Au cours des dernières années, le responsable des technologies de l’information (TI), souvent appelé CIO ou chief information officer, a pris du galon. Portrait d’un professionnel de plus en plus important au sein des organisations.

La fonction de responsable des technologies de l’information a beaucoup évolué au fil du temps et tend même à se scinder selon les besoins et la taille de l’organisation. Ce professionnel a également vu son niveau hiérarchique évoluer rapidement et il est aujourd’hui devenu un membre à part entière du comité de direction, alors qu’il y a 30 ans, il se trouvait plutôt sous la houlette du directeur financier.

Tâches à géométrie variable

Les technologies de l’information prennent de plus en plus de place au sein des organisations et sont utilisées dans tous les services et divisions. Le responsable des TI doit donc mettre ces technologies au service des employés afin qu’ils puissent accomplir leurs tâches le plus efficacement possible. Mais ce n’est pas tout. Manon G. Guillemette, professeure titulaire à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et coauteure d’articles sur la transformation de la direction des systèmes d’information[1] et sur la contribution de la fonction TI dans les organisations[2], souligne que les tâches qui sont confiées au dirigeant peuvent varier d’une entreprise à une autre. «Certains d’entre eux verront uniquement à la disponibilité et au bon fonctionnement des équipements informatiques et des infrastructures, alors que d’autres participeront également aux décisions stratégiques et aideront à mieux utiliser les TI et les données», explique-t-elle. On distingue donc un volet opérationnel et un autre plus stratégique.

Elle précise que trois facteurs principaux exercent une influence sur les tâches attribuées au responsable des technologies de l’information. Tout d’abord, il y a la perception des autres membres de l’équipe de direction. «L es TI peuvent être vues comme une dépense plutôt qu’un élément essentiel du modèle ou de la stratégie de l’entreprise. Par exemple, le modèle d’Amazon est basé sur le commerce en ligne et par conséquent sur les technologies», indique la professeure.

Ensuite, l’influence du responsable des TI dépend aussi de sa personnalité. Par exemple, certains ont une vision moins orientée vers les affaires et préfèrent s’en tenir uniquement au volet opérationnel.

Dernier point : les autres membres de l’équipe de direction doivent saisir l’importance que revêtent les technologies et de quelle façon elles peuvent être utiles à l’organisation. Si la personne responsable des TI n’est pas en mesure de démontrer la plus-value de ces technologies et de vulgariser des concepts techniques complexes, l’aspect stratégique de son poste risque d’en pâtir.

Un spectre varié

Ces trois éléments influent directement sur le poids et le rôle qu’occupera ce gestionnaire au sein de l’organisation. Par le fait même, sur le terrain, il existe une variété de profils, à la fois différents et complémentaires. À un bout du spectre, on trouve la fonction traditionnelle où ce professionnel est uniquement perçu comme un prestataire de services. À l’autre extrême, lorsqu’il travaille dans une entreprise où les TI occupent une place stratégique, il sera vu comme un leader technologique, précise Manon G. Guillemette.

Entre ces deux pôles, on trouve aussi le profil du concepteur d’architecture, qui fournit des systèmes fiables afin de soutenir les processus d’affaires, ainsi que le coordonnateur de projets, qui contribue à développer une approche créatrice de valeur.

Autre profil possible : le partenaire. «Il est actif dans la transformation et l’innovation organisationnelles. Mais s’il travaille à l’efficience opérationnelle des processus, il ne cherchera pas nécessairement des technologies novatrices», signale Manon G. Guillemette.

Elle ajoute qu’il n’existe pas de recette unique et que tout dépend des contextes. Ainsi, un profil pourrait être parfaitement adapté aux besoins d’une entreprise, mais pas à ceux d’une autre. C’est pourquoi ce dirigeant doit savoir s’adapter et faire preuve de flexibilité pour trouver le bon dosage.

Par ailleurs, les composantes de la fonction ne nécessitent pas toujours les mêmes habiletés, indique Benoit Aubert, professeur titulaire au Département de technologies de l’information de HEC Montréal. Par exemple, un architecte de systèmes n’aura pas besoin des mêmes compétences qu’un leader en innovation. Néanmoins, certaines sont requises de façon générale, notamment des connaissances techniques pointues et une compréhension de base des affaires et du langage de l’entreprise. «Il faut également se montrer convaincant et savoir négocier pour amener le changement», ajoute Manon G. Guillemette.

Pour sa part, Yves Seney a occupé le poste de directeur des TI à la Ville de Sherbrooke pendant près de deux décennies et a pris sa retraite en septembre 2020. Avec 60 employés sous sa gouverne, il a assumé des fonctions tant opérationnelles – intégration de Microsoft Office 365, conversion des formulaires papier des policiers en format électronique, etc. – que stratégiques. Il considère qu’un responsable des TI doit être en mesure de développer une vision pour son organisation et savoir la communiquer aux autres directions. «Toutefois, quand j’ai été embauché à l’époque, nous étions plutôt vus comme des techniciens en informatique... Les choses ont évolué au fil du temps, et par la suite j’étais sur un pied d’égalité avec les autres membres du comité de direction, avec lesquels j’échangeais sur les grands enjeux», dit-il.

Parmi les défis qui attendent ces gestionnaires, en plus de la confidentialité et de la sécurité des données, se pose aussi celui de l’externalisation, estime-t-il. «C'est un changement de paradigme, car désormais les TI sont des services impartis que nous utilisons et que nous devons connecter à nos technologies à l’interne», indique-t-il.

