Qui n’a pas travaillé dans un milieu toxique, empreint de tensions et de méfiance? Malheureusement, il est de plus en plus difficile d’y échapper. Selon un récent sondage de CareerPlug diffusé en 2022, 87% des employés interrogés rapportent qu’ils sont déjà passés par là.

Dans ce type d'environnement, il est tentant d’adopter des raccourcis qui semblent faciliter les choses à court terme, mais qui peuvent s’avérer néfastes sur la durée. Étant donné la fragilité des réputations, dans un marché de l’emploi relativement restreint dans lequel tout se sait rapidement, exercer un mauvais leadership dans un contexte difficile risque de nous faire perdre beaucoup de crédit.

L’autoritarisme, ou l’illusion du contrôle

En imposant nos décisions sans discussion, nous pensons accélérer l’exécution des tâches. À long terme toutefois, cette posture affecte la motivation des équipes et encourage la passivité. Résultat : la créativité de nos équipes se perd, ce qui correspond à un prix exorbitant à payer pour une efficacité à court terme. Dans le milieu bancaire international par exemple*, un responsable annulait systématiquement les propositions d'un de ses collaborateurs sans explication convaincante, et cela a fini par détruire sa confiance comme sa motivation tout en créant un climat de défaitisme. Beaucoup d’entre nous, d’ailleurs, ont eu affaire au microgestionnaire qui refait tout le document que nous avons mis plusieurs heures à préparer, n’est-ce pas?

Le favoritisme : rendement à court terme seulement

Un autre réflexe compréhensible mais périlleux : nous concentrer sur certains collaborateurs précis; autrement dit, faire du favoritisme, sous couvert de fatalisme. Aux prises que nous sommes avec des échéances serrées, il peut nous sembler stratégique de nous appuyer sur nos éléments les plus fiables; néanmoins, cette division isolera de facto le reste de l’équipe. Ainsi, le ressentiment suivra et la cohésion se fracturera. Là encore, nous dilapidons toute dynamique collective, qui se veut pourtant un facteur clé de succès pour une équipe saine. Un autre exemple éloquent à souligner ici : dans le secteur aéronautique, un directeur principal avait pris l’habitude de confier systématiquement les missions valorisantes au même cercle restreint, favorisant ainsi «sa clique». Ultimement, cela a été identifié par le syndicat comme une «pratique inéquitable», car ces mêmes missions étaient celles qui menaient à des promotions. Un cercle vicieux s’était distinctement installé, laissant les autres dans l'ombre et, en fin de compte, entachant la réputation de l’employeur.

Cet ultime défaitisme qu’est le désengagement

Face à l’adversité, le désengagement peut aussi sembler une solution. Après tout, à quoi bon continuer à motiver les autres quand rien ne va? Or, un tel laisser-faire nous fera perdre tout ce qu’il reste de notre crédibilité et de notre leadership. Nos équipes y verront du désintérêt, voire du mépris; dépourvues d’un cap à atteindre, elles deviendront cyniques et résignées. Notre influence, déjà affaiblie, s’évaporera et, par conséquent, la confiance aussi. Un cas réel : une vice-présidente mondiale d’un groupe de télécommunications avait pour stratégie d’ignorer les conflits qui minaient le collectif; une sorte de politique de l’autruche ayant ainsi mené à une perte de confiance de ses meilleurs éléments qui ont quitté le navire en plein projet de transformation. Le résultat? Une perte de valeur quasi maximale pour une fonction qui avait mis deux années complètes à se construire.

Des stratégies pour durer : créer des moments d’excellence

Dans un environnement hostile, un choix clair et presque binaire s’offre le plus souvent : partir ou durer.

Bien qu’elle soit tentante, la première option s’épuise après deux ou trois aventures ratées. C’est que le marché est petit, le bruit court vite et une réputation est vite faite. Dans de plus hautes sphères, des durées de mandat de moins de trois ans signalent – souvent à tort – une certaine frivolité et, malheureusement, il est toujours mal vu de critiquer ses anciens employeurs, même lorsque nous avons toutes les raisons du monde de le faire.

Alors, que faire si notre décision est prise de durer malgré l'adversité?

  • Électron libre. D'abord, il est essentiel de garder notre sang-froid et notre constance. Pour ce faire, il faut :
  1. Continuer à communiquer, pour maintenir une fluidité et la confiance des autres;
  2. Utiliser leurs critiques pour progresser nous-mêmes;
  3. Construire des relations personnelles avec chaque personne, à tous les niveaux;
  4. Éviter les blocs et les clans.

Toute personne dans l’organisation a un «problème»; il suffit de nous renseigner – directement à la source – pour l’aider à le régler. Cela augmentera naturellement notre fiabilité et donc la confiance qu’on nous accorde. Bon nombre de promotions arrivent lorsque nous sommes le candidat ou la candidate du consensus.

  • Poser les limites. Ensuite, il faut oser intervenir sur les comportements qui sont clairement toxiques, quels qu’ils soient, et ce, sans attendre. Une fermeté non agressive donnera le ton pour des relations respectueuses; une fois que nous adoptons pareil comportement, il est par ailleurs difficile de revenir en arrière. Tout le monde se sent mieux quand il sait à quoi s’en tenir. En clair, il suffit de dompter la négativité avant qu’elle ne nous gagne.
  • Moments d’excellence. Enfin, il est nécessaire de nous concentrer sur des objectifs modestes et rapides à atteindre pour créer un rythme de succès. À garder en tête : chaque petit pas dans la bonne direction donne de l’espoir aux autres et suscite leur motivation. Il importe aussi de valoriser chaque progrès, aussi minime soit-il; de cette façon, les équipes reprendront goût à la réussite.

Surtout, l’heure ne doit pas être au découragement : un climat sain se cultive avec patience et ténacité. Restons stoïques et continuons d'avancer; malgré les obstacles, notre leadership n'en sera que plus fort.

Car dans ces environnements hostiles, nous avons en réalité le choix : être un protagoniste du changement positif ou devenir une victime inactive du statu quo. La première option demande du courage et de la détermination, mais les récompenses en valent la peine, pour nous comme pour notre organisation. Notre influence se construit; c’est une force redoutable pour le mieux. À nous, donc, de choisir comment l'utiliser.


Pour aller plus loin

Toxic Cultures Leading To Resignations, Starling Insights, octobre 2023, (rapport, en anglais)


* Tous les exemples sont anonymisés, mais ils viennent de cas réels dans le cadre de l’expérience professionnelle de l’auteur.