Photo : Maude Chauvin

Homme d’affaires, humoriste, comédien, scénariste et producteur télé, Louis Morissette a fondé en 2011 KO, une entreprise qui compte désormais plusieurs divisions, dessinant les contours du Groupe KO, véritable empire du secteur culturel québécois. Rencontre avec un homme qui porte, à sa convenance, un de ses multiples chapeaux.

À cinquante ans, alors qu’il fait un retour sur scène avec un spectacle solo, Louis Morissette revisite de nombreux passages de sa vie. L’écriture lui a permis de se questionner en profondeur, une traversée thérapeutique selon lui. «Les épreuves, les “coups au menton”, pour reprendre l’analogie du KO, on peut les mettre sous le tapis. Il y a des gens qui n’ont pas envie de se questionner. Dans ce cas-là, ce qui t’arrive devient toujours la faute des autres. C’est vrai qu’il y a des injustices, des contextes défavorables, mais je ne suis pas du tout un partisan du “C’est la faute des autres”.»

Si Louis Morissette réfléchit aux turbulences de son parcours et aux obstacles surmontés, c’est pour mieux avancer. Et s’il se questionne pour trouver un sens à ce qu’il fait, c’est pour s’assurer d’être là où il doit être, où il a envie d’être. «Pourquoi tu fais ce que tu fais? Et pour qui? Le fais-tu pour toi, pour tes enfants, pour tes parents, pour l’équipe du bureau? Une fois que tu as répondu à ces questions, tu dois te demander si ça te tente encore d’être là.»

C’est probablement cette attitude curieuse, cette introspection, qui lui ont permis de construire sa carrière au gré des occasions qui se présentaient. Au départ, confie-t-il simplement, il n’y avait pas de grand plan. «Mon rêve, c’était de jouer dans un film et quand je l’ai eu fait, je n’en revenais pas : j’avais tourné dans un film!» Il affirme que s’il avait eu un petit bureau comme producteur télé avec quelques employés pour réaliser deux ou trois projets par année, il aurait été satisfait. Mais KO a grandi d’une manière qu’il n’avait pas anticipée au départ. Selon lui, c’est le résultat d’une suite d’occasions. «Au fur et à mesure que j’avance, que je comprends mieux certaines facettes de mon métier, je découvre de nouvelles possibilités. Dans ces occasions, je pousse la porte et je fonce.»

L’arrogance nécessaire

Véronique Cloutier, sa célèbre épouse, aime à dire qu’il est «de l’orgueil dans des running shoes». Assumant pleinement l’image, le principal intéressé se plaît à la répéter, peut-être parce qu’elle évoque le sportif qu’il est fondamentalement, adepte de hockey, de golf, de balle molle. Un bon match de football le détend assurément et bien qu’il se considère comme un sportif de salon, il ajoute : «Si j’avais été bon, je serais devenu un sportif d’élite». Quant à personnifier l’orgueil, l’homme d’affaires explique qu’il déteste se tromper. Il aime réussir.

Plus jeune, Louis Morissette a souvent été qualifié d’arrogant. Un trait de caractère fondamental chez les jeunes, selon lui, qui argue que l’arrogance permet les essais-erreurs. «Si tu n’as pas d’arrogance, tu t’éteins. Quand ton talent n’est pas peaufiné, que tu n’as pas d’expérience, pas de réseau, pas de ressources financières, le front de bœuf, c’est à peu près tout ce qu’il te reste et pouvoir dire “Je suis capable”, même quand tu n’es pas capable!» L’arrogance est essentielle à tout entrepreneur.

L’homme d’affaires admet que ce défaut l’a pourtant amené à commettre des erreurs majeures. Il a dû apprendre à dire les choses autrement. «Jeune, j’étais tellement affamé! Il y a des journées où j’ai un peu forcé la note. Sur un plateau, il est arrivé qu’on me dise : “Non, tu ne me parleras pas de cette manière!” Et là, tu réfléchis et tu changes d’attitude, parce que tu comprends qu’ils ont raison. LE patron, sur un plateau, c’est le réalisateur. Si toi, acteur ou même producteur, tu mets à l’épreuve son autorité, ça peut déraper.»

Louis Morissette insiste sur l’importance de bien choisir la manière de défendre ses idées et de dire les choses, surtout quand on est jeune, et même si on est convaincu d’avoir raison. «Quand on n’a pas encore la crédibilité et l’expérience nécessaires, il faut trouver des chemins de passage. Tu n’as pas le droit d’être cassant à 30 ans. Personne ne m’avait expliqué ça... ou je n’ai pas écouté celles qui l’ont fait», lance-t-il finalement en riant.