À l’instar d’Yves Seney, le vice-président TI à Retraite Québec Luc LeBlanc confirme qu’il fut un temps où ces spécialistes étaient davantage perçus comme des prestataires de services informatiques. «Aujourd’hui, nous travaillons davantage en partenariat avec les différentes divisions d’une organisation. En ce qui me concerne, je suis considéré comme un partenaire d’affaires privilégié et je suis à la table des décideurs avec le comité de direction. J’assume aussi le leadership en matière de transformation numérique», explique-t-il. Outre le volet opérationnel, il assume également des fonctions stratégiques importantes afin de guider l’organisation, l’aider à faire des choix optimaux, tout en s’assurant que les données des citoyens sont adéquatement protégées. «Cela nécessite de la créativité, mais aussi un fort leadership, sans toutefois empiéter sur les collègues des autres services. Il faut être convaincu et convaincant, et savoir manier l’art du compromis pour trouver des voies de passage», soutient Luc LeBlanc.

Première vice-présidente à la direction, technologie de l’information, à la Banque Nationale, Julie Lévesque réunit quant à elle dans ses fonctions l’opérationnel, le stratégique et plus encore! Arrivée en poste en mai 2020, elle était auparavant première vice-présidente, stratégie de livraison TI, pour cette institution financière. Aujourd’hui, outre le volet de stratégie technologique, elle est aussi chargée du vaste secteur des opérations bancaires (le back office, dans le jargon). «Nous voulions jumeler le secteur des opérations avec celui des technologies afin d’accroître l’utilisation de ces dernières. Notre but est de transformer l’organisation, de réduire la complexité et d’automatiser les processus», détaille-t-elle.

Julie Lévesque travaille donc en étroite collaboration avec les autres directions, ce qui lui permet également d’avoir une vision globale. Elle rappelle que les technologies sont sous-jacentes à toutes les stratégies d’affaires et constituent donc un facteur de différenciation essentiel. Il faut toutefois être en mesure de faire comprendre ce principe fondamental aux collègues. «Dans mon travail, je me dois d’être “bilingue”, c’est-à-dire parler à la fois le langage des technologies et celui des affaires, afin d’être en mesure de bien expliquer la valeur qu’apportent les technologies», affirme-t-elle. Par exemple, la cybersécurité ne constitue pas uniquement un risque technologique, elle se traduit aussi en risque d’affaires. Pour toutes ces raisons, la personne responsable des TI doit démontrer de réels talents de vulgarisateur et bâtir des ponts avec les différentes directions.

D’autres rôles en émergence

Puisque les TI sont partout, il est logique que le volet opérationnel occupe une large place dans le travail du responsable des TI. Mais parallèlement, on demande aussi à cette personne d’innover, constate Benoit Aubert. «Nous en sommes donc arrivés à partager les tâches entre le CIO et le directeur de la stratégie numérique (chief digital officer). Le premier se concentre sur l’excellence opérationnelle et les infrastructures, alors que le second prend en charge le volet innovation et création de valeur par l’utilisation stratégique des TI», illustre-t-il.

Cette tendance à la spécialisation se traduit aussi par l’émergence de la fonction de directeur des données (chief data officer). David Dadoun, qui occupe ce poste chez BRP, a trois objectifs dans sa ligne de mire. «Tout d’abord, nous devons définir et mettre en place les structures et plateformes qui permettront de gérer les données. Ensuite, déterminer comment les utiliser pour qu’elles génèrent de la valeur et alimentent la stratégie d’affaires. Enfin, nous devons également assurer la gouvernance de ces informations ; autrement dit, il faut que les bonnes personnes aient accès aux bonnes données», précise-t-il.

Selon lui, les données sont comme le sang dans le corps humain : elles circulent partout. C’est pourquoi le directeur des données travaille étroitement avec les autres services de l’organisation et doit savoir manier l’art de la vulgarisation.

Pour occuper ce type de poste, on doit détenir de solides habiletés techniques, mais aussi des connaissances poussées en mathématiques et en statistiques, tout en sachant parler le langage des affaires. L’univers des données étant en constante évolution, David Dadoun ajoute qu’il faut être capable de vivre avec l’ambiguïté, savoir s’adapter et faire preuve de flexibilité. «La seule constante dans mon domaine est que ça change constamment», affirme-t-il.

Avec l’explosion de la cybercriminalité, les entreprises ont également à cœur d’assurer la sécurité de leurs informations et de leurs données. C’est la raison pour laquelle on voit de plus en plus souvent des professionnels assumer spécifiquement les fonctions de directeur de la sécurité de l’information (chief information security officer). Jean- Sébastien Pilon, vice-président chef de sécurité de l’information chez Desjardins, est de ceux-là. Responsable de la politique de sécurité et de sa mise en œuvre dans l’organisation, il assume un rôle complémentaire à celui du responsable des TI, avec qui il travaille en étroite collaboration sur le plan opérationnel. Il joue aussi un important rôle stratégique, notamment en conseillant les différentes directions en matière de cybersécurité. «Les cybermenaces changent tout le temps. C’est pourquoi nous devons être créatifs et posséder de bonnes capacités d’anticipation. Il faut aussi faire preuve de leadership et avoir une bonne résistance au stress, car dans ce domaine, nous devons nous attendre à faire face à l’adversité et à gérer des incidents», explique-t-il.

Pas de doute, les personnes responsables des systèmes d’information et les autres professionnels liés au domaine des TI auront assurément de beaux défis à relever au cours des prochaines années.

 

Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion


Références

[1] Guillemette, M. G., et Paré, G., «La dynamique de transformation de la direction des systèmes d’information», Systèmes d’Information et management, vol. 16, n° 1, 2011, p. 35-68.

[2] Guillemette, M. G., et Paré, G., «Toward a new theory of the contribution of the IT function in organizations», MIS Quarterly, vol. 36, n° 2, juin 2012, p. 529-551.