Le travail en mode matriciel procure de nombreux avantages. Cette forme de gestion nécessite toutefois de bien établir les règles du jeu et de savoir bâtir une culture commune qui repose sur la confiance.

Développées dans les années 1960 avec l’essor des grandes multinationales, les structures matricielles répondaient entre autres au besoin de mettre en place des mécanismes de gestion adaptés aux entreprises afin que ces dernières soient en mesure de gérer des organisations et des projets complexes qui mobilisent diverses compétences, souvent à travers plusieurs unités d’affaires et des équipes réparties dans plusieurs endroits.

Aujourd’hui, le mode de fonctionnement matriciel répond également à de nouveaux besoins, dont ceux qui consistent à mobiliser différentes compétences en vue d’innover; à rendre de grands processus d’affaires plus profitables; à piloter une expérience client multicanal; à uniformiser des pratiques en matière de sécurité... Dans un souci d’efficience, d’amélioration continue et/ou d’innovation ou encore dans un contexte de déploiement complexe, l’échange d’expertise et de ressources ainsi que la collaboration entre différentes fonctions sont désormais chose courante. Pourtant, malgré des besoins croissants, cette pratique reste un défi pour bon nombre d’organisations et de gestionnaires.

Deux types de fonctionnements en mode matriciel

La gestion matricielle repose sur la mise en place de structures en réseau au sein desquelles les employés sont rattachés à la fois à une hiérarchie fonctionnelle – par exemple par domaine de compétence ou par spécialisation – et à des équipes de projet temporaires ou de collaboration permanentes autour de grands processus d’affaires.

Pour bien comprendre les piliers de la gestion matricielle, il importe d’abord de connaître les deux modes de fonctionnement qui y sont liés.

1- Le mode projet : nous sommes ici dans un mode de gestion temporaire par définition. Les équipes multidisciplinaires sont formées pour une période déterminée dans le but de livrer un projet ou un programme. Ces équipes ont une durée de vie fixe, des livrables clairs, un leadership formel et une gouvernance spécifique. Très souvent, les membres de l’équipe se consacrent à temps plein au projet. Ce mode est en général bien connu et relativement bien maîtrisé par les organisations.

2- Le mode permanent : dans ce cas précis, il est question d’organisations qui sont structurées et qui fonctionnent en s’appuyant sur une collaboration matricielle permanente entre différentes fonctions. Le tout est généralement organisé autour de grands processus d’affaires ou de complémentarité d’expertises pour l’atteinte des objectifs d’affaires. Ces derniers sont souvent liés à des résultats opérationnels. Dans ce mode de collaboration et de gestion matricielle, les employés font partie de deux hiérarchies : leur fonction principale et des équipes transversales permanentes. Ainsi, les membres exercent des responsabilités claires dans leur département fonctionnel tout en travaillant régulièrement dans des équipes multidisciplinaires.

Bien exécuté, le mode de fonctionnement matriciel permanent comporte de nombreux avantages : efficience, créativité, rapidité de livraison, expérience client supérieure, plus grande motivation des employés, etc. Tout en présentant un grand nombre de points positifs, ce mode représente un défi pour beaucoup d’organisations, particulièrement pour les gestionnaires.

L’équilibre essentiel à atteindre : celui des volets structurels et culturels comme facteurs de succès de la collaboration

Fonctionner en mode matriciel présente certes des enjeux liés à la clarté des rôles et de la reddition de comptes, à la résolution de conflits potentiels entre responsabilités multiples, à la coordination des priorités entre les différentes directions, à l’alignement des pratiques de gestion ou à la prise de décisions, laquelle peut s’avérer plus complexe qu’avec d’autres modes d’organisation (comme le mode hiérarchique). Or, au-delà des aspects structurels ou fonctionnels, ce type de gestion relève davantage d’une manière de penser et du désir de collaborer. Comme le soulignent Christopher A. Bartlett et Sumantra Ghoshal dans leur article «Matrix Management: Not a Structure, a Frame of Mind» paru dans Harvard Business Review, la gestion matricielle n’est pas tant une structure qu’un état d’esprit à inculquer aux gestionnaires, et ces derniers sont les premiers responsables de la mise en place de cet état d’esprit.

Dans un univers matriciel, les volets structurels et culturels (le hard et le soft) sont comme deux faces d’une même pièce. Les deux sont nécessaires pour réussir : un cadre de collaboration clair et connu, et une culture où la collaboration est valorisée et soutenue par les leaders. Sans l’un ou l’autre de ces volets, ça coince; des règles strictes sans esprit d’équipe entraînent souvent un manque d’engagement, tandis qu’une culture et un désir de collaboration sans bases solides génèrent à la fois divers dysfonctionnements, un manque d’accent et des résultats nuancés.

Encadrer la collaboration : une étape clé vers la réussite

Associer un cadre de collaboration clair et des mécanismes de gestion appropriés avec une culture de collaboration et de confiance authentiques se veut la clé pour assurer le succès dans la gestion matricielle, car cette combinaison favorise une efficacité durable et une coopération harmonieuse au sein des équipes.

Par «cadre de collaboration», nous référons par exemple :

- à des objectifs communs et partagés;

- au degré d’autonomie de l’équipe;

- à la portée de la collaboration de ses membres;

- aux contributions attendues;

- au niveau d’engagement de chacun;

- aux mécanismes de décision ou d’escalade;

- aux mesures de succès.

Ces règles du jeu doivent être établies et communiquées par les gestionnaires fonctionnels qui sont responsables des participants à la matrice (les employés concernés par la situation de gestion). Le leadership formel de la situation matricielle doit aussi être clairement identifié lorsque cela est nécessaire et pertinent. Malheureusement, cette étape de clarification est souvent négligée, ce qui a pour conséquence un fonctionnement difficile, des frustrations au sein des équipes matricielles, des résultats mitigés et, surtout, une perception que la gestion est compliquée et inappropriée. N’ayant pas fourni de cadre aux équipes concernées ou ne leur ayant pas confirmé celui-ci, les gestionnaires qui sont aux prises avec ces problèmes deviennent les artisans de leur propre malheur et de celui de leurs équipes. Comment éviter ce cas de figure?

Confiance, responsabilisation et transparence : l’exemplarité des leaders

La composante culturelle en gestion matricielle repose sur deux bases : la confiance à établir et la collaboration à favoriser entre les équipes. Les gestionnaires se doivent de faire preuve d’exemplarité, car comment prôner la collaboration quand les leaders se posent en défenseurs de leurs fonctions ou renforcent en permanence les murs de leurs silos?

Une réelle responsabilisation et une délégation adéquate du pouvoir permettent aux équipes qui doivent collaborer d’atteindre ensemble des objectifs communs. Ces actions sont essentielles pour avancer sans constamment devoir se référer aux patrons hiérarchiques. Enfin, une rétroaction honnête et transparente aide à ajuster de façon continue autant les règles du jeu formelles que les comportements.

Trouver l’équilibre entre ces éléments comportementaux est vital pour établir un environnement dans lequel la confiance, la responsabilité et la communication ouverte s’épanouissent, facilitant ainsi une collaboration fructueuse et une progression efficace au sein de l’équipe. Cela prend du temps, et les gestionnaires doivent l’investir pour rendre cette collaboration aussi fructueuse que durable.

Le «nous» comme levier de collaboration

Trop souvent, les composantes des organisations ont des objectifs qui ne sont pas forcément collectifs ou alignés dans la même direction. Les perspectives fonctionnelles et individuelles priment souvent sur le collectif dans les projets transversaux et les structures de collaboration permanente. Nous nous posons en représentants de sa fonction pour en défendre les intérêts plutôt que comme contributeurs à un projet collaboratif.

L’ingrédient essentiel de la réussite d’un mode matriciel, c’est de favoriser et cultiver un état d’esprit collectif à l’intérieur duquel les gens travaillent ensemble avec un engagement commun envers des objectifs partagés, qui valorise la collaboration, la confiance et la responsabilité au bénéfice du collectif.

Une gestion matricielle réussie repose sur deux piliers incontournables : des règles du jeu claires et comprises qui sont établies ensemble par les gestionnaires concernés, de même qu’un état d’esprit commun qui s’exprime entre autres par la confiance et qui est porté par les leaders. Voilà les gages de la réussite d’une collaboration au service du «nous».