Au Québec comme ailleurs dans le monde, la pandémie aura un impact désastreux sur l’économie. D’ores et déjà, on s’attend à voir un grand nombre d’entreprises fermer leurs portes. Et si le modèle coopératif constituait une réponse à ces nouveaux enjeux?

Dans la province, pratiquement toute la population est membre d’une coopérative. On n’a qu’à penser à Desjardins, l’une des plus grandes coopératives au monde, ou encore aux quelque 3 000 coopératives et mutuelles québécoises qui œuvrent dans différents secteurs, de l’alimentation jusqu’à l’habitation en passant par la santé et les services à domicile.

Pourtant, ce modèle d’affaires n’est pas reconnu à sa juste valeur, estime J. Benoit Caron du Consortium de ressources et d’expertises coopératives au Québec, alors même qu’il est parfait pour répondre aux défis posés par la période actuelle.

Un modèle d’avenir

« Le Québec s’est beaucoup développé grâce aux coopératives, mais on a tendance à l’oublier. Or, dans un contexte où tout est remis en question, c’est le bon moment de donner un nouvel élan à ce modèle », croit M. Caron.

Selon lui, c’est l’occasion idéale pour remettre en question nos paradigmes et nos vieux réflexes, et ce, d’autant qu’au cours des derniers mois, on a pu voir à l’œuvre les limites du système actuel. Ainsi, l’impuissance des consommateurs et même des gouvernements a été clairement illustrée par la pandémie, alors que chacun tentait de s’approvisionner en masques ou en équipements médicaux, par exemple. « On peut s’organiser ou se faire organiser. Il faut se rappeler que dans une coopérative, ce sont les citoyens qui s’organisent. C’était déjà très pertinent auparavant, mais cela prend encore davantage son sens aujourd’hui : on se donne les moyens de répondre à nos propres besoins en se responsabilisant. C’est un modèle très pertinent, parce qu’il repose sur l’appropriation et l’entrepreneuriat collectif », poursuit M. Caron.

Certes, l’écosystème de l’économie sociale, dont fait partie le mouvement coopératif, connaît un bel essor au Québec depuis une trentaine d’années. Mais il faudrait profiter de la fenêtre d’opportunité qui se dessine actuellement pour le promouvoir et le mettre davantage en valeur. « Le modèle coopératif en est un d’avenir. Il permet de répondre aux besoins d’aujourd’hui et de demain, mais aussi de conférer une pérennité aux entreprises », affirme-t-il. Dans le contexte actuel, il pourrait aussi assurer la survie et même la renaissance de bon nombre de compagnies en difficulté.

En effet, la structure d’affaires traditionnelle est essentiellement basée sur le rendement et les bénéfices. Il n’en va pas de même pour une coopérative qui, elle, vise à répondre aux besoins de ses membres dans l’intérêt collectif, et non pas à générer des excédents. D’ailleurs, des études du ministère de l’Innovation ont plusieurs fois démontré que le taux de survie d’une coopérative est deux fois plus élevé que celui d’une entreprise traditionnelle.

Reprendre le pouvoir

Dès les débuts de la pandémie, on a beaucoup entendu parler d’autonomie. Les pénuries et les difficultés d’approvisionnement pour certains produits ont constitué un réveil brutal pour la population et les différents paliers de gouvernement. Or, le modèle coopératif répond bien à cette préoccupation. « Si on veut éviter de revivre ce qu’on a connu dans les derniers mois, on devrait se mobiliser et se responsabiliser afin de répondre à nos propres besoins au lieu de compter sur les autres. En adoptant cette vision, on fait en sorte d’assurer la sécurité des citoyens et des communautés », remarque M. Caron.

Il faudra toutefois un petit coup de pouce de l’écosystème pour inciter les Québécois à monter dans le train coopératif. « Mais nous avons de la chance, car ici, les différents gouvernements qui se sont succédé ont toujours soutenu le développement du modèle coopératif », indique M. Caron.

Au moment d’écrire ces lignes, en septembre dernier, la ministre déléguée au Développement économique régional, Marie-Eve Proulx, venait d’ailleurs de confirmer que 4 M$ allaient être versés au Conseil québécois de la coopération et de la mutualité pour l’année 2020-2021, dans le cadre de l’Entente de partenariat pour le développement des coopératives. Le but? Accélérer le démarrage de nouvelles coopératives et soutenir la croissance des coopératives existantes. La ministre Proulx a aussi profité de l’occasion pour rappeler que le mouvement coopératif avait joué un rôle crucial pendant la pandémie, en offrant des services à la population en santé, en services à domicile et en alimentation, notamment. « Les coopératives permettent de répondre aux besoins des communautés. Elles contribuent à stimuler l’économie de toutes les régions, elles génèrent des emplois de qualité et elles représentent une option intéressante pour reprendre des entreprises », a-t-elle déclaré.

Tirer des leçons constructives

Des paroles qui ne sont pas pour déplaire à M. Caron, qui soutient que le gouvernement doit favoriser un changement de culture et inciter les communautés à « s’occuper de leurs affaires ». « On compte beaucoup sur l’État providence, mais il faudrait être conscient qu’il y a des choses que l’on pourrait faire nous-mêmes. De plus, en tant que consommateurs, nous sommes confinés à un rôle passif, alors qu’au sein d’une coopérative, chaque membre a le droit de vote et a son mot à dire. On ne peut pas simplement se contenter de consommer, on doit devenir des acteurs, être partie prenante », souligne M. Caron.

Certes, cela demande un effort, celui de s’impliquer, de prendre la parole et de se responsabiliser. « C’est ce qu’offre le modèle coopératif, le seul qui, concrètement et légalement, nous donne réellement ce pouvoir. On peut aussi compter sur la loi sur les coopératives, riche de plusieurs décennies d’expérience », avance M. Caron.

Outre un coup de pouce des instances décisionnelles pour sensibiliser la population, quelles sont les conditions gagnantes pour réussir la transition? Assurément, se servir de l’expérience récente comme d’un tremplin. « Il y a une conjoncture favorable actuellement, et j’espère que nous parviendrons à tirer des leçons de cette crise et que nous ne retournerons pas dans nos vieilles pantoufles! De plus, avec toutes les dépenses auxquelles il a dû faire face, l’État ne pourra pas avoir réponse à tout. Pour s’en sortir, il faudra que les citoyens se mobilisent », soulève M. Caron. Et une partie de la solution réside, selon lui, dans le mouvement coopératif. Une crise est toujours une occasion à saisir; à nous d’en tirer des leçons constructives pour l’avenir.