L’âge permet de se rendre compte que les mêmes phénomènes reviennent périodiquement. C’est le cas pour les différents rapports sur la révision des programmes du gouvernement du Québec.

En 1986, il y eut la publication du rapport du Groupe de travail sur la révision des fonctions et des organisations gouvernementales (Rapport Gobeil). En septembre 1997, c’était celle du Rapport d’un groupe parlementaire sur l’examen des organismes gouvernementaux (Rapport Facal). Il faut ensuite mentionner les trois rapports du groupe de travail sur l’examen des organismes du gouvernement (Boudreau 2004-2005, Geoffrion 2005-2006 et Rolland 2007-2008). En 2009-2010, il y eut la publication des trois fascicules du Comité consultatif sur l’économie et les finances publiques. On termine avec la Commission de révision permanente des programmes en 2014-2015.

Quel est l’impact de ces nombreux rapports ? C’est loin d’être démagogique d’affirmer qu’ils ont généralement peu d’impact. Ils atterrissent généralement sur les rayons des différentes bibliothèques pour y ramasser la poussière, si ce n’est pas le chemin de la corbeille ou de la déchiqueteuse.

Pourquoi en est-il ainsi ? Leurs auteurs oublient qu’une évaluation approfondie d’un phénomène ou d’une situation comprend quatre volets :

  1. identifier les caractéristiques d’une situation,
  2. expliquer la présence de celle-ci,
  3. déterminer les changements à apporter ,
  4. analyser comment y arriver.

Identifier les caractéristiques d’une situation

Tout phénomène se présente avec de multiples dimensions, par conséquent avec l’obligation d’isoler celles qui sont jugées les plus importantes. Pour comprendre, il est nécessaire de simplifier.

De plus, chacun de nous regarde la réalité à travers une fenêtre plus ou moins étroite. Il en résulte une image marquée d’imprécisions. Par ma formation d’économiste, j’ai un regard dirigé ou déformé dans une direction qui se différencie, par exemple, de celle d’un juriste.

Expliquer la présence du phénomène

Avant de juger et de prescrire des modifications, il est utile de comprendre ou d’expliquer la présence d’une situation. Quelles sont les forces ou les contraintes qui ont engendré le présent équilibre qui est la résultante des différentes forces en présence ?

Même si le résultat généré par les règles du jeu politique implique du gaspillage et d’importantes inefficacités dans les programmes, ces derniers ne sont en eux-mêmes recherchés par personne. S'il n'y a aucun gagnant à la réduction du gâteau ou de la richesse collective, cette réduction n'aura sûrement pas lieu. C'est ce qui faisait dire à Gary Becker (1985 : 338) : "Si l'intention des politiques publiques était entièrement connue, je suis assuré que le secteur public se révélerait un producteur et un redistributeur beaucoup plus efficace qu'on ne le croit généralement."

Déterminer les changements à apporter

Après avoir décrit et expliqué la présence d’un phénomène, il s’agit maintenant d’aborder le côté prescriptif : quels changements pourraient améliorer la situation et surtout selon quels critères ? Les recommandations des rapports doivent en toute logique découler des objectifs choisis, explicitement ou implicitement.

Prenons le cas des recommandations d’économistes. Ils insistent particulièrement sur la rentabilité économique des programmes pour évaluer si les avantages économiques globaux en dépassent les coûts. Pourquoi en résulte-t-il alors des recommandations inappropriées ?

Ils oublient les importantes considérations politiques. Ce qui est pertinent n’est pas la rentabilité économique d’un programme mais plutôt sa rentabilité politique. L’objectif bien normal des décideurs du secteur public est d’accroître la probabilité de se faire réélire. C’est la dynamique du jeu politique. Peut-on reprocher au monde politique de s’y conformer ?


DU MÊME AUTEUR : La prétention de connaître


Les moyens pour y arriver

En dernier lieu, il est nécessaire d’analyser le réalisme des réformes proposées et des moyens d’y arriver, soit l’instrumentation des réformes ou de l’atteinte d’un nouvel équilibre. En somme, il s’agit de bien faire la distinction entre une stratégie réaliste d’implantation de recommandations et une banale liste de souhaits.

Combien d’écrits en analyse de politiques concluent que leurs recommandations requièrent un « changement des mentalités » dans la population ? Quand je retrouve ce vœu, ma réaction est la suivante : il est dommage qu’on n’ait pas encore trouvé un moyen de transformer les humains en anges pour régler les problèmes.

Conclusion

Comme l’affirmait Thomas Sargent dans une synthèse sur l’enseignement de la science économique :

« En économie comme dans un jeu, les gens sont, en équilibre, satisfaits de leurs choix. C’est pourquoi il est difficile pour les autres personnes bien intentionnées de changer les choses pour le meilleur et pour le pire. »

La situation est semblable dans le domaine politique. La structure des programmes reflète les forces ou les intérêts en présence. Cette structure n’est pas immuable mais toute modification présuppose un important changement de ces forces dans la société. C’est un enseignement qu’oublient les différents groupes de travail sur la révision des programmes.