Des équipes qui collaborent, c’est à la fois bon pour la performance, la culture de travail et l’innovation. Qu’est-ce qui entrave encore la gestion collaborative au sein des organisations? Comment la favoriser? On fait le tour de ces questions avec Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal et formateur à l'École des dirigeants.

La gestion collaborative fait ses preuves auprès des organisations. 55 % des travailleurs de la connaissance* issus d’entreprises misant sur une gestion collaborative disent ainsi avoir vu les recettes de leur organisation augmenter au cours des trois dernières années, selon une étude du concepteur d’outil de gestion de projet Asana. À l’inverse, ce constat est près de deux fois plus faible auprès des travailleurs évoluant dans des organisations qui ne favorisent pas la collaboration.

Aussi encourageants que soient ces chiffres, la gestion collaborative n’est pas facile à mettre en place, notamment dans le contexte postpandémique qui voit le télétravail se normaliser. «Quand on est à distance, notre réseau est plus petit, on interagit avec moins de personnes, on crée moins de liens forts avec les gens», souligne Alain Gosselin.

Or, le manque de collaboration s'accompagne d’effets délétères, poursuit l’enseignant : la diminution des rencontres impromptues réduit les opportunités d’innovation. Une communication qui passe mal entre les départements peut également engendrer un manque de fluidité dans l’offre de services ainsi que des pertes de temps considérables. «Les présidents, ça les rend fous. Ils font le tour de leurs opérations et voient des choses extraordinaires qui fonctionnent dans certains services sans être appliquées ailleurs.»

Quand la compétition domine

Pourquoi la connaissance ne se distribue-t-elle pas? Cela peut venir d’un manque d’organisation, voire d’une volonté de garder jalousement l’information dans un esprit de compétition, indique l’enseignant, qui précise que cette tendance ne s'observe généralement pas au sein même des équipes, mais entre elles. «La problématique de la collaboration n’est pas intra, mais inter. Interdépartementale, interprojet, interétablissement, interusine».

Des barrières d’autant plus compliquées à faire sauter que les individus sont conditionnés à se mettre en compétition les uns vis-à-vis des autres, estime Alain Gosselin. «On valorise et on enseigne la compétition, notamment dans la stratégie et en marketing, mais on n’enseigne pas la collaboration. On pense que c'est quelque chose de naturel ou d'acquis, alors que ce n’est pas le cas.»

Des services interdépendants

Outre la perte de performance et d’innovation qu’il génère, le manque de collaboration n’est plus tenable pour les organisations, pour des raisons simplement organisationnelles, soutient l’enseignant. L’offre de services des entreprises, qui amène de plus en plus les clients à travailler avec plusieurs départements, rend en effet les procédés plus complexes et interdépendants. «Personne n’est capable de régler un problème tout seul, parce que les problématiques sont toutes transversales».

Et ce qui est valable à l'échelle de l’entreprise l’est à celle des individus, pense le professeur. Une fois qu’un travailleur a atteint la limite de ce qu’il peut apprendre au sein de son équipe ou de sa compagnie, c’est l’élan collaboratif qui va lui permettre d’aller chercher le savoir à l'extérieur, «en collaborant avec des gens qui font le même métier, mais dans d'autres organisations ou en travaillant leur réseau de connaissances pour y inclure des gens qui contribuent à leur développement tels que des mentors.»

Prérequis et bonnes pratiques

Avant de mettre en place des actions concrètes leur permettant d’instaurer un style de gestion collaboratif, les organisations gagnent à jeter un coup d'œil rétrospectif aux projets qu’elles ont réalisés en collaboration, croit Alain Gosselin. Analyser les raisons qui les ont amenées dans le passé à choisir ce mode de gestion peut en effet les y ramener. «Ce sont souvent de maudites bonnes raisons : le besoin d'être plus productif, d’innover ou de résoudre un problème complexe qui nécessite de se mettre ensemble et de se faire confiance.»

Autre prérequis : dépasser les anciennes pratiques valorisant à l’excès l’autonomie et la responsabilité des individus afin de reconnaître l'interdépendance entre travailleurs et entre équipes. «Beaucoup de gens ne veulent pas l’admettre. Ils ont appris à gérer leurs affaires seuls et ne veulent pas avoir à dealer avec les autres», soutient Alain Gosselin.

Travailler en collaboration, c’est enfin accepter les écueils qui l’accompagnent tels qu’une augmentation sensible de la charge de travail, du nombre de courriels et de réunions. Cela induit également une possible perte de contrôle sur les résultats et la visibilité, avertit le professeur, qui souligne du même trait la force de la récompense : performance améliorée, innovation, fluidité des services, mais pas seulement. Cela crée aussi une culture organisationnelle propice à attirer et retenir les jeunes employés. «L’organisation va se donner une culture plus agréable à vivre qu’une culture basée sur la compétition. C’est d’autant plus attractif pour un public jeune habitué à l’utilisation d’outils collaboratifs.»

Dans la pratique, la collaboration au travail peut revêtir une multitude de formes : mettre en place des objectifs communs, évaluer la performance collective, favoriser l’embauche de candidats collaboratifs, créer des postes pivots faisant le pont entre les services ou encore favoriser une formation transversale des employés. Il n’y a pas de recette, «on peut vraiment toucher à plein, plein de choses pour faciliter la collaboration.»


Pour aller plus loin

Alain Gosselin anime plusieurs formations à l'École des dirigeants HEC Montréal :


Notes

*Les travailleurs de la connaissance sont des employés dont le temps de travail est consacré en priorité au support back office d'une organisation plutôt qu’à la production des produits ou services.