Photo : Maude Chauvin

À la tête du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de lEst-de-l’Île-de-Montréal depuis décembre 2021, Jean-François Fortin-Verreault est lun des plus jeunes PDG du réseau québécois de la santé. Dambitieux projets lattendaient à son arrivée en fonction, notamment le chantier de lHôpital Maisonneuve-Rosemont, mais rien ne semble résister à sa volonté de construire.

C’est après un bref détour dans l’univers des jeux vidéo, où il avoue s’être bien amusé, que Jean-François Fortin-Verreault a trouvé sa voie, celle qui lui permettrait de contribuer à sa communauté. Au CHUM, où tout était à bâtir pour créer un nouvel hôpital, il n’a pas hésité devant l’occasion de participer à ce grand projet de société. Et il n’a refusé aucun des défis qu’on lui a alors proposés.

Résolument centré sur les responsabilités qui lui incombent, il s’est forgé une solide réputation et a gravi les échelons. «Pourtant, je n’ai jamais eu ce souci-là. Ce qui m’a stimulé tout au long de ma carrière, c’est de faire une différence, et de le faire entouré de gens avec qui j’éprouve du plaisir à travailler. Contribuer à créer le CHUM a exigé un effort de collaboration immense : il fallait dépasser les luttes internes de trois cultures organisationnelles et définir un nouveau lieu commun.»

Lorsqu’il quitte le CHUM, en 2019, pour se joindre au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal en tant que PDG adjoint, c’est avec la satisfaction du devoir accompli, conscient d’avoir laissé un environnement plus fort et meilleur qu’à son arrivée. Pour lui, c’est ainsi que s’incarne fondamentalement le leadership.

Le désir de faire une différence

Jean-François Fortin-Verreault n’avait pas l’intention de s’orienter dans le domaine de la santé, quoiqu’il ait été admis plus jeune dans un programme de médecine. «Je ne croyais pas être en mesure de devenir un excellent médecin à long terme. J’avais le sentiment que j’aurais un meilleur impact en gérant une équipe, plutôt que dans des relations individuelles avec des patients.» Il choisit alors d’étudier en technologie de l’information et en économie, et poursuit ensuite à HEC Montréal, où il obtient une maîtrise en développement des organisations. Jeune consultant dans le cadre d’un mandat avec le CHUM, on l’invite à s’intégrer à l’équipe interne. «J’avais envie d’aider dans un secteur d’activité où je pourrais faire une différence. C’est pour cela que j’ai décidé de m’y investir.»

Aujourd’hui, le grand patron du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal s’affaire à trouver un équilibre entre les besoins décuplés de la population et ceux de son personnel, usé par les crises qui s’enchaînent et les réformes qui se multiplient. S’il admet que cette position relève de l’acrobatie, il conserve son optimisme. «Ce qui m’intéresse, c’est la manière dont on transforme un système, comment on s’attaque à des projets majeurs pour les faire aboutir», souligne simplement le gestionnaire.

Il se remémore avec émotion la traversée de la pandémie. «Nous travaillions 24/7 sous la pression constante de la critique sociale, alors que le personnel donnait le meilleur de lui-même. Nous passions des heures à nous demander comment répartir nos ressources pour aider au maximum, considérant qu’il y avait des centaines d’employés malades! Il y a eu des choix déchirants, une grande détresse humaine, et tous ont fait preuve d’un grand courage», insiste-t-il. Le patron de 17 000 personnes ajoute que c’est tout le système de santé qui connaît actuellement des difficultés. Beaucoup d’employés sont partis, certains ont devancé leur retraite. «Remplacer ces gens-là prendra des années, surtout qu’il y avait déjà une pénurie de main-d’œuvre avant la pandémie.»

Avancer calmement dans cette mouvance exige une collaboration sur tous les fronts. Pour conserver la motivation de ses troupes, le PDG soutient le déploiement de mesures d’accompagnement, notamment dans le parcours professionnel, et démontre autant de flexibilité que possible dans un milieu normé par les conventions collectives et les ordres professionnels.

Avec ses équipes, il transforme concrètement les modèles cliniques, afin de servir les patients autrement. Auparavant, la pratique habituelle consistait à admettre un patient à l’urgence sur civière et à lui donner congé après une hospitalisation plus ou moins longue. Désormais, après évaluation, quand la situation le permet, il est dirigé vers un centre d’investigation ambulatoire pour une prise en charge rapide dès le lendemain. Le patient obtient son service, récupère habituellement mieux chez lui, et le travail de nuit est diminué, ce qui permet des horaires de travail plus intéressants pour tout le personnel.

De solides apprentissages

Pendant de nombreuses années, la pratique du basketball compétitif a offert à Jean-François Fortin-Verreault des enseignements inestimables sur l’esprit d’équipe, le courage de nommer les écarts, l’adversité et l’effort, la capacité à se sacrifier pour le groupe, la manière de réagir à une victoire et, évidemment, à une défaite, autant d’aspects qui ont enrichi le gestionnaire qu’il est devenu. «On peut beaucoup apprendre d’un échec, parce que cela signifie qu’il y a des choses qui n’ont pas été au rendez-vous, mais ce n’est habituellement pas un moment rassembleur. Au contraire, un succès favorise une plus grande ouverture et maximise les situations d’apprentissage.»

Le PDG aborde aussi la notion de rythme dans la prise de décision, une compétence très spéciale qui, visiblement, le fascine. Il se rappelle un moment marquant alors qu’il était dans l’équipe du CHUM et où, en tant que spécialistes, lui et ses collègues avaient fortement suggéré au patron de ralentir la réalisation d’un projet. Après les avoir écoutés, ce dernier en avait toutefois décidé autrement. «Et il a eu raison! Certains projets échouent parce qu’on va trop vite, d’autres ne lèvent pas parce que le momentum s’essouffle. C’est un art plus qu’une science, je travaille là-dessus depuis des années, et je ne peux pas encore dire que je maîtrise cette délicate compétence!»

Anticiper les événements, soupeser à l’avance leurs conséquences, écouter son intuition... Le choc expérientiel de la pandémie, où tant de choses auraient pu être abordées autrement, laisse à Jean-François Fortin-Verreault quelques regrets. «Je ne connais aucun dirigeant du réseau de la santé qui ne se questionne pas encore à ce sujet», dit-il.

Les 3 choses qui ont changé ma carrière

Le projet du CHUM

Le CHUM, un environnement qui présente des défis énormes, a été mon premier terrain d’apprentissage. Quelle belle occasion c’était que de travailler à l’un des plus grands chantiers en santé au Québec! Ça change une trajectoire professionnelle.

Le choix du CIUSSS de l’Est-de-l’Ile-de Montréal

J’ai choisi de me joindre à l’équipe en tant que PDG adjoint parce que, comme au CHUM, je désirais collaborer à un projet de société, aux grands chantiers de modernisation des hôpitaux Santa Cabrini et Maisonneuve-Rosemont. Ces établissements couvrent un immense territoire qui compte 535 000 citoyens établis depuis des générations dans un secteur négligé, et je voulais participer à corriger des iniquités historiques.

Les défis de la pandémie

Occuper un poste de dirigeant, à ce moment-là, c’était ressentir une pression et une peur immenses. Nous en subissons encore les contrecoups sur le climat social, sur la psychologie collective, et ils dureront longtemps. Des gens ont été profondément bouleversés et nous n’avons pas encore retrouvé tout à fait l’équilibre. Je suis encore ému par cette tragédie, mais j’ai beaucoup appris.

Il se souvient de ces journées d’inquiétude avant que le confinement ne soit annoncé, alors qu’il savait que les voyages de la semaine de relâche scolaire allaient accélérer la propagation du virus. Il a même songé à annuler les vacances du personnel. «Si c’était à refaire, je le ferais. Avec mon équipe, on se demandait comment gérer les employés qui rentraient de l’étranger. Aurait-on dû leur demander de rester à domicile en mode prévention? C’était impossible, on n’aurait pas pu répondre aux besoins des patients : il y avait déjà une pénurie de main-d’œuvre! Prendre les décisions difficiles au bon moment est un long apprentissage.»

Dans l’est de la ville, les facteurs populationnels favorisaient une contamination élevée et la première vague a été très éprouvante. En équipe, cherchant à faire toujours mieux, ils ont analysé, amélioré, changé leurs approches. «Mais ce sont des moments extrêmement pénibles qui me hantent encore aujourd’hui», avoue le gestionnaire.

Une vision à double foyer

Reconnu pour sa capacité à obtenir des résultats, Jean-François Fortin-Verreault mène des projets à court terme qui appuient sa vision de l’avenir. Ainsi, ceux qu’on réalise en amont des grands projets d’infrastructure de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont doivent servir un double objectif : régler des problèmes populationnels concrets et développer des capacités à soutenir les ambitions futures. «On ne veut pas seulement réussir à court terme : on veut des bases solides qui nous permettent de passer à des projets de fond», explique-t-il, utilisant l’image des lunettes à double foyer pour mettre en évidence l’ajustement constant entre les défis quotidiens et les objectifs qu’on ne veut pas perdre de vue.

Ces deux visions sont complémentaires, ce qui est probablement le secret de son enthousiasme devant les enjeux colossaux d’un système de santé fissuré. Entre la pénurie criante de main-d’œuvre, la détérioration des habitudes de vie décuplée par la pandémie et les listes d’attente, le PDG et ses équipes sont bien conscients de ne pas répondre aux besoins. «Mais si on reste le nez collé sur ça, c’est désespérant. Alors, sans négliger ce qui doit être amélioré, il est important de se rappeler qu’on a réalisé, ce mois-ci, tant de chirurgies de plus que le mois dernier, par exemple. Observer les choses sous différents angles nous permet de valoriser concrètement le quotidien et nous évite de nous perdre dans un discours négatif sur les services de santé.»

Le «nœud gordien» en santé, selon lui, c’est que les soins sont illimités. «On ne répondra jamais complètement, parce que la médecine et les traitements se développent en parallèle d’une population vieillissante. Certains services, comme l’aide médicale à mourir ou les diagnostics précoces chez les enfants qui ont des problèmes de développement, n’existaient pas avant. Tout cela exige davantage de ressources. Aussi, on opère des gens qu’on n’opérait pas avant, comme des patients âgés, parce qu’aujourd’hui, on réussit à avoir des résultats.»

Volubile, passionné, Jean-François Fortin-Verreault souligne tout ce qui a été fait dans l’espoir d’améliorer la situation. De toute évidence, il se consacre tout entier à son rôle exigeant. «C’est ce qui me plaît dans le milieu de la santé! À la fin de la journée, quand on réussit à améliorer l’accès aux soins, on a eu un impact réel sur la vie des gens.»

Dans la tête de Jean-François Fortin-Verreault

Qu’est-ce qui vous dit que la journée a été bonne, le soir venu?

Lorsque je réussis à avancer dans la poursuite de mes objectifs, la journée est particulièrement satisfaisante. Par exemple, cette semaine, nous avons inauguré en pathologie un projet que nous avions lancé il y a un certain temps. Il y avait des déficits importants dans cet environnement qui datait des années 1980, créant des délais pour l’analyse et l’interprétation des résultats et, par conséquent, pour les chirurgies. Grâce à ce nouveau milieu adapté et performant, tout le monde gagne : les patients, les équipes, les étudiants, les résidents en médecine.

Avec qui rêvez-vous de prendre un café?

Tellement de gens! Albert Camus, Barack Obama, Atul Gawande... Avec René Lévesque, aussi, qui a mené de grandes transformations sociales avec un infini respect de la population. Après l’élection du Parti québécois, il aurait pu gagner un référendum, mais il ne s’est pas laissé emporter par ses propres désirs. Il a démontré un leadership exemplaire.

La chose la plus dure qu’on vous ait dite ?

Il y a évidemment un écart entre la personne et le rôle, mais en période de crise intense, être blâmé pour des situations qui me dépassent alors que je travaille sans relâche à essayer de faire mieux, c’est difficile. Cette colère d’employés qui vivent une réelle souffrance me remue parfois.

Est-ce qu’il y a un problème qui vous tourmente?

Oui! Comment répondre aux besoins de la population tout en respectant la capacité des équipes et l’équilibre travail-famille? Il y a un écart entre ce que les gens s’attendent à recevoir comme services et ce que les employés souhaitent apporter comme investissement professionnel. À court terme, on peut forcer la note, mais ce n’est pas réaliste à long terme. Toutes les solutions, en organisation du travail, par exemple, sont insuffisantes par rapport à l’ampleur du problème. Entre la pénurie de main-d’œuvre et l’augmentation exponentielle des besoins, comment trouver l’équilibre? Cette question m’obsède.

Quel type de leader trouvez-vous particulièrement admirable?

Les personnages plus grands que nature m’impressionnent. Nelson Mandela, par exemple : malgré toute la violence qu’il a subie, il est sorti de prison avec un désir de réconciliation, une abnégation et un courage hors du commun. On aurait tellement besoin de transcender nos situations individuelles pour miser sur le bien-être collectif!

Votre principal conseil à un jeune dirigeant?

Trouve ce que tu souhaites accomplir. Connais la différence entre un poste, un titre et un travail qui donne du sens à ta vie.

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion