Ou quand l'histoire a encore des leçons à nous apprendre!

La toute-puissante Silicon Valley aurait bien des choses à envier à la perle de la Toscane, la sublime Florence, s'il faut en croire les propos de Eric Weiner, dans son article « Renaissance Florence Was a Better Model for Innovation than Silicon Valley Is », publié sur le site Internet de la Harvard Business Review. Voilà une affirmation qui ne manque pas d'aplomb, lorsque l'on connaît la réputation de ladite vallée! De fait, la Silicon Valley se présente comme l'épicentre du développement technologique mondial et accueille du coup bon nombre de sièges sociaux d'entreprises de pointe (Adobe, Alphabet, Apple, Facebook, Intel, Hewlett Packard, et j'en passe!). Et pourtant, nous dit l'auteur de l'article, « Silicon Valley is too new, too now, to glean lessons from. » À ce compte, Florence, qui connut ses heures de gloire au XVe siècle, aurait encore beaucoup à nous apprendre quant à la manière de s'imposer comme un pôle de création et d'innovation pérenne. À quoi peut-on attribuer le succès de Florence à ce chapitre? 

La présence de puissants patrons fut incontestablement à l'origine de la magnificence et de la splendeur de la cité sur l'Arno. La dynastie des Médicis, et notamment l'un de ses rejetons, Laurent de Médicis (1449-1492), n'hésita pas à prendre sous son giron de très jeunes talents prometteurs, notamment Michel-Ange, pour ne nommer que le plus célèbre d'entre eux. Ainsi, toute technopole qui se respecte, ou qui aspire à le devenir, devrait pouvoir compter sur l'appui de tels patrons : « Today, cities, organizations, and wealthy individuals need to take a similar approach, sponsoring fresh talent not as an act of charity, but as a discerning investment in the common good », nous dit Eric Wiener.

À notre époque contemporaine où la jeunesse et l'audace sont davantage valorisées que l'expérience et la mesure, il faut, comme dans la Florence de la Renaissance, que prime le mentorat. Léonard de Vinci, qui séjourna lui-même dans la république florentine en sa qualité d'apprenti chez le maître alors réputé Verrocchio, fera ses classes durant une décennie avant de voler de ses propres ailes. « Patience et longueur de temps...» nous rappelle Lafontaine!

L'adversité est mère de la créativité, souligne Eric Wiener. Située au cœur d'un oasis (californien) de richesse et d'opulence, la Silicon Valley peut-elle aujourd'hui prétendre être animée du même esprit créatif qu'il y a trente ou quarante ans? L'Histoire nous apprend que nombre de cités créatives au fil des siècles n'ont pu s'établir ainsi qu'après que le courroux des dieux ne se soit abattu sur elles. L'antique Athènes connut la destruction de la main des Perses avant de devenir le phare de notre civilisation; Florence réchappa de peu de la Peste noire du milieu du XIVe siècle et s'établira comme un incontournable pôle artistique et scientifique quelques décennies plus tard.

En dernier lieu, Florence n'a jamais hésité à rejeter du revers de la main le conformisme, le statu quo et l'isolement afin de faire de la cité le pôle qu'elle fut au faîte de sa gloire. Ainsi, raconte Eric Wiener, les magistrats changeaient régulièrement de maîtres-d'œuvre lors de la construction de l'iconique duomo (le dôme) de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Dans le même esprit, les Médicis ne regardèrent jamais à la dépense afin d'acquérir le savoir, notamment sous forme de manuscrits grecs et latins, afin d'enrichir le patrimoine intellectuel de leur ville : « They recognized that innovation involves a synthesis of ideas, some new, some borrowed, and there’s nothing wrong with that. »

Six siècles ont maintenant passé depuis l'époque de la glorieuse Florence. Mais cet exemple historique nous apprend que la profondeur des coffres d'une cité ou d'une région ne suffit pas à faire de ces dernières des pôles innovants. À l'instar de villes créatives telles Barcelone ou Montréal, le leadership des hommes et des femmes qui les dirigent, la résilience de leurs habitants et la volonté de faire mieux et autrement y sont aussi pour beaucoup!