. Il faut des compromis, sans toutefois perdre de vue ses objectifs à long terme. Et moi, ce qui m’intéresse, c’est de rallier les gens.»

Il y a évidemment des situations plus animées où les divergences d’intérêt génèrent des frictions. Dans ces moments où il est plus difficile de rassembler, la mairesse mise sur les objectifs communs. «Sur quoi peut-on s’entendre? Où est-ce que je peux aller chercher l’humain? Car, au final, peu importe notre bagage, nous sommes tous des êtres humains.»

Elle confie qu’un des projets qui lui tient spécialement à cœur et pour lequel il est particulièrement complexe de rallier tous les acteurs est la transition environnementale, quoique les positions aient évolué. «Quand j’ai commencé en politique en 2013, il y avait encore cette idée que les changements climatiques relevaient de la conspiration! Si les choses ont progressé, il reste que, pour certains, les changements qu’exige la transition écologique peuvent sembler en contradiction avec les affaires. Pourtant, je pense que ça peut être gagnant. Alors, il faut non seulement convaincre, mais aussi accompagner. Dire : “Qu’est-ce qu’on peut faire pour aller de l’avant, pour s’aider?” C’est vraiment de cette façon que je construis une relation avec les partenaires.»

Transition écologique, habitation abordable, transport durable : Valérie Plante ne lâche pas le morceau sur ces enjeux qui la motivent par-dessus tout. Elle s’appuie sur une conjoncture favorable dans la population et sur un partenariat fort avec les autres municipalités de la province. À titre de métropole, Montréal tient un rôle particulier. «Je mise sur un leadership fédérateur et je considère que c’est notre devoir d’ouvrir le chemin. Notre équipe est plus grande et nous avons plus de moyens. Montréal est la tête de flèche sur les principaux enjeux sociaux. Je dis aux autres maires et mairesses : “J’ai envie de travailler avec vous, d’entendre vos idées. Et n’hésitez pas à utiliser nos outils!” Je brille quand les villes du Québec brillent.» Elle compte bien utiliser cette solidarité pour mieux équilibrer le rapport de force qui se joue avec les autres paliers gouvernementaux.

Valérie Plante admet que les batailles politiques peuvent user la passion et auraient pu éteindre cette énergie naturelle qui la porte. Mais elle a la volonté, consciente et déterminée, de protéger ce plaisir qui l’anime dans son travail. «On m’a parlé de mon sourire pendant tout mon premier mandat! On ne l’aurait pas fait avec un homme qui rit et qui sourit. On n’aurait pas mis en doute sa crédibilité. Moi, j’ai décidé que j’allais rester celle que je suis. J’ai du plaisir, les gens me font sourire. J’ai envie d’accueillir ça. On peut être un leader performant, exigeant, tout en étant dans cette douceur, envers soi, envers les autres aussi. Mon leadership est basé sur le respect, de soi et des autres.»

Les 5 clés du leadership, selon Valérie Plante

  • Incarner ses valeurs pour bien s’ancrer.
  • Rallier et avoir du plaisir.
  • Sortir de sa zone de confort, visiter l’école de la vie, comprendre le terrain.
  • Créer un solide réseau de soutien.
  • Rechercher les angles de vue différents.

Fondamentalement féministe

Pour Valérie Plante, être restée elle-même en tant que première femme à la mairie de Montréal est un acte féministe délibéré et assumé. On se souvient de l’humour de sa première campagne dont le slogan, «l’homme de la situation», a certainement fait réagir. «Je voulais brasser le cocotier! Comme féministe, c’était un pied de nez à cette expression qui sous-entend qu’il faut être un homme pour bien gérer les situations. C’est vrai que mon équipe s’est questionnée : fallait-il que je sois plus sérieuse? Mais moi, je ne sais pas comment faire autrement. Ça sonnerait faux alors.»

Elle est donc décidée à demeurer ce qu’elle est, probablement parce que, petite, sa mère lui répétait qu’il était hors de question qu’elle se laisse intimider. «Surtout pas par les gars», lance la principale intéressée en riant. Alors, elle ne s’en est jamais laissé imposer. Bien sûr, elle comprend les codes de la politique. «J’ai accepté de faire une petite revue de ma garde-robe. J’accepte certaines conventions.» Mais comme première femme à la mairie de Montréal, elle a aussi la chance de créer un nouveau modèle, un leadership où le plaisir se sent et où la douceur côtoie la rigueur.

«J’ai aussi envie d’honorer le travail de toutes les autres femmes qui ont ouvert la route avant moi, en politique et ailleurs. C’est grâce à elles que je suis là. Pour leur faire honneur, je veux être une mairesse authentique, fidèle à la femme que je suis et fidèle à mes valeurs», affirme Valérie Plante. Ce chemin d’émancipation de la femme sur lequel elle avance, elle dit le prendre pour elle, bien sûr, mais aussi pour ses deux garçons, pour leurs compagnes, pour les femmes de sa génération et celles des suivantes.

L’amour de Montréal

Lorsqu’elle a été élue en 2017, Valérie Plante était peu connue. Elle incarnait le renouveau. Ce premier mandat lui a permis d’établir sa crédibilité. Réélue pour un second mandat avec un appui plus fort encore, il lui faut désormais imposer sa vision par des réalisations d’envergure. Et de l’ambition, elle en a. «Notre objectif, à Projet Montréal, c’est que le centre-ville de Montréal soit le plus vert en Amérique du Nord. Ce n’est pas rien. Ça veut dire acheter des terrains, enlever de l’asphalte, déminéraliser, planter des arbres. Ça implique des choix importants et des budgets qui peuvent les soutenir. Déjà, on a accéléré le verdissement du mont Royal et on a sauvé les derniers terrains du Grand parc de l’Ouest qui devaient être développés. On va continuer dans cette voie.» La mairesse est convaincue du soutien de ses concitoyens qui, selon elle, adhèrent à cette vision et le démontrent notamment par leur fréquentation des parcs et des espaces verts.

Pour que Montréal soit ce royaume de verdure et de transport durable d’ici quelques décennies, il faudra davantage d’accès pour les piétons et les cyclistes dans un rééquilibrage de la voie publique.

Elle et son équipe feront pourtant face à de grands défis pour maintenir la qualité de vie de cette métropole à échelle humaine que décrit la mairesse. L’itinérance continue de croître, un problème exacerbé par la pandémie. La promesse de créer 60 000 nouveaux logements abordables sur une période de dix ans demeure un projet d’envergure. Et alors que Montréal a toujours été considérée comme l’une des grandes villes les plus sécuritaires, les enjeux de violence troublent de plus en plus les rues de la métropole. Il faut évidemment laisser du temps aux mesures déployées et récemment mises en place, selon elle.

«Le travail continue de se faire, assure avec confiance la mairesse. Ça demande d’avoir des valeurs fortes, de faire preuve de courage. La décision que j’ai prise de reconnaître le racisme et la discrimination systémiques, c’était un geste audacieux. Nous sommes la première ville canadienne à le reconnaître. Pour l’appuyer, nous avons présenté un plan avec des actions concrètes.» À son avis, d’autres auraient renoncé devant une décision plutôt inconfortable. Mais tout comme elle défend les droits des femmes, elle milite aussi pour l’inclusion au sens large, au sein des élus, de la fonction publique, pour que la métropole reflète bien cette diversité qui la compose. «Moi, je suis à l’aise dans l’inconfort. J’aime sortir de ma zone, me faire challenger, aller chercher des angles de vue différents. Même si politiquement, parfois, ça bouscule.» Mais c’est bien de cette manière qu’on change le monde.

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion