Article publié dans l'édition hiver 2017 de Gestion

La gestion des risques est capitale dans toute décision d’affaires. Aucun entrepreneur ou dirigeant ne décide d’ouvrir de nouveaux marchés, d’embaucher des employés ou de lancer un nouveau produit sans « calculer » les risques. Comment la concurrence réagira-t-elle ? Ce produit atteindra-t-il les cibles de ventes prévues ? Pourquoi alors créer une discipline de la gestion des risques ? Peut-être, justement, parce que les décideurs n’en tiennent pas toujours suffisamment compte…

La gestion des risques prend du galon pendant les crises. Pourtant, chaque dirigeant d’entreprise sait quels risques il encourt. Pourquoi, dès lors, vouloir protéger des acteurs économiques qui assument leur propre destin ? C’est que ces entreprises ne sont pas seules : leurs actions ont un effet sur le marché lui-même.

Dans les années 1980, les banques se sont mises à risque à la suite de prêts internationaux très substantiels qui ont mal tourné. La Banque des règlements internationaux a alors établi des contraintes encadrant les activités bancaires mondiales. C’est ce qui a mené à l’encadrement des risques des institutions bancaires tel qu’on le connaît aujourd’hui avec « Bâle 1 » et « Bâle 2 » ainsi qu’au concept de valeur à risque (VàR).


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La valeur du « pire »…

Dans son essence, la VàR est un calcul très simple. C’est une mesure statistique simple du « pire qui puisse arriver ». Avec la VàR, on peut établir avec un degré de confiance donné que le « pire qui puisse arriver » ne dépassera pas une certaine valeur calculée. Prenons un exemple : on désire établir avec 95 % de certitude quelle sera la perte maximale dans une activité particulière.

Si une société de gestion de portefeuille veut prévoir « le pire qui puisse arriver » et être confiante de ne pas en perdre davantage dans 95 % des cas, elle peut étudier les résultats passés du portefeuille. Supposons qu’elle constate que le pire rendement des 20 dernières années, une fois sur 20, s’est établi à - 20 %. Or, le portefeuille vaut 100 millions de dollars. La VàR, dès lors, est de -20 % (100 millions) = - 20 millions. Dans 95 % des cas, on ne risque pas de perdre plus de 20 millions sur ce portefeuille.

Nous avons donc une mesure très précise et très simple du risque. Mais nous permet-elle de gérer les risques en pratique ? C’est ici que l’histoire se complique. Depuis maintenant des décennies, les banques sont soumises aux réglementations, de plus en plus strictes, en matière de risques. Durant la crise de 2008, les grandes banques, partout dans le monde, employaient des milliers de personnes pour gérer leurs risques. Alors pourquoi ont-elles fait défaut au point d’être trop importantes pour sombrer (« too big to fail ») ?

La gestion des risques : ça fonctionne ou pas ?

Deux problèmes se présentent alors : primo, la mesure de la VàR couvre une partie des risques (95 %, par exemple). Elle ne couvre pas les risques restants (5 %), ceux qui sont les plus destructeurs. Secundo, les modèles mathématiques qui sous-tendent les calculs des risques reposent sur des hypothèses que d’aucuns qualifieraient d’erronées. Or, transiger sur la base d’un modèle relativement peu réaliste peut mener à de profonds désagréments ou carrément alimenter une crise.

Un autre défi posé aux régulateurs, c’est le risque systémique. De quoi s’agit-il ? C’est le fait que, même si chaque institution financière transfère ses risques à d’autres institutions financières, le total des risques encourus dans le système financier demeure prisonnier de ce système et reste alors le même. Le risque du système financier n’est pas, pour ainsi dire, évacué de ce système. Les régulateurs se penchent avec attention sur ce défi. Ils ont imposé des tests de résistance bancaire, c’est-à-dire des simulations qui ont pour but de permettre de comprendre la réaction des modèles de risques bancaires à des chocs négatifs importants. Mais est-ce suffisant ?

Dans la foulée de la crise financière de 2008, la gestion des risques est à un tournant. En déficit de crédibilité, elle fait ironiquement l’objet d’un regain d’intérêt afin d’éviter de subir une nouvelle catastrophe d’ampleur similaire. Pour ce faire, des hypothèses plus réalistes, un risque systémique maîtrisé, un contrôle des expositions à des risques excessifs et des mécanismes améliorés de gestion des risques sont plus que jamais nécessaires. Les régulateurs sont partout à l’affût. Par contre, quiconque a étudié la finance sait que des risques réduits sont possibles au prix de rendements comprimés. Sommes-nous en train d’assister à un réajustement à la baisse sur le long terme des attentes devant les rendements des marchés boursiers ? À vous d’y réfléchir.


Pour aller plus loin

  • Jean Le Ray, La Gestion des risques – Pourquoi ? Comment ? La Plaine Saint-Denis (France), AFNOR éditions, 2010, 392 p.
  • John Hull, Gestion des risques et institutions financières (3e édition), Paris / Toronto, Université Louis Pasteur Strasbourg I / Université de Toronto (Pearson Education), 2013, 440 p.
  • Moorad Choudhry, An Introduction to Value-at-Risk (5e édition), Hoboken (New Jersey), Wiley, 2013, 224 p.
  • Sim Segal, Corporate Value of Enterprise Risk Management – The Next Step in Business Management, Hoboken (New Jersey), Wiley, 2011, 432 p.
  • Harold D. Skipper et W. Jean Kwon, Risk Management and Insurance – Perspectives in a Global Economy, Hoboken (New Jersey), Wiley, 2007, 768 p.