La France avance, avec la réforme El Khomri, le «droit à la déconnexion ». Réaliste? Viable?

Nous revenons tous d'une superbe et longue fin de semaine de la Fête du Travail, grand bien nous fasse! Mais, soyons honnêtes envers nous-mêmes... Quels sont ceux et celles qui se sont complètement « coupés » du boulot? Pas de petite demi-heure vite faite passée sur un dossier qui traînait? Pas de coup d’œ'oeil furtif vers la boîte de courriel? Vraiment?

Que celui qui n'a jamais péché...

Je serai le premier à l'avouer et à plaider coupable... comme probablement des dizaines, voire même des centaines, de milliers de travailleurs qui demeurent, volontairement ou bien involontairement, rattachés d'une quelconque manière au boulot par l'entremise de nos outils technologiques modernes. Mais cette réalité est-elle inéluctable? Devant la quasi impossibilité de nous séparer de ces téléphones intelligents et de ces tablettes qui sont devenus, dans les faits, des extensions corporelles, devons-nous nous en remettre à l'État afin d'en réguler l'utilisation dans le cadre professionnel? Doit-on institutionnaliser le « droit à la déconnexion »?

Questions fort pertinentes, sur lesquelles le gouvernement français a invité les salariés hexagonaux à réfléchir. Car c'est en effet à travers les nombreuses et controversées dispositions de la réforme proposée par la ministre Myriam El Khomri qu'on a vu apparaître, à l'article 25, cette première mention du droit à la déconnexion. Pourquoi, en 2016, une telle réflexion? Parce que nous sommes, expériences et études scientifiques à l'appui, en mesure aujourd'hui de mieux circonscrire les impacts des technologies sur nos vies. Comme le fait valoir cet extrait de l'article 25 du projet de loi El Khomri : « [...] Le développement des technologies d'’information et de communication (TIC), s'’il est mal maîtrisé ou régulé, peut avoir un impact sur la santé des salariés. Il peut notamment amplifier les facteurs à l'’origine de risques psychosociaux (stress, épuisement professionnel, etc.). Parmi eux, la charge de travail et la surcharge informationnelle, le brouillage des frontières entre vie privée et vie professionnelle sont des risques associés à l’'usage du numérique. » Facile de se reconnaître là-dedans...

Qu'on se rassure, et malgré ce qui a parfois été entendu dans les médias, le gouvernement de la République n'en est pas à imposer une ligne directrice en telle matière. L'objectif premier du l'article 25 est de reconnaître l'existence d'un tel droit,et le gouvernement s'en remet davantage aux entreprises et aux travailleurs afin d'identifier les modalités par lesquelles le droit à la déconnexion pourrait éventuellement s'appliquer¹.

Encourager ou imposer?

La bonne volonté est au rendez-vous pour certaines entreprises, et notamment chez certains géants de l'industrie, afin d'inciter les travailleurs à déconnecter hors des heures normales de travail. Ainsi, Volkswagen a prévu la mise en veille de ses serveurs de courriels entre 18 heures 15 et 7 heures le lendemain matin, pour tous les détenteurs d'un téléphone intelligent fourni par le constructeur allemand. Chez le concurrent Daimler-Benz, le programme Mail On Demand permet à 100 000 de ses salariés de renvoyer les courriels entrants vers une autre personne en mesure d'assurer le suivi. Deux exemples parmi d'autres, qui montrent à tout le moins la préoccupation de certains grands leaders des affaires à la problématique.

Devrait-on forcer la note en imposant le droit à la déconnexion? Pour la professeure Diane-Gabrielle Tremblay, la chose n'est probablement pas réaliste. Dans une entrevue accordée à Stéphane Baillargeon dans le quotidien Le Devoir (lire « La France et le "droit à la déconnexion" »), l'enseignante, spécialisée dans les questions relatives au télétravail², estime que la solution à l'envahissement de la sphère du travail dans la sphère de la vie privée passe probablement par une autre voie : « Personnellement, je ne pense pas que la connectivité soit un problème majeur. Je recommanderais plutôt d’'agir pour permettre plus de flexibilité dans le temps de travail et pour le droit au télétravail. Je crois que des réformes allant dans ce sens pourraient satisfaire davantage de gens au Québec. »

Le droit à la déconnexion est un enjeu récent auquel le monde du travail est tout juste confronté, et pour lequel il n'a pas apporté toutes les solutions à ce jour. Mais d'ici à ce que le débat soit entendu sur le fond et clos, rendons au gouvernement français ce qui lui appartient, soit d’avoir mis à l'avant-scène un enjeu majeur pour le monde du travail et pour nos sociétés, et ce pour les décennies à venir...


¹ Tel qu'indiqué dans le projet de loi : « Les modalités d’exercice de ce droit à la déconnexion étant directement corrélées à l’organisation de l’entreprise, la définition de ces modalités est renvoyée à la négociation d’entreprise. À défaut, l’employeur doit définir ces modalités et les communiquer par tous moyens aux salariés de l’entreprise. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, ces modalités font l’objet d’une charte élaborée après avis des instances représentatives du personnel (comité d’entreprise ou délégués du personnel). »

² Lire l'article de Diane-Gabrielle Tremblay et Elmustapha Najem intitulé  « Le travail à domicile au Canada : qui le pratique et pourquoi? ». Gestion, 35(1), pp. 108-117