Faire son boulot à partir du bureau, de la maison, d’un café ou même d’un autre pays : le mode de travail hybride ouvre tout un monde de possibilités aux employés. Cependant, pour profiter pleinement des avantages de cette organisation du travail, une réflexion s’impose.

«Plusieurs organisations sont perdues ou, pire, ne savent pas qu’elles le sont et se raccrochent à certains modèles», explique Pierre Daems, président d’Aube Conseil, un cabinet spécialisé en stratégie et management établi à Montréal et à Paris. En effet, il a observé que le réflexe de plusieurs personnes, quand il est question de travail hybride, est de s'interroger sur les opérations et les moyens de s’organiser. «Je pense qu’il faut plutôt prendre un pas de recul et amorcer une réflexion plus stratégique, ajoute-t-il. En tant qu’organisation, quels sont mes besoins? Et dans un contexte de pénurie, comment attirer et conserver mes employés?»

Un point de vue que partage Éric Brunelle, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal. «On a géré le télétravail en mode catastrophe, dit-il. Or, il faut maintenant aller plus loin et se demander quels sont les avantages réels de se rendre au bureau ou de rester à la maison, et en quoi consistent les motivations des employés et les risques.» Cela est d’autant plus important que plusieurs études montrent, comme il le fait remarquer, qu’une majorité de travailleurs désirent conserver une part de télétravail dans l’avenir. C'est donc l'occasion de trouver une formule qui permettra de profiter des bénéfices du travail à distance, tout en maintenant la connexion avec l’équipe.

Quatre modèles pour s’inspirer

Pour guider les entreprises dans leur réflexion, Pierre Daems a signé avec Fernanda Arreola, doyenne de la faculté et de la recherche à l’Institut supérieur du commerce de Paris, un article dans Harvard Business Review France. Les deux auteurs y présentent quatre modèles d’organisation du travail en formule hybride. Pour cela, ils proposent de classer le tout en fonction de la flexibilité offerte, que ce soit dans l’horaire ou dans les lieux de travail, et dans les ressources allouées pour améliorer les conditions de travail au bureau ou à la maison, selon ce que l'entreprise priorise.

L’organisation classique

Comme l’expliquent Pierre Daems et Fernanda Arreola, l’organisation classique s’inscrit dans la continuité naturelle post-pandémie. Les dirigeants décident du nombre de jours de présence requis au bureau et parfois même de l’horaire. C’est souvent vers ce modèle que les gestionnaires tendent naturellement, selon Éric Brunelle. «Toutefois, s’il n’y a pas de réflexion derrière ce choix, ils risquent de passer à côté d’une belle occasion de profiter des avantages du télétravail, c’est-à-dire d’avoir une liberté, un contrôle sur son horaire. C’est ce que les travailleurs recherchent», dit le professeur.

Pour en arriver à cette façon de faire, il est possible d’offrir une semi-flexibilité aux employés; en ne leur imposant pas de jours de présence précis, sauf pour une réunion, par exemple. «Il faut penser à la dynamique d’équipe et se demander quels sont les moments, les points de rencontre qu’il faut maintenir à l’échelle de l’entreprise et dans chacun des services», nuance Pierre Daems. D’après lui, cette formule fonctionne mieux si les travailleurs comprennent les raisons derrière ces choix.

L’organisation nomade

À l’inverse, une organisation nomade délaisse le bureau pour se concentrer uniquement sur le télétravail, ce qui permet d'importantes économies en ce qui a trait à la location d'espaces. «Cela peut être intéressant pour recruter à l’échelle mondiale, mais je pense que plusieurs travailleurs risquent de souffrir d’isolement à cause de ce manque de flexibilité», prévient Pierre Daems. D’autant plus qu’une entreprise se compose aussi des liens entre les employés, comme le rappelle Eric Brunelle : «La culture organisationnelle se construit par des expériences vécues en commun, dans lesquelles on va voir émerger des relations, des idées, des valeurs soutenues par l’organisation.» Cet aspect est à risque en formule hybride, encore plus quand il n'y a aucune activité en présentiel.  

L’organisation collaboratrice

Dans une organisation collaboratrice, les employés sont libres de travailler où ils le veulent. Les bureaux deviennent des lieux de collaboration, réfléchis pour donner envie aux employeurs de s'y rendre; ils comptent des cafés, des salons de rencontres, des terrasses ou du Wi-Fi hyperperformant, notamment. Pour que le tout fonctionne, les entreprises doivent tabler sur l’expérience employé, en proposant «des services de conciergerie» ou «des cours en groupe», donne en exemples Pierre Daems. «Mais pour éviter de se tromper, il faut se connecter réellement sur les besoins des travailleurs, non seulement à l’aide de sondages, mais aussi en discutant régulièrement avec eux», dit-il. Une telle flexibilité va aussi de pair avec une autonomie de la part des employés et la confiance des gestionnaires.

L’organisation individualisée

Une telle organisation offre une liberté totale aux employés, qui peuvent choisir leur horaire ainsi que leur environnement de travail en fonction de leurs besoins. «C’est un peu une formule idéalisée, car je ne crois pas que plusieurs optent pour ce modèle», note le président d’Aube Conseil. En effet, ce n’est pas si simple à mettre en place, si ce n’est que pour prévoir l’espace de bureau nécessaire. Il faut aussi miser sur la confiance, la responsabilisation et l’autonomie du personnel.

«Ce type de formule fonctionne pour les organisations qui ont déjà une culture très forte, très agile, où les liens entre les travailleurs sont très présents. Ce ne sont pas toutes les entreprises qui sont assez matures pour cela», estime Pierre Daems. De même, les gestionnaires auront tendance à offrir des promotions ou des projets intéressants à ceux qu’ils voient le plus souvent, selon Éric Brunelle; un risque encore plus grand quand la présence au bureau est facultative.

Loin d’être des vérités absolues, ces quatre modèles servent plutôt d’outils pour mieux repenser son environnement de travail. «Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix; cela dépend d’une foule de facteurs», soutient Pierre Daems. «Certaines entreprises ne sont tout simplement pas assez matures pour offrir une grande flexibilité, ajoute-t-il. Dans d’autres cas, la nature de leurs activités exige une présence sur les lieux. L’important, c’est de réfléchir à ce qu’on veut privilégier.» Il sera plus facile de mesurer les résultats de ses politiques et, le cas échéant, d’ajuster le tir.