Entre l’artiste et l’homme d’affaires

Admiratif des grands humoristes d’ici, le jeune Louis avait compris qu’une bonne blague rassemblait dans la cour d’école. Il n’en était pas moins clair qu’il serait homme d’affaires, comme son père et ses oncles. Convaincu de reprendre la barre de Venmar Ventilation, l’entreprise de Drummondville cofondée par son père, il a étudié en commerce à l’Université McGill, pour apprendre l’anglais par la même occasion. D’ailleurs, il n’était pas très doué en français et ne s’y intéressait pas le moins du monde. Pied de nez du destin, c’est pourtant dans cette langue qu’il gagne sa vie, langue qu’il a apprivoisée avec respect. «Quand les jeunes chialent contre le français, je les comprends, je suis passé par là! Mais en 2024, quand tu habites Montréal, tu constates la précarité de notre langue... Pas de français, pas de culture. Pas de culture, pas d’identité. Si on ne s’en préoccupe pas, on deviendra une succursale des États-Unis.»

Louis Morissette est donc devenu un homme d’affaires, après avoir bifurqué par l’École de l’humour. Il ne pouvait oublier ni ses ambitions entrepreneuriales ni ses rêves d’artiste. Il endosse les deux rôles, sans compromis, sans conflit, bien qu’il ait mis du temps à l’assumer publiquement. «J’ai très peu parlé de mon intérêt pour les affaires, parce qu’il y a cette vision de l’homme d’affaires qui, par définition, cannibalise l’artiste. Il y a cette perception répandue dans notre milieu que l’artiste est intègre, qu’il n’est pas calculateur. Dans les faits, c’est de la bouillie pour les chats! Les artistes réfléchissent continuellement à l’image qu’ils projettent, à la salle dans laquelle ils joueront, aux gens avec qui ils décident d’apparaître ou à leur manière de s’habiller. Le calcul est différent, mais c’est un calcul. Je crois qu’il y a beaucoup plus d’artistes qu’on ne le croit qui sont des gens d’affaires.»

Quant à lui, c’est simple : il ne saurait être l’un sans l’autre. C’est une question d’équilibre. Il est tout aussi lucide lorsqu’il s’agit de prendre une décision qui concerne la rentabilité ou la visée artistique. «J’ai besoin des deux : si j’ai trop la tête dans les affaires, je m’ennuie de la scène, je m’ennuie d’écrire. Mais si je suis trop longtemps en tournage, je m’ennuie des affaires», explique celui qui se passionne depuis quelque temps pour le monde de l’investissement et qui compte bien réussir dans ce domaine-là aussi.

Les 3 choses qui ont changé ma carrière

Rencontrer Véronique Cloutier
Quand j’ai rencontré ma femme, je suis entré dans une autre ligue. Avant, j’étais un peu en marge dans ma carrière d’humoriste avec Les Mecs comiques.Quand tu deviens le chum de Véro, tu deviens publiquement très exposé. La pression est énorme, et comme je suis orgueilleux, je voulais réussir. J’ai parfois forcé un peu trop la note.

Commettre de grosses erreurs
En 2004, j’ai commis de grosses erreurs avec l’émission VIP et en 2008, avec le Bye Bye.Ce sont deux grosses erreurs professionnelles et, paradoxalement, les deux meilleures choses qui me soient arrivées, parce qu’elles m’ont permis d’en apprendre beaucoup sur moi, sur les équipes, sur les différentes limites, sur ce que je ne voulais plus vivre.

M’associer et bâtir une équipe solide
J’ai fondé KO avec des associés. Quand on a démarré, je ne savais pas à quel point ils étaient bons et gentils! L’équipe que nous avons bâtie ensemble est extraordinaire. Je reçois beaucoup de crédit et de reconnaissance, mais c’est parce que cette équipe est là. Elle me permet de garder vivante ma carrière d’artiste.

Un dirigeant dirigé

Dans ce parcours singulier où il a montré ses nombreux talents d’entrepreneur, la carrure de l’homme d’affaires pourrait jeter de l’ombre sur l’artiste. Étonnamment, pour celui qui porte son orgueil comme un confortable soulier de sport, il ne semble pas y avoir de paradoxe à être le dirigeant dirigé. D’abord, parce que le chemin s’est tracé graduellement, de l’humoriste des Mecs comiques au grand patron de KO. Ensuite, parce que Louis Morissette s’entoure de collaborateurs qu’il admire pour leurs compétences. «Je pars toujours du principe que si je suis le meilleur autour d’une table, je ne suis pas à la bonne table. Il faut que je travaille avec des gens très forts pour me challenger. Mais en cherchant ça, j’accepte de leur donner du pouvoir», dit-il.

