La quête de sens et l’exigence éthique, écologique et sociale des nouvelles générations changent la donne. Les organisations doivent prendre toute la mesure de cette révolution et de ses conséquences sur le plan de l’organisation du travail.

Plusieurs révolutions ont cours à l’heure actuelle dans les organisations (transformation numérique, hybridation des modes de travail, réinvention du leadership, etc.); certaines bien visibles, d’autres en sourdine. Une des révolutions les plus structurantes est celle, poussée par l’essor de la génération Z, qui touche à l’entreprise socialement responsable.

L’ascension de cette génération constituée de personnes nées après 1995 – qui représentent aujourd'hui environ un tiers de la population mondiale et qui s'apprêtent à modifier radicalement le monde du travail – provoque un bouleversement systémique, car aucune autre avant elle n’a été à ce point attachée aux questions environnementales, aux enjeux de justice et d’équité sociales et à l’éthique.

La rédaction d’un «manifeste pour un réveil écologique» (plus de 35 000 signataires), la politisation des cérémonies de remise des diplômes en France en 2022 et 2023, les appels des jeunes diplômés des écoles de génie et de gestion à «bifurquer» (c’est-à-dire à renoncer à un avenir tout tracé dans des carrières dites «destructrices» pour la société et l’environnement) ainsi que les nombreux appels à réformer les programmes dans les écoles supérieures montrent clairement que des basculements importants sont en cours. La création d’un nouveau statut d’entreprise à mission se veut d’ailleurs une réponse qui va dans le même sens.

Selon une récente enquête de Deloitte, concilier les aspirations professionnelles et la sécurité des revenus avec l'activisme climatique, les soins de santé mentale et la croissance inclusive sont les principales priorités des membres de la génération Z. Il y a manifestement ici une forte volonté de moraliser et d’assainir la raison d’être ainsi que les fondements des entreprises contemporaines.

Cela est d’autant plus vrai que l’hyperaccélération et la sophistication du monde des affaires accouchent chaque mois de nouveaux artefacts qui génèrent des enjeux éthiques et d’intégrité cruciaux : chaîne de blocs, analytique de données, intelligence artificielle générative…

L'évolution démographique commence déjà à renforcer les attentes des parties prenantes et à remodeler les relations entre employeurs et employés. Bien que les bénéfices et les chiffres d'affaires constituent traditionnellement le baromètre des affaires, la jeune génération exige des entreprises qu’elles prennent en compte leur incidence sociale, voire sociétale, au-delà de leurs simples rendements financiers. Par conséquent, les chefs d'entreprise et les exécutifs sont poussés à exprimer clairement le «pourquoi» et le «comment» de leurs stratégies puisque le lien entre les valeurs et les buts des entreprises n’a jamais été à ce point connecté aux convictions profondes de l’individu.

Les ambitions et les préoccupations de la génération Z, surtout en contexte de pénurie de main-d'œuvre, se montrent particulièrement audibles et déclenchent alors une prise de conscience du côté des états-majors des grandes corporations. Cette quête de sens, d’utilité sociale et d’incidence sociétale doit se traduire par des emplois intéressants, à forte «vocation» (entre autres exemples : contribuer à la réduction des inégalités; financer la croissance verte; appuyer la transition écologique; etc.)

Les entreprises qui ne s'adaptent pas auront du mal à attirer et retenir les talents. Par exemple, selon Deloitte, 37% des professionnels de la génération Z ont signalé qu’ils avaient refusé une mission parce qu’elle ne correspondait pas à leurs valeurs.

Il en va de même pour les consommateurs, car la génération Z n’a pas peur de rejeter les marques qui font de la publicité mensongère ou qui s’appuient sur le statu quo. Ainsi, ses membres préfèrent l’authenticité et le dialogue ouvert. Le vieil adage voulant que «les actes [soient] plus éloquents que les mots» s’applique parfaitement ici.

Quelles répercussions ces valeurs et ces préoccupations ont-elles sur les programmes des dirigeants et des exécutifs ?

Les leaders du monde des affaires ont déjà évolué, depuis une quinzaine d'années, pour intégrer les pratiques de responsabilité sociale et de transition vers une économie carboneutre (parfois appelée aussi «nette zéro». Cette fois cependant, la génération Z leur offre une autre occasion – plus importante encore – de réinventer leur façon de diriger, cette fois avec influence.

Pour ce faire, les entreprises doivent envisager la portée de l’organisation au-delà de ses frontières traditionnelles (physiques, relationnelles, capitalistiques) et adopter les pratiques suivantes :

- Faire valoir des convictions profondes avec authenticité.

- Aligner les pratiques avec ces convictions pour éviter «le fossé de l’hypocrisie».

- Bâtir une culture de l’écoute et démontrer de l'empathie.

- Définir des processus équitables de prise de décisions collectives.

- Favoriser un sentiment d’appartenance autour d’une mission à forte utilité sociale.

- Encourager la collaboration interdisciplinaire pour décloisonner les compétences afin de réfléchir de manière globale aux problèmes qui comptent.

- Repenser leur écosystème au complet (fournisseurs, partenaires, clients, etc.).

- Mettre en place une gouvernance ouverte avec les parties prenantes.

En modernisant leurs discours et leurs pratiques, les chefs d’entreprise peuvent améliorer considérablement l’engagement des employés, ce qui les place dans une meilleure position pour attirer, développer et retenir leurs forces vives. Par ailleurs, la résilience et la loyauté seront également meilleures lorsqu’il faudra faire face à des situations complexes.

Il y a aujourd’hui une forte prime à l’audace et aux dirigeants progressistes. Les leaders modèles osent affirmer des convictions fortes et originales; ils maîtrisent l’art de traduire efficacement leur vision avec authenticité et d’y intégrer les attentes des employés afin de susciter l’adhésion à un projet ou à une mission plutôt qu’à une simple entreprise.

Trop longtemps, les organisations se sont révélées frileuses, voire conservatrices. Elles n’ont fait que le minimum syndical pour cocher les cases des régulateurs ou les exigences de quelques investisseurs ou groupes de pression zélés. Or, l’approche légaliste de la responsabilité sociale qui ne consiste qu’à agir avec diligence dans les limites de la loi n’est plus acceptable. Elle provoque même du cynisme alors que les organisations font de plus en plus l’objet de comparaisons en vue de déceler la tension de l’écoblanchiment.

Heureusement, cette volonté progressiste semble trouver un écho parmi les chefs d'entreprise. Dans une étude réalisée par Accenture, la majorité de ces leaders ont indiqué qu'ils pensaient qu'il était plus important que jamais de se préoccuper des communautés comme de l'environnement : ainsi, 72% des chefs d'entreprise interrogés ont souligné que la confiance des citoyens serait essentielle à leur compétitivité dans les années à venir.

Ignorer – délibérément ou non – les espoirs, les désirs et les attentes de la nouvelle génération serait faire preuve d'un manque criant de sensibilité et d’acuité, et cela hypothéquerait à coup sûr la compétitivité de l’organisation. A contrario, ces nouveaux paradigmes offrent aux cadres et aux dirigeants une occasion formidable de redéfinir la relation humaine qu’ils souhaitent entretenir avec celles et ceux qui feront demain le succès de leur entreprise.