Prendre une décision éclairée peut s’avérer périlleux. Nous faisons souvent face à des situations complexes, au manque de temps, à de nombreuses distractions et à des émotions fortes. Heureusement, des avancées en neurosciences offrent désormais des perspectives fascinantes pour transformer l'art de décider en une science de l'efficacité.

Notre cerveau, qui contient plus de 86 milliards de neurones, crée des circuits qui se renforcent avec l’expérience. Ces derniers déterminent nos pensées, nos mouvements et nos émotions.

Imaginons la première fois que nous entreprenons une nouvelle tâche : notre cerveau, tel un explorateur, établit une liaison entre des neurones auparavant isolés. Ce lien neuronal, initial et fragile, se renforce et s'élargit avec la pratique. Il transforme progressivement l'effort conscient en une action de plus en plus rapide, fluide et automatique.

Ce principe s'applique aussi à la résolution de problèmes. Une solution difficilement trouvée la première fois devient de plus en plus accessible à mesure que l'expérience s'accumule. Ces autoroutes neuronales, une fois consolidées, transforment les décisions en réflexes, en intuitions et en habitudes. Pareil mécanisme nous permet de réagir rapidement à des situations familières, notre cerveau optant pour les voies qu'il connaît déjà. Une conclusion s’impose alors à nous, sans passer par des étapes intermédiaires d’analyse consciente.

Néanmoins, cette efficacité peut devenir un piège. Lorsque les situations évoluent et que nos autoroutes neuronales restent inchangées, nous risquons de persister dans des modèles désormais erronés. Nos biais et préjugés prennent alors le dessus, court-circuitant une analyse réfléchie de la situation. Reconnaître consciemment quand nos circuits habituels ont le potentiel de nous desservir est crucial pour éviter les erreurs.

Alors que nos circuits neuronaux façonnent la manière dont nous réagissons aux situations familières, ils ne fonctionnent pas de manière isolée : ils interagissent constamment avec nos émotions et notre état de stress, qui peuvent nous faire dévier de notre chemin.

Les émotions et le stress

Lorsque nous éprouvons de la joie, notre cerveau déclenche une vague de dopamine qui peut nous inciter à explorer de nouvelles avenues.

Cependant, en proie au stress, notre perception se rétrécit, car une grande partie de notre capacité d'attention est alors absorbée par les pensées négatives. Résultat : cela crée un effet de tunnel qui nous empêche de considérer l'éventail complet de nos options. Nous sommes alors moins aptes à répondre efficacement aux problèmes complexes.

Par conséquent, il devient évident que la qualité de notre prise de décisions dépend largement de notre capacité à observer et analyser clairement la situation (en nous, et autour de nous).

Or, comment pouvons-nous vérifier que les solutions qui émergent dans notre esprit sont les plus adaptées? Comment pouvons-nous distinguer un réflexe conditionné d’un choix réellement réfléchi?

La clé réside dans une attention soutenue portée àl’instant présent et dans la capacité à observer les choses objectivement, et ce, malgré le flot des pensées et des sensations qui pourraient autrement diluer notre jugement.

Fort heureusement, il existe des façons de cultiver de telles facultés.

Entraîner notre cerveau

La musculation développe les muscles pour nous permettre d’être plus forts et habiles au quotidien. De façon similaire, la pratique de la pleine conscience (en anglais : mindfulness) exerce notre cerveau à renforcer des facultés essentielles bien au-delà des séances.

Les avancées en neurosciences démontrent qu’en nous engageant dans la pleine conscience, nous entraînons notre cerveau[1]. Celle-ci nous permet de cultiver une attention soutenue, dirigée consciemment[2]. Elle devient alors un outil remarquable dans nos interactions avec les autres, ou lorsque nous avons besoin de réfléchir de façon profonde à une question épineuse. La pratique de la pleine conscience développe aussi la capacité à observer objectivement nos réactions instinctives. Cette faculté s’avère essentielle quand vient le temps de prendre le recul nécessaire pour choisir consciemment nos actions avec plus de sagesse et de discernement.

C'est en cultivant cet espace mental que nous pouvons élever notre prise de décisions au-delà des automatismes.

Un cas pratique

Considérons Jean, un gestionnaire qui doit décider de la meilleure stratégie qui soit pour remédier à l’insatisfaction d’un client important. Jean est submergé par l'urgence de la décision et les pressions internes. Il s’en remet à des intuitions rapides, forgées par des expériences antérieures qui ne correspondent pas nécessairement à la situation actuelle. En conséquence, sa décision est précipitée, basée sur des réactions automatiques plus que sur une évaluation approfondie.

Maintenant, reprenons la situation après que Jean eut intégré la pratique de la pleine conscience à sa routine quotidienne. Devant la même décision, le gestionnaire s'accorde un moment pour se centrer, pour calmer l'impulsion immédiate de répondre. Il observe ses pensées initiales et les émotions qui les accompagnent, reconnaissant l'excitation et l'anxiété sans y céder. Avec une attention soutenue, Jean examine objectivement toutes les données disponibles; il réfléchit aux potentiels à long terme sans être détourné par les distractions ou les pressions.

La pleine conscience lui permet de discerner que si certaines stratégies ont fonctionné par le passé, elles ne sont peut-être pas optimales pour les défis actuels. Cette présence d'esprit aboutit à une décision plus stratégique, innovante et adaptée à la situation précise, augmentant ainsi les chances de succès.

Au-delà de la méditation

L'exemple de Jean illustre parfaitement que la pleine conscience a le pouvoir de transformer nos circuits neuronaux. Elle nous permet d’affiner notre prise de décisions pour la rendre plus réfléchie, stratégique et adaptée aux situations.

La pratique de la pleine conscience dépasse largement les séances de méditation. Elle constitue un entraînement qui affecte positivement toutes les sphères de notre vie tout en nous permettant de cultiver une attention et une présence accrues, et ce, dans les activités les plus banales de notre quotidien comme dans les plus complexes.

Que ce soit en pratiquant la méditation, en nous engageant dans des activités conscientes comme la marche ou l'écriture ou simplement en nous accordant des moments pour réfléchir pleinement, chaque pas sur ce chemin peut en être un vers une plus grande clarté et un meilleur discernement.


Notes

[1] Hölzel, B. K., et coll., «How does mindfulness meditation work? Proposing mechanisms of action from a conceptual and neural perspective», Perspectives on Psychological Science, no 6, novembre 2011, p. 537-559.

[2] Hayden, S., et coll., «Mindfulness meditation: Thinking straight to success. Poster presented at the 60th Annual Meeting», Southwestern Psychological Association, San Antonio, Texas, avril 2013.