Pour avoir l’esprit tranquille sur un plateau de tournage, il s’assure néanmoins de tout mettre au clair en amont, qu’il s’agisse de l’écriture du scénario ou de la logistique pour la préproduction. «Quand je suis comédien, je fais confiance, je m’abandonne. Parce que la personne qui me dirige, je l’ai embauchée, on ne me l’a pas imposée. C’est la même chose si ce n’est pas moi qui produis... C’est un petit milieu; si tu es impossible à diriger, le mot se passe!»

Cette posture exige d’avoir le respect comme valeur fondamentale. Fort de son expérience, le quinquagénaire analyse l’évolution de sa manière de mener une équipe. «J’ai toujours joué dans des équipes sportives, ce qui a initialement inspiré ma vision du leadership : il y a une hiérarchie, une manière d’initier les nouveaux et, à la limite, d’imposer son autorité. Ça a bien fonctionné pour moi pendant un certain temps», se rappelle celui qui explique avoir compris qu’un pouvoir que le groupe t’accorde te mène plus loin.

Le leadership se gagne par le respect, l’écoute, la rigueur au travail. L’homme d’affaires admet avoir dû effectuer un immense travail sur lui- même pour revoir son approche en matière de ressources humaines. «Si tu imposes ton autorité sans respect, sans crédibilité, sans écoute, tu auras des équipes dysfonctionnelles, un climat toxique et un roulement de personnel épouvantable. C’est une de mes grandes fiertés que les gens ici, chez KO, restent, et ils restent longtemps.»

Dans la tête de Louis Morissette 

La première chose que vous faites en vous levant le matin?
Je lis le journal, parce que souvent, les urgences de la journée sont reliées à ça. Si un nouveau projet est dévoilé par une autre boîte de production et que nous étions en train de développer quelque chose de similaire, les scénaristes vont m’appeler en panique dans l’heure!

Et avant de vous coucher le soir?
Je m’efforce de fermer mon ordinateur et mon téléphone 90 minutes avant d’aller dormir. En vieillissant, j’essaie d’améliorer mon sommeil.

La chose la plus difficile qu’on vous ait dite?
À ma sortie de l’École nationale de l’humour, on m’a reproché de travailler difficilement en équipe. Ça m’a fait très mal, parce que pour moi, ne pas être capable de travailler en équipe est un vilain défaut. Je me suis remis en question, j’ai tiré des conclusions. J’ai ensuite travaillé pendant neuf ans dans un groupe d’humour. Et maintenant, avec notre centaine d’employés chez KO, je travaille en équipe au quotidien.

Qu’est-ce que le courage?
La réponse peut aller dans plusieurs directions. Mes parents ont démontré un incroyable courage avec ma sœur handicapée à une époque où la recherche sur la paralysie cérébrale était peu avancée. Le courage, c’est aussi défendre ses convictions, prendre des décisions, notamment politiques. Je trouve que notre société est égocentrique. Si on ne diminue pas l’écart entre les pauvres et les riches, c’est la guerre civile qui nous guette! Les gens qui ont réussi et qui se réfugient dans le confort de la droite et du plaisir individuel manquent de courage.

Êtes-vous éconoanxieux?
Un peu, oui, mais je fais également partie du problème. Je fais un petit geste avec ma moto électrique, et ensuite, je prends l’avion pour un voyage de golf... Je ne suis pas tout à fait cohérent.

Quel leader trouvez-vous particulièrement admirable?
Louis Garneau, qui a révélé qu’il avait connu des épisodes de dépression. Rares sont les hommes d’affaires qui admettent avoir mis le genou à terre et qui affichent leur vulnérabilité. Tout ce qui concerne la santé mentale, il faut qu’on en parle. Dans mon spectacle, je raconte qu’il y a eu des périodes où j’étais anéanti. J’espère que ça ouvrira la discussion pour plusieurs.

Votre principal conseil à un jeune dirigeant?
Écoute! Ne parle pas le premier, parle en dernier. On sous-estime le pouvoir de l’écoute. Compte tenu de ce que tu auras entendu, tu ne changeras peut-être pas d’idée, mais tu auras changé le contexte et la mobilisation.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion