La plupart des milieux de travail reposent sur des relations hiérarchiques utiles à leur bon fonctionnement. Toutefois, les rapports entre patrons et subordonnés représentent un véritable champ de mines. Plusieurs études internationales démontrent que la ligne est fine entre une saine supervision du personnel et un leadership destructeur.

Compte tenu du fait que le leadership peut jouer un rôle déterminant dans la construction des relations au travail, des recherches récentes se sont penchées sur les effets de l’humilité des dirigeants dans les organisations. En Occident, ce type de leadership est généralement associé à une meilleure performance de l’équipe, à l’engagement et à la motivation des employés, qui affichent alors une meilleure confiance dans leurs capacités.

Un leader humble admet ses propres erreurs et ses limites, célèbre les forces et la contribution des employés, et mise sur la formation en interagissant avec son équipe et en mettant en œuvre les idées de chacun de ses membres.

Vertueuses, ces caractéristiques peuvent néanmoins avoir des effets pervers pour une organisation. Par exemple, en admettant leurs faiblesses, les gestionnaires humbles peuvent paraître moins compétents et renforcer l’anxiété des employés quant à leur développement de carrière. De plus, ils préparent le terrain pour que les employés éprouvent un sentiment de pouvoir, ce qui peut mener à des comportements nuisibles à l’organisation. C’est ce qu’indiquent quatre chercheurs chinois qui ont sondé 186 employés d’une société informatique en Chine.

Leur étude[1] met en lumière le fait que les employés qui ont un sentiment de pouvoir élevé croient qu’ils ont plus d’influence que les autres et qu’ils contribuent davantage que leurs collègues au succès de leur organisation. Ce sentiment les pousse à adopter plus facilement un comportement contraire à l’éthique qui leur profite directement. Croyant qu’ils méritent davantage de privilèges que les autres, ils peuvent utiliser les informations et les ressources de l’entreprise pour servir leurs propres intérêts. L’effet corrupteur du pouvoir peut aussi mener à une augmentation des stéréotypes et au harcèlement sexuel.

Par conséquent, il est crucial de prêter attention à la manière utilisée pour faire preuve d’un leadership humble. Les organisations peuvent encourager leurs gestionnaires à adopter des compétences politiques et à déterminer les occasions appropriées pour exprimer leur humilité. En outre, les dirigeants devraient manifester moins d’humilité face à des employés hautains et arrogants. Enfin, les pratiques en ressources humaines doivent renforcer l’engagement des employés envers l’organisation, ce qui limite les comportements déviants découlant d’un fort sentiment de pouvoir.

La peur de l’autorité nuit à la communication

Un autre groupe de chercheurs chinois a constaté que la peur de l’autorité peut entraver la communication avec les supérieurs, surtout chez les travailleurs qui croient et acceptent que le pouvoir puisse être distribué de manière inégale dans la société ou dans les organisations.

Les personnes qui croient fortement à cette distance du pouvoir sont donc plus susceptibles d’accepter les inégalités au travail. En conséquence, elles pensent que les subordonnés doivent faire confiance à leurs supérieurs et leur obéir. Elles tendent à se fier à l’opinion des leaders pour prendre des décisions, à tolérer les mauvais traitements de leur part et à se comporter de façon à leur plaire.

La peur de l’autorité est une émotion négative qui suscite l’obéissance, un besoin d’approbation et un comportement d’évitement, notamment sur le plan des communications. Par crainte d’être perçues ou étiquetées négativement par leurs supérieurs, les personnes gardent le silence, ce qui entraîne un faible partage de l’information et une mauvaise rétroaction.

L’étude[2] menée auprès de plus de 1 000 travailleurs issus, d’une part, de cultures de forte croyance en la distance du pouvoir – comme la culture chinoise – et d’autre part, de cultures qui croient peu en cette distance – comme la culture américaine – indique qu’il est possible d’atténuer les effets négatifs sur la communication au travail en réduisant la distance physique et interpersonnelle entre employés et superviseurs. Ces derniers devraient aussi se comporter de façon impartiale, afin d’éliminer la nervosité des employés lorsqu’ils doivent entrer en relation avec eux.

Transfert de connaissances sous influence

La littérature scientifique a démontré que le partage des connaissances améliore les performances d’une organisation, réduit les coûts de production et favorise la croissance des revenus. Il est aussi un déterminant crucial de la capacité d’une organisation à innover.

Néanmoins, certains employés retiennent intentionnellement le savoir qu’ils détiennent, au détriment de leur équipe et de leur organisation. Appelé « dissimulation des connaissances », ce comportement peut prendre diverses formes, comme garder le silence, mentir, etc.

Des recherches antérieures ont révélé, d’une part, que les travailleurs détenant peu de pouvoir partagent généralement moins d’informations s’ils pensent que leur contribution sera ignorée ou éclipsée par celle d’employés plus puissants. D’autre part, les personnes qui occupent un poste plus élevé sont davantage susceptibles de partager des connaissances, mais leur décision d’agir ainsi dépend surtout de l’obligation qu’elles ressentent de le faire et de l’envie qu’elles perçoivent chez leurs collègues.

Aussi, il se peut qu’un employé détenant des informations précieuses soit disposé à les partager uniquement pour des raisons stratégiques. Enfin, la littérature indique que les croyances des employés en ce qui a trait aux gains et aux pertes potentielles de pouvoir influent sur leurs décisions de partager ou de retenir des informations

Cinq chercheurs indiens ont donc voulu savoir si le pouvoir que détiennent les employés, qui englobe à la fois leur pouvoir d’expertise – issu directement des compétences qu’ils possèdent – et leur pouvoir de référence – qui résulte de la qualité de la relation développée avec les autres –, joue un quelconque rôle dans le transfert des connaissances.

Après avoir sondé quelque 200 travailleurs du savoir à travers le monde, ces chercheurs indiquent que le partage des connaissances se produit dans un milieu de travail favorable où tous les employés sont reconnus pour leur contribution unique et où leur réputation ne dépend pas de leur décision de partager ou de retenir certaines informations, par exemple.

Les résultats de leur étude[3] suggèrent que les employés qui se perçoivent comme ayant de grands pouvoirs d’expertise et de référence sont plus enclins à partager leurs connaissances. Cependant, un travailleur qui s’attend à perdre du pouvoir personnel après avoir partagé des informations sera plus susceptible d’en dissimuler.

Pour atténuer les risques de dissimulation, les gestionnaires devraient donc :

  1. Cultiver un environnement de travail égalitaire dans lequel toutes les contributions sont valorisées ;
  2. Veiller à ce que les informations exploitables par l’organisation soient transmises par le biais d’activités de formation et de mentorat ;
  3. Protéger les employés des conséquences possibles du partage des connaissances, comme se voir confier des responsabilités professionnelles supplémentaires ou des rôles consultatifs.

Un leadership autoritaire mine la créativité

Une autre étude[4] a exploré l’influence du leadership destructeur sur la créativité des employés. Ce type de leadership fait référence à des comportements nuisibles de la part des gestionnaires : décisions arbitraires, dénigrement des employés, etc.

Parmi les différents styles de leadership destructeur, on trouve le leadership autoritaire. Le gestionnaire exige alors des employés une obéissance absolue, déprécie leurs capacités et leur impose de respecter strictement les règles, sous peine de punitions sévères. Par conséquent, les travailleurs subissent un stress constant, ce qui mine leur sentiment d’auto-efficacité. Ils en viennent donc à douter de leur capacité à être créatifs.

Après avoir sondé 325 employés chinois oeuvrant dans diverses industries, quatre chercheurs ont conclu que le leadership autoritaire, répandu en Asie de l’Est, a des effets négatifs sur la motivation des employés à innover. Et même lorsque des leaders autoritaires font parfois preuve de bienveillance envers leurs employés en les respectant et en leur permettant de s’exprimer, par exemple, les travailleurs ne sont pas dupes : ils perçoivent l’incohérence dans les comportements des dirigeants, ce qui peut diminuer leur capacité créative.

Les organisations doivent donc être conscientes des effets pernicieux d’un leadership autoritaire. Pour limiter les dégâts, elles doivent tenter de repérer les potentiels leaders autoritaires dès l’étape du recrutement au moyen de tests psychologiques. Si un tel gestionnaire est déjà en fonction, il devrait être encouragé à avoir une saine communication avec ses subordonnés. La mise en place d’un mécanisme de plainte en milieu de travail est aussi suggérée.

Ensuite, pour atténuer les conséquences négatives d’un leadership autoritaire sur la créativité, les organisations devraient favoriser une culture où générer des idées est particulièrement valorisé.

L’esprit d’équipe contre la supervision abusive

Alors que les gestionnaires déploient des efforts considérables pour favoriser l’engagement des employés, la supervision abusive peut saboter toutes ces tentatives en entraînant du roulement de personnel, des pertes financières et des agressions en milieu de travail. La littérature scientifique indique que jusqu’à 60 % des travailleurs subissent une supervision abusive qui se traduit par des comportements hostiles et soutenus, tant verbaux que non verbaux.

Des chercheurs irlandais et néerlandais ont sondé 191 employés travaillant en finance, en santé, en ressources humaines et en droit, afin d’examiner la façon dont le soutien psychologique de l’équipe peut influer sur la perte d’engagement des employés dans un contexte de supervision abusive.

Ainsi, une équipe peut être source de soutien et d’entraide. Au fur et à mesure que se produit un partage des tâches, des liens émotionnels et significatifs se développent entre les membres, ce qui mène notamment à l’émancipation psychologique de l’équipe, un état cognitif qui améliore entre autres les réactions fonctionnelles aux expériences difficiles.

L’étude[5] conclut que plus les équipes de travail ont un sentiment de pouvoir et d’autonomie, plus leurs membres sont protégés des effets négatifs d’une supervision abusive. Ce faisant, leur engagement est davantage maintenu. Les organisations devraient donc encourager le développement d’un fort sentiment fait de partage d’objectifs, de mutualité et de soutien au sein de leurs équipes.

Article publié dans l'édition Printemps 2023 de Gestion


Notes

[1] Qiuyun, G., Liu, W., Zhou, K., et Mao, J., «Leader humility and employee organizational deviance: The role of sense of power and organizational identification», Leadership & Organization Development Journal, vol. 41, n° 3, avril 2020, p. 463-479.

[2] Dai, Y., Li, H., Xie, W., et Deng, T., «Power distance belief and workplace communication: The mediating role of fear of authority», International Journal of Environmental Research and Public Health, vol. 19, n° 5, mars 2022, p. 1-14.

[3] Issac, A. C., Bednall, T. C., Baral, R., Magliocca, P., et Dhir, A., «The effects of expert power and referent power on knowledge sharing and knowledge hiding», Journal of Knowledge Management, février 2022.

[4] Wang, S., Wu, J., He, C., et Gu, J., «The impact of authoritarian leadership on employee creativity: The joint moderating roles of benevolent leadership and power distance», Journal of Managerial Psychology, vol. 37, n° 6, juillet 2022, p. 527-544.

[5] Kirrane, M., Kilroy, S., et O’Connor, C., «The moderating effect of team psychological empowerment on the relationship between abusive supervision and engagement», Leadership & Organization Development Journal, vol. 40, n° 1, février 2019, p. 31-44.