Il m’arrive fréquemment de me faire demander ce qu’est une bonne communication. Chaque fois, invariablement, ma réponse est la même : «C’est une prouesse!»

Il n’empêche que derrière cette question toute simple se dissimule une complexité absolue qui, parfois, et je le conçois, peut rendre la chose décourageante.

Nous savons tous lire et écrire, ce qui nous donne l’illusion que l’art de la communication est à notre portée. Nous constatons de plus qu’une multitude de moyens et d’autres supports technologiques s’offrent à nous pour cibler notre public avec précision et envoyer notre message avec la rapidité de l’éclair. Mais quelle certitude avons-nous que cette communication est aussi efficiente que nous le souhaiterions? Aucune. D’autant que nous nous évertuons à mesurer ses effets quantitatifs plus que qualitatifs. Plus collectifs qu’individuels.

Il y a pire. Comme nous le constatons également, l’immense parasitage de l’attention par les sollicitations permanentes dont nous sommes à notre tour l’objet vient réduire à presque néant les chances de la compréhension formelle des messages envoyés. On parle ici de nos déficits d’attention, du potentiel de découvrabilité et, ultimement, de la compréhension fine de la communication. Ce parasitage est dû à un autre phénomène bien connu : l’infobésité dont nous sommes tous atteints, ce trop-plein d’informations qui transforme notre cerveau en passoire d’attention et de mémoire.

Jean-Jacques Stréliski

Jean-Jacques Stréliski est l’ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal et l’un des cofondateurs de l’agence Cossette Montréal. Il est professeur associé au Département de marketing de HEC Montréal et responsable pédagogique du D.E.S.S. en marketing, médias et marques.



Dans la tête des autres

À mes étudiants, je me plais à répéter jusqu’au seuil de la redondance que notre principale besogne consiste à travailler sur la perception qu’aura notre public cible, et ce, un usager à la fois. J’ânonne souvent que, dans notre métier, la perception est la seule réalité avec laquelle nous devons composer. Comme si nous devions ajouter un paradoxe de plus à la construction de notre message. Bref, la complexité même.

Un collègue m’avait jadis sensibilisé à ce phénomène, me le résumant ainsi : l’auteur de la pièce de théâtre Mort d’un commis voyageur, Arthur Miller, voulait donner à son œuvre le titre Dans la tête des autres. Son producteur refusa, trouvant la proposition trop intellectuelle. Pourtant, toute idée, toute parole, tout récit ne peut être assimilé que si chacun d’entre nous en a individuellement construit le sens, selon Miller. Qu’importe l’émetteur, c’est bien le récepteur qui décide. Nous poser la question suivante devient impératif : «Notre message fait-il sens, dans la tête de celui ou celle à qui nous l’adressons?»

Informer, c'est négocier

Pour citer un autre de mes penseurs favoris, Dominique Wolton, informer n’est pas communiquer. Car, précise-t-il, communiquer, c’est négocier. Négocier dans la relation avec autrui. Négocier à propos de nos différences, c’est-à-dire de nos cultures, nos expériences, nos politiques dans un monde global et totalitaire qui tend à réduire les aspérités et à banaliser les comportements individuels.

Il est amusant de constater à quel point le marketing, qui est la science du commerce et, donc, de la relation et de la négociation, en vient à oublier l’essence même de sa fonction première. Tout marketing se réduisant à l’hypraciblage et à la mesure du résultat économique court désormais le risque de ce que Wolton appelle l’«acommunication».

L’acommunication, cette menace

Entendre dans le bruit, distinguer dans la multitude, comprendre dans le flou, ressentir la singularité dans le pluriel : voilà les exigences qu’impose aujourd’hui la tâche de communiquer, au risque de chuter dans le précipice du néant, celui de l’acommunication. Ce qui n’est pas signifiant est insignifiant. Entre la communication et l’acommunication, Wolton concède cependant qu’il existe un stade d’incommunication, un fourre-tout de points en commun qui sont souvent confondus avec la communication. C’ est pour cela qu’il existe ce qu’on appelle en anglais les insights, de même que les personas, les clichés, les sophismes; autant de bons référents qui ne garantissent cependant en rien l’efficience du message que nous voulons envoyer.

La lumière au bout du tunnel

Connecter deux narratifs devient alors le passage obligé : celui que nous formulons et celui que se formule individuellement chaque membre de la communauté ciblée.

Je dis bien «narratif», car nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que ce qui importe à la cible est surtout la façon dont l’histoire est racontée. La crédibilité du récit repose sur un narratif bien structuré qui nous interpelle, qui utilise des mots forts, vivants, authentiques, générateurs d’émotions et évocateurs d’imaginaire. Pas évident, tout ça, n’est-ce pas?

Je vous avais prévenus : c’est une prouesse!

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion