Femme de tête, de cœur et de courage, Isabelle Hudon était sans conteste la personne toute désignée pour nous entretenir du rôle et de la place des femmes dans nos entreprises et nos organisations, en cette Journée internationale de la femme. Le parcours de notre interviewée est proprement impressionnant. Isabelle Hudon a été présidente et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain de 2004 à 2008.

Après un bref passage dans le monde de la publicité chez Marketel, la voici qui s’installe en 2010 chez la Financière Sun Life en sa qualité de chef de la direction pour le Québec et de vice-présidente principale, solutions clients. Considérée comme l’une des femmes d’affaires les plus influentes au Canada, la dirigeante et, ne l’oublions pas, maman d’un jeune homme, a cofondé L’Effet A, une initiative ancrée dans l’action et visant à faire en sorte de faire émerger et d’actualiser l’ambition et le potentiel des femmes en affaires. Gestion l’a rejointe au téléphone à ses bureaux de Toronto.


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Les choses ont-elle évolué depuis quelques années, en matière d’accès à des postes de direction pour les femmes?

Oui, il y a une évolution. Il n’y a peut-être pas une évolution aussi marquée qu’on le voudrait sur le nombre de femmes qui accèdent à des postes de direction. L’évolution, c’est qu’il existe un dialogue et une conversation qui sont maintenant continus et publics à ce sujet. Ça garde une tension utile et respectueuse sur les leaders et les organisations afin de s’assurer qu’au quotidien, on se questionne sur nos façons de faire. Je pense qu’il y a aussi chez une majorité croissante de leaders une prise de conscience de la nature des éléments déclencheurs de l’ambition, qui ne sont pas les mêmes chez les femmes que chez les hommes.

Et à quoi peuvent ressembler ces éléments déclencheurs auxquels vous faites référence?

Par exemple, pour les hommes, l’aspiration à un titre plus important ou à un poste plus prestigieux éveille chez ces derniers une motivation ardente. Souvent, pour les femmes, ce genre de choses fait peur. Donc, essayer de convaincre une femme d’accepter une promotion alors que le titre et la tâche sont plus importants donne souvent l’effet contraire. Lorsque l’on tend la main à une femme et qu’on lui explique que ses aptitudes, son savoir-faire, son style de leadership sont requis pour un défi différent, on commence alors à jaser!

À vous entendre, pourrait-on dire, de manière générale, que la confiance demeure un obstacle majeur pour les femmes?

Ce n’est tellement pas une question d’aptitudes! Pas du tout! Mais le niveau de confiance que l’on s’accorde n’est pas le même chez une femme que chez un homme. Mais les choses changent. D’une part, les leaders dans les organisations sont de plus en plus habiles à s’adresser aux femmes pour les convaincre de gravir les échelons. D’autre part, le mélange des générations dans les organisations aide également les femmes à devenir plus confiantes. Et nous sommes plusieurs à en parler sur la place publique. C’est la raison pour laquelle j’ai créé L’Effet A, pour passer de la réflexion à l’action. Quand on met ces femmes [les participantes de l’Effet A] devant l’inspiration des actions concrètes, ça réveille ce qui était légèrement endormi. En mettant sur pied L’Effet A, je ne partais pas avec l’hypothèse que les femmes avaient moins d’ambition, mais qu’elles étaient plutôt timides à afficher cette dernière. Mon expérience à L’Effet A l’a confirmé.

Peut-être doit-on faire voir aux femmes non pas le titre et le salaire qui vient avec la promotion, mais davantage l’effet qu’elles peuvent avoir sur leur organisation et sur la société en général?

Tout à fait! C’est un élément de motivation très important chez les femmes. Comment peut-on influencer les gens autour de nous, comment mieux se préoccuper des individus qui nous entourent dans les organisations : voilà des éléments qui motivent les femmes! Nous avons une façon différente de voir le monde, et combiner la vision des femmes et des hommes ne fait qu’enrichir nos organisations. Lorsque l’on sait d’avance que les femmes sont davantage centrées sur le bien-être de la communauté, l’empathie, l’intelligence émotionnelle, il faut alors présenter les choses sous cet angle pour mieux les convaincre.

Passons au sujet des conseils d’administration. Vous avez siégé, et siégez toujours, à de nombreux CA. Voyez-vous une volonté d’avoir plus de femmes à ce niveau?

Encore là, le changement, c’est la conversation qui s’établit. Il faut garder cette conversation vivante, sans qu’elle soit agressante. Je tiens à cette cause parce que c’est impensable, dans le contexte dans lequel nous vivons et avec la pénurie de main-d’œuvre qu’on entrevoit, que l’on contourne un bassin de talents aussi riche que celui des femmes. Économiquement, cette équation-là ne fait pas de sens! Lorsqu’on soulève l’argument social de l'égalité hommes-femmes, la réception est plus difficile dans les conseils d’administration. Mais quand on avance des arguments économiques, ça résonne mieux avec la communauté des affaires¹. Et je pense qu’on est de plus en plus habile à faire valoir l’apport des femmes dans la mixité d’un conseil d’administration.

Devrait-on en arriver à une obligation, comme en Norvège par exemple, de réserver un pourcentage donné de sièges à des femmes dans les conseils d’administration?

Je ne suis pas du tout en faveur des quotas. À quel niveau doit se situer la parité? 50 % - 50 %? 60 % - 40 %. Je ne suis pas certaine qu’il existe un pourcentage « magique » à atteindre. Par contre, il faut être de plus en plus intelligent et stratégique dans la manière d’élaborer les arguments pouvant convaincre les femmes de venir s’asseoir à un conseil d’administration.


Note

1. Lire à ce sujet notre article « Les femmes dans les conseils d'administration, une initiative payante! ».