Si les jeux politiques au bureau sont toxiques et peuvent même plomber l’efficacité et la mobilisation, il est toutefois possible de les utiliser de façon positive. Coup d’œil sur les deux faces d’une même pièce.

Dans la littérature, les jeux politiques au travail sont définis comme des comportements informels ou illégitimes de ceux qui cherchent à saper ou à accaparer le pouvoir légitime. De façon générale, Alexandre Rousseau, avocat, chargé de cours au Département de management de HEC Montréal et formateur à l'École des dirigeants de HEC Montréal, les voit comme des agissements qui visent à promouvoir les intérêts individuels et qui se font trop souvent au détriment du groupe. Au bout du compte, la prolifération des jeux politiques nuit grandement à l’organisation qui les laisse croître, car si celle-ci est menée par des manigances politiques, cela peut signifier que le favoritisme s’installe aux dépens de la réelle méritocratie.

Or, une organisation ne devrait-elle pas souhaiter que les meilleures idées puissent toujours gagner, plutôt que de laisser une place prédominante à celles des personnes qui ont mieux joué leurs cartes? Poser la question, c’est y répondre selon Alexandre Rousseau.Car un sentiment d’injustice peut naître chez les employés et la perte de confiance et la démobilisation font en sorte que l’entreprise se prive des compétences de ceux qui ne parviennent pas à s’épanouir dans ce type d’environnement.

Gestionnaires en première ligne

En tant que gestionnaire, que peut-on faire pour éviter d’endosser involontairement les jeux politiques et de les laisser miner notre équipe ? Tout d’abord en prendre conscience, recommande Alexandre Rousseau. «Il faut effectuer un travail introspectif sur ses propres comportements au sein de l’organisation. Si on réalise que l’on a effectivement ce type d’agissement, on doit les modifier et faire preuve d’exemplarité», mentionne-t-il. Celle-ci se traduit par de petits gestes au quotidien, par exemple en choisissant des joueurs d’équipe au moment du recrutement. «Dans cette optique, lors des entrevues, plutôt que de chercher à identifier les succès et les compétences individuelles des candidats, demandons-leur s’ils ont déjà aidé un collègue par le passé, quelles sont les réalisations d’équipe dont ils sont le plus fiers, etc.», suggère-t-il. Il ajoute qu’il faudrait aussi cesser de présenter l’accès aux postes de gestion comme une fin en soi, et offrir à ses équipes l’occasion de s’investir dans des projets rassembleurs et stimulants. En se ralliant à une cause commune inspirante, on prend davantage de recul par rapport à son propre ego, ses ambitions personnelles et ses comportements individualistes.

La communication des informations pour éviter de créer une asymétrie des connaissances, la transparence dans la prise de décisions, la bienveillance, l’empathie et l’authenticité sont d’autres valeurs sûres que l’on gagne à encourager et à incarner pour créer un climat moins propice aux jeux politiques.

Alexandre Rousseau remarque toutefois que le contexte actuel de travail en mode hybride a possiblement modifié l’équilibre. «Deux hypothèses sont à considérer : d’un côté, les personnes qui misaient beaucoup sur les jeux politiques se voient restreintes dans leurs agissements, et de l’autre, les employés qui travaillent de la maison risquent d’être écartés encore plus facilement de ces jeux politiques, à leur détriment», prévient-il.

Car comme dit le proverbe, loin des yeux, loin du cœur, et le gestionnaire pourrait avoir tendance à favoriser inconsciemment les membres de son équipe qui gravitent autour de lui. «Il faut avoir l’humilité de reconnaître que l’on n’est pas à l’abri de ce biais de proximité et mettre en place des pratiques qui aideront à l’éviter. Par exemple en ne réservant pas les réunions aux seules personnes qui se trouvent au bureau, mais en apportant une attention particulière à l’inclusion de celles qui travaillent à distance», conseille-t-il.

Les côtés positifs des jeux de pouvoir

Mais tout n’est pas sombre dans les jeux politiques au travail. Pierre Lainey, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal, est d’ailleurs d’avis que ceux-ci peuvent se déployer dans une optique gagnant-gagnant, et pas uniquement dans la perspective où l’une des deux parties en sortira perdante. «Il est possible de faire gagner du pouvoir à une personne de façon constructive ou de lui transmettre des connaissances par exemple, afin qu’elle nous aide à réaliser un projet. En la mobilisant, en partageant le pouvoir, on fait d’elle notre alliée et on crée une occasion de réciprocité, d’échange de bons procédés», illustre-t-il.

Il considère que les gestionnaires peuvent d’ailleurs servir de modèles positifs et inciter leurs équipes à bâtir des liens de réciprocité. «Cela peut se concrétiser en échangeant des informations avec ceux qui en ont besoin, en reconnaissant la contribution des employés pour les faire rayonner, en faisant bénéficier les autres de notre expérience», énumère Pierre Lainey. La bienveillance et l’authenticité, mais aussi le courage de dire aux autres que l’on a besoin d’eux, font partie des conditions gagnantes.

Certaines compétences sont utiles, notamment être en mesure de bien saisir les enjeux des personnes qui nous entourent au travail – qu’il s’agisse de subordonnés, de collègues ou de supérieurs –, puis de développer des alliances avec elles, les appuyer afin de créer des occasions de réciprocité.

Pierre Lainey estime que lorsque les jeux politiques se déploient dans cette perspective, cela peut être très constructif pour une organisation. «Lorsqu’on se sent soutenu au travail, on est assurément plus heureux et davantage mobilisé», conclut-il.

Conscient que les jeux politiques sont omniprésents et que rien ne laisse prévoir leur disparition dans le futur, Alexandre Rousseau souligne, à l’instar des propos de Pierre Lainey, qu’il souhaiterait que ceux qui ont «les meilleures idées» n’hésitent pas à parfaire leur compréhension des jeux politiques pour éviter de se retrouver à l’écart. Ils devraient aussi améliorer leurs propres habiletés à les gérer, afin qu’ultimement, les meilleures suggestions puissent triompher, et ce, au bénéfice de tous!