Se relever et oser? C'est exactement ce qu'a fait Doria Boukheroufa. Confrontée à la pandémie qui l'a contrainte à licencier temporairement la quarantaine d’employés de sa pharmacie du centre-ville de Montréal, elle a su rebondir en lançant RxTuteur, une start-up technologique dédiée aux pharmaciens, qui a le vent dans les voiles. Rencontre.

En 2020, la pharmacie affiliée à Jean Coutu de Doria Boukheroufa a presque fermé ses portes à cause de la crise sanitaire. «Nous sommes situés au Centre Eaton et le centre-ville était complètement déserté. Mes revenus ont fondu de 95% du jour au lendemain. J’ouvrais la pharmacie trois heures par jour et l’essentiel de mon travail, c’était de répondre aux demandes de transferts des dossiers vers d’autres pharmacies», raconte-t-elle.

Si l’espoir de jours meilleurs est revenu pendant l’été, l’annonce de nouvelles fermetures à l’automne a eu raison du moral de la pharmacienne-propriétaire. «J’avais vraiment un sentiment d’échec complet, même si tout le monde me disait que ce n’était pas de ma faute. J’étais vraiment en dépression et je pleurais tout le temps. J’étais en train de perdre toute confiance en moi», confie-t-elle.

Sur le chemin du retour d’une longue fin de semaine au Lac-Saint-Jean, son conjoint – un entrepreneur du domaine logiciel et de l’intelligence artificielle – tente de l’aider. «Il m’a demandé quel était le plus gros problème qu’on pourrait régler avec un logiciel dans une pharmacie. C’est vraiment la question qui a changé ma vie.» La réponse était claire pour elle : c’était la formation.

C’est ainsi qu’a germé l’idée de RxTuteur, entreprise que Doria Boukheroufa a fondée avec deux associés. Depuis son lancement, à l’automne 2020, plus de 200 pharmacies ont adopté cette solution en ligne destinée, entre autres, à former les aides techniques en pharmacie, une denrée rare sur le marché de l’emploi. Une initiative qui a d’ailleurs permis à l’entrepreneure d’être finaliste dans la catégorie «Petite entreprise» lors du gala du Prix Femmes d'affaires du Québec 2023, organisé par le Réseau des Femmes d'affaires du Québec. 

Faire sa place

Selon Doria Boukheroufa, les femmes en affaires – surtout dans le domaine des technologies – doivent parfois mettre les bouchées doubles pour convaincre, alors que les start-ups dirigées par des femmes ont reçu moins de 3% du financement en capital-risque en 2020 à l’échelle de la planète. Elle-même a d’ailleurs senti qu’elle devait se surpasser pour établir sa crédibilité.  «C’est sûr qu’on m’a connue comme pharmacienne, puis comme entrepreneure en logiciel. Il fallait donc que je fasse mes preuves, mais je pense qu’un homme aurait plus de facilité à faire cette transition.»

Ce qui n’est pas nécessairement négatif pour autant, estime la pharmacienne. «Ça nous pousse à écouter chacune des critiques pour nous améliorer. Cela m’a amenée à travailler encore plus fort pour montrer que j’ai ma place, que notre mission est pertinente, que j’ai une vision claire et que je sais où je m’en vais. Cela se reflète sur la qualité de notre produit.»

Elle s’est aussi entourée de mentors, en plus d’avoir pu développer son expertise au sein d’Entreprism, l’incubateur d’entreprises de HEC Montréal. «C’est en allant chercher l’opinion de personnes d’expérience qui m’écoutent et m’aident à prendre la bonne direction. Même si je ne suis pas spécialiste en technologie, je comprends ce qu’on fait et je porte la vision du produit.»

La force d’une équipe

Que ce soit en tant que pharmacienne-propriétaire ou au sein de RxTuteur, Doria Boukheroufa croit que le leadership se construit avant tout sur le travail d’équipe. «Si on a confiance en ses employés, on est capable de déléguer, de transférer des responsabilités, ce qui est très valorisant. Ce faisant, notre équipe aura envie d’aller dans la même direction de nous, d’adhérer à notre vision des choses», assure la femme d’affaires.

«À l’inverse, je n’ai aucun problème à ce que mes employés testent leurs idées, même si cela ne fonctionne pas. Au contraire, je trouve cela génial de laisser place à leurs initiatives!» C’est aussi le cas avec le développement de RxTuteur, où les clients font partie du processus d’amélioration du produit. «Parfois, ils nous font une suggestion le lundi et, dès le jeudi, c’est intégré.» Il faut donc être à l’écoute de leurs besoins, résume-t-elle.

Aux jeunes femmes désirant se lancer en affaires, Doria Boukheroufa leur conseille entre autres de cesser de se mettre des limites et d’oser. «Il faut arrêter d’avoir peur des échecs et plutôt voir cela comme des essais-erreurs, ajoute-t-elle. Car ce n’est pas vrai que tout va fonctionner à tout coup. Si ce n’est pas le cas, je teste autre chose, j’améliore mon produit. Je suis toujours en mode solution.» Une façon de relâcher la pression, d’essayer et d’innover.