Si on veut qu’une tâche soit effectuée rapidement, mieux vaut la confier à quelqu’un qui est très occupé. Cet adage a-t-il un fond de vérité? En partie, croient les experts, ce qui ne veut pas dire qu’il faut augmenter la charge de tout un chacun pour autant. Explications.

«C’est un peu comme la poule ou l’œuf : est-ce que les gens plus occupés sont vraiment plus performants ou est-ce que c’est parce qu’ils sont performants qu’on leur confie plus de mandats?», s’interroge Jean-François Bertholet, CRHA, chargé de cours au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal et consultant en développement organisationnel. Même questionnement chez Isabelle Bédard, CRHA, PDG de CIB Développement organisationnel, un cabinet-conseil qui aide les employeurs et les gestionnaires dans la saine gestion de leurs équipes. «Je pense que cela dépend vraiment de la personne, du travail et du contexte.» 

Travailler en profondeur

Or, il faut être efficace pour abattre une grande quantité de travail, concède-t-elle. «À charge égale, une personne plus méthodique, plus structurée, mieux organisée, va être plus efficace, car elle sait gérer son temps et a une bonne méthode de travail.» Toutefois, la vitesse d’exécution n’est pas nécessairement garant de qualité, selon elle. «On court un risque, puisqu’à force de travailler à un rythme très soutenu, les employés vont gérer tout ce qui demande de réagir dans l’immédiat, comme répondre à une plainte ou remplacer quelqu’un qui est absent, prévient Isabelle Bédard. Pendant ce temps-là, les dossiers qui requièrent de la réflexion, de la profondeur, où il faut comparer, documenter, écrire, sont remis à plus tard. Les gens se retrouvent happés par le rythme opérationnel.» 

En augmentant la cadence, les travailleurs risquent aussi d’aller au plus simple et même de tourner les coins ronds. Ce qui n’est pas toujours stratégique, avertit Jean-François Bertholet. «Quand les gens sont surchargés, ce qu’ils laissent de côté, c’est la magie. Le travail sera conforme, mais il n’y aura pas de place pour la créativité, la prise de risque. Autrement dit, on peut faire les séries, mais pas gagner la coupe Stanley.» En effet, travailler sous pression laisse peu de place à la réflexion, à la créativité ou à la prise de risque, fait-il valoir. 

Quand le temps s’étire

Si les gens plus occupés sont plus efficaces, c’est peut-être parce qu’ils étirent moins leurs tâches et concentrent leurs efforts. C’est un peu ce que prétend la loi de Parkinson. Selon cette théorie publiée dans The Economist en 1955, plus on a de temps pour effectuer une tâche, plus on en prend. «Si j’ai plus de temps pour peaufiner un rapport, c’est sûr que je vais le prendre, donne en exemple Isabelle Bédard. Mais si je travaille deux heures de plus que ce qui était prévu, ce n’est pas du temps que j’aurai gaspillé, mais plutôt un moment où j’aurai pris soin de fignoler mon document, d’en améliorer la qualité. Ce n’est pas nécessairement une question de procrastination, mais de perfectionnisme.»

Tout est donc dans l’art de mettre en place des balises pour s’assurer de la productivité des équipes, sans pour autant briser leurs ailes, ajoute Marie-Ève Racicot, conseillère en ressources humaines au Groupe GCRH. «Il faut respecter la loi du 80-20, c’est-à-dire qu’on ne peut pas être efficace 100% du temps. Donc si on pousse trop les employés, ça risque de finir en burnout.» Travailler sous la pression d’objectifs inatteignables risque aussi d’avoir l’effet inverse et de démotiver ses équipes, précise-t-elle. 

Une question d’équilibre

Sans gérer minuteur en main, il est tout de même essentiel de poser certaines échéances, pense aussi Jean-François Bertholet. «C’est correct de se donner des indicateurs, d’établir des objectifs. Sinon, on ne s’appuie sur rien, on est dans le mou. Savoir à quoi s’en tenir est même rassurant pour tout le monde, parce que cela nous donne un cadre.»

«Le problème en gestion, c’est qu’on a tendance à se fixer des objectifs et à les gérer comme s’il fallait les respecter à tout prix, poursuit-il. Mais on peut établir des indicateurs qui deviennent des points d’ancrage pour les conversations avec son équipe.» Selon lui, il faut donc faire le point régulièrement avec son équipe et être prêt à offrir son soutien ou à réajuster le tir s’il le faut. Sans tomber dans le piège de la microgestion, les gestionnaires ont avantage à adopter une posture de leadership de proximité.

Définir besoins et méthodes

Pour éviter la surcharge, Marie-Ève Racicot suggère aussi aux organisations de revoir régulièrement leurs priorités et d’optimiser leurs processus, quand c’est possible. La conseillère propose également de décortiquer avec ses employés le temps requis pour chaque tâche ou chaque projet, pour voir quelle évaluation ils en font. «Quand les gens se sentent impliqués, ils sont plus motivés, travaillent mieux et sont plus performants», rappelle-t-elle. Il faut donc ouvrir le dialogue et faire confiance, renchérit Isabelle Bédard.

Mais surtout, plus qu’une question de minutes ou d’heures, la performance doit s’arrimer aux besoins de l’organisation, ajoute-t-elle. «C’est très relatif selon la nature du travail et des priorités. Si notre emploi est en service à la clientèle, faut-il répondre au plus d’appels possible ou offrir une bonne écoute et un service impeccable, ce qui demande plus de temps, mais a un impact sur la marque employeur?» Bref, tout est une question d’équilibre entre les objectifs de l’organisation et les capacités de son équipe.