Dans le contexte d’affaires actuel, les organisations doivent être de plus en plus stratégiques dans la gestion des talents. Celle-ci comprend non seulement les plans de développement et de succession des postes clés, mais aussi les stratégies portant sur l’acquisition, le développement ou la rétention du capital humain. Quels indicateurs peut-on utiliser pour mesurer la gestion des talents afin de maximiser le succès et l’impact de celle-ci?

Si la gestion des talents s’articule autour d’une réflexion stratégique, un plan d’action doit également être conçu. En principe, ce plan donne à l’organisation l’assurance qu’elle aura le talent nécessaire au moment opportun pour répondre à ses différents besoins sur un horizon d’un à cinq ans. Afin de pouvoir s’adapter, l’entreprise doit alors évaluer et suivre en continu l’efficacité de son plan (quantité, durée et coûts), son efficience (qualité et satisfaction) et son impact (valeur créée et pertinence).

Mesurer les bonnes choses

Les indicateurs de mesure des ressources humaines (aussi appelés métriques RH) sont généralement analysés de façon isolée, ce qui présente un certain risque. Chacune des données ne procure alors qu’un portrait partiel de la situation[1]. Si on ne mesure par exemple que le rendement pour déterminer les meilleures sources d’embauche, on pourrait omettre des détails importants. En se posant des questions complémentaires sur ce que constitue un rendement d’embauche souhaitable pour l’organisation, on y ajoutera notamment les éléments de coûts par embauche, de rétention et de qualité des embauches. Ce jumelage d’indicateurs d’efficience (ressources investies) et d’efficacité (atteinte d’un objectif) offre ainsi une vue plus globale de l’état des choses et des meilleurs choix à faire. 

Les 5 étapes à suivre

Les mesures habituellement utilisées dans l’évaluation du capital humain ne sont souvent pas formulées dans l’intention d’évaluer l’impact stratégique qu’ont les ressources humaines sur la performance de l’entreprise. Il s’agit avant tout de rapports de conformité ou de satisfaction. Lorsque ces données sont prises isolément, leur lien avec la stratégie d’affaires est souvent nébuleux, quand celui-ci n’est pas carrément absent. Pour mesurer de façon efficace et efficiente la gestion des talents au sein d’une organisation, il est judicieux de suivre ces cinq étapes : 

Étape 1 –  Bien comprendre les tendances, le contexte et la stratégie de l'organisation

Lorsqu’on effectue cette analyse, on arrive à cerner ses besoins en ressources humaines pour favoriser l’efficacité organisationnelle. Cette logique systémique permettra par la suite de reconnaître ce qui doit être mesuré, pourquoi on doit le faire et comment ces données peuvent être liées à la stratégie de l’entreprise. Concrètement, le modèle de l’escalier[2] s’avère un outil pratique pour approfondir cette réflexion (voir ci-dessous). Les marches de l’escalier relient la stratégie aux objectifs organisationnels (croissance des ventes, des produits, etc.), lesquels sont influencés par les comportements, les attitudes et les compétences des talents, qui sont à leur tour transformés en résultats RH. Ces derniers sont eux-mêmes engendrés par des activités de gestion des ressources humaines.

À la fin de cette étape, on aura donc une idée concrète de ce qu’on veut mesurer (la troisième marche du modèle). Par exemple, si on détermine qu’il faut suivre le risque d’attrition des talents, il faudra définir ce qu’on veut inclure dans cette analyse. Veut-on y inclure les promotions, les mutations, les retraites? Vaut-il mieux cibler plus précisément l’attrition volontaire liée aux démissions?

Étape 2 –  Choisir quoi mesurer 

Les initiatives et les résultats RH attendus en lien avec la stratégie sont les concepts clés à mesurer pour générer des indicateurs RH prédictifs. Mais attention, tous les indicateurs n’ont pas la même valeur. En effet, un bon indicateur fournit des informations à partir desquelles on peut agir. Il est primordial de se concentrer sur les plus pertinents plutôt que de risquer une surcharge d’informations qui ne fera que générer du bruit, et potentiellement distraire les équipes des éléments vraiment importants.

Étape 3 –  Modéliser le phénomène à mesurer

Deux questions clés sont à l’origine de cette réflexion :
– Qu’est-ce qui pourrait faire varier à la hausse ou à la baisse ce qu’on souhaite mesurer?
– Que prévoit-on de faire si les données sont inférieures ou supérieures à ce qu’on avait estimé?

Le fait de réfléchir aux éléments qui ont façonné le contexte dans lequel s’inscrit le phénomène qu’on souhaite mesurer et d’évaluer ses conséquences potentielles permet de confirmer les hypothèses émises et les choix effectués au cours des deux premières étapes. Cela permet d’établir ensuite une véritable chaîne de valeur afin de mieux comprendre les liens de causalité entre les différents éléments (voir l’exemple illustré ci-dessous).

Le résultat de la modélisation permet de mieux comprendre l’élément mesuré ainsi que la raison pour laquelle il est important de le mesurer.

Étape 4 –  Sélectionner les indicateurs de mesure

Il est nécessaire à cette étape d’être cohérent avec les conclusions qui se sont imposées dans les étapes précédentes. En effet, dans un récent sondage mené auprès de gestionnaires et de professionnels RH sur l’importance du choix et de l’utilisation des outils de mesure en matière de recrutement, 60% des répondants ont jugé important ou extrêmement important de mesurer le retour sur investissement des recrues. Or, seulement 25% de ces personnes disaient évaluer concrètement cette donnée.

Puisque le phénomène qu’on souhaite mesurer risque fort probablement d’être vaste et complexe, plus d’un indicateur de mesure sera nécessaire afin de bien saisir ses dimensions clés[3].

Étape 5 –  Définir les régles d'interprétation des mesures

Il faut maintenant contextualiser les résultats, soit par la comparaison avec ceux obtenus par d’autres organisations, avec des résultats obtenus précédemment ou encore avec une cible prédéfinie. Par ailleurs, les mesures doivent être suivies dans le temps, et non constituées de simples prises de vue instantanées à des moments variables. Bref, cette étape sert par exemple à fournir ce type d’indicateur : si la mesure augmente au-delà de la norme (X%), alors cela signifie que des actions correctives sont requises.

Les pièges à éviter

Il ne sert à rien de toujours repartir à zéro. Le phénomène qu’on désire mesurer a certainement fait l’objet d’analyses dans le passé. À partir de sources variées comme les articles scientifiques ou les études de spécialistes, on arrive souvent à trouver une multitude d’informations crédibles[4]. On peut apprendre d’autres services de l’organisation, qui sont généralement à même de témoigner de leurs expériences.

Le but de la mesure est de minimiser l’incertitude, et non de l’éliminer[5]. La recherche d’une trop grande précision peut être contre-productive : si l’information est trop détaillée, le dialogue risque de dériver, le sens de l’indicateur ne sera pas perçu dans sa globalité et son effet «fédérateur» sera sérieusement diminué. Il n’est donc pas nécessaire d’atteindre un degré extrême de précision ou un niveau de confiance ultime pour que cette mesure puisse favoriser la prise de décision, et permettre de réduire l’incertitude. On doit partir du principe que si une chose a de l’importance, c’est assurément parce qu’elle entraîne des conséquences, souhaitables ou non, qui peuvent être observées[6]. En identifiant ces différents éléments, il est plus aisé de concevoir un outil de mesure qui fournira des informations précieuses sur ce qui compte réellement.

Lorsqu’on commence un projet d’élaboration d’indicateurs, il est souvent tentant de se lancer immédiatement dans le choix des indicateurs mêmes. Or, l’essentiel du travail consiste à réfléchir à ce qu’on veut mesurer et aux éléments qui influeront sur ces indicateurs. Le processus de création ou d’évaluation des mesures en matière de gestion de talents n’est pas un événement ponctuel. Il doit être revu régulièrement afin de s’assurer que les livrables sont toujours pertinents par rapport à l’évolution du contexte et de la stratégie de l’entreprise.

Article publié dans l’édition Automne 2023 de Gestion


Notes

[1] Boudreau, J. W., et Ramstad, P. M., «Beyond cost-per-hire and time to fill: Supply-chain measurement for staffing» (document en ligne), Center for Advanced Human Resource Studies (CAHRS), Université Cornell, 2001, 22 pages.
[2] Le Louarn, J.-Y., et Gosselin, A., «GRH et profits : y a-t-il un lien?», Effectif, vol. 3. n° 2, avril-mai 2000, p.18-23.
[3] Becker, B. E., Huselid, M. A., et Ulrich, D., The HR Scorecard : Linking People, Strategy, and Performance, Boston, Harvard Business School Press, 2001, 256 pages.
[4] Hubbard, D. W., How to Measure Anything : Finding the Value of Intangibles in Business, Hoboken, John Wiley & Sons, 2014, 432 pages.
[5] Ibid.
[6] Ibid.