Les grandes banques centrales européenes jouent d'audace pour relancer l'économie du Vieux Continent.

Est-il possible pour une banque centrale de verser un intérêt négatif sur les dépôts effectués dans ses coffres? Tout à fait, et c'est ce que certaines d'entre elles, et non les moindres, ont adopté comme politique depuis quelques mois.

Elles sont en effet de plus en plus nombreuses à employer ce procédé, que ce soit la Sveriges Riksbank suédoise, qui offre un taux de 0,5 % en négatif, la Bank of Japan (-0,1 %), la Banque nationale suisse (-0,75 %) de même que la Banque centrale européenne, la Deutsche Bundesbank allemande ou la Banque de France, qui proposent toutes trois un taux de -0,4 % sur les dépôts. De fait, c'est ainsi 500 millions de personnes, parmi les économies les plus importantes du globe, qui sont sujettes à cette orientation de leurs banques centrales respectives. On peut donc parler d'une tendance...

Stimuler par la négative

Quelle est la logique et l'intention derrière cette politique de taux d'intérêt négatifs? Alors que les banques centrales versent un certain intérêt sur les sommes que leurs clients laissent dans leurs coffres, celles-ci, en vertu de cette politique, demanderont à ces mêmes clients un certain montant d'argent (l'équivalent du taux négatif) afin de conserver ces sommes sous clé. Cette politique, il est important de le souligner, ne touche pas directement les simples mortels que nous sommes, mais davantage les institutions bancaires et leurs banques centrales, qui s'échangent quotidiennement des centaines de millions en devises. Dans les faits, par exemple, la Banque de France, avec un taux d'intérêt négatif actuel de 0,4 %, sera en droit de demander un surplus de 4 000 euros à toute banque française qui laisserait un million d'euros dans ses coffres. Mais, in fine, il est clair que ce 4 000 euros ne sortira pas des poches de la banque, mais de celles de ses membres, qui se verront imposer des frais supplémentaires quelconques. D'autant que dans la réalité, la Banque centrale européenne, pour ne nommer que celle-ci, accueille quotidiennement environ 800 milliards d'euros en provenance des coffres de ses membres. Faites le calcul : cette dernière peut donc exiger 3,2 milliards d'euros d'intérêt à ses déposants, et ce tous les jours!

Bref, ayant ce montant à l'esprit, les banques centrales font le pari que les institutions bancaires seront davantage incitées à prêter davantage, à des taux très bas doit-on préciser, ou à investir. Par ailleurs, des taux d'intérêt négatifs auront aussi comme conséquence de réduire la demande de monnaie nationale pour les pays qui se sont engagés dans cette voie, réduisant de ce fait la valeur de cette dernière et stimulant du même coup les exportations. Tout cela ne vise donc qu'à une chose : stimuler et relancer l'économie.On remarquera au passage que cette politique de taux d'intérêt a essentiellement été le fait de pays, notamment européens, aux économies poussives...

Une nouvelle voie?

À cet égard, les gouverneurs des banques centrales n'ont certainement pas manqué d'audace en mettant de l'avant cette orientation, considérée il n'y a pas si longtemps comme une véritable hérésie. Mais, comme le font valoir Jana Randow et Simon Kennedy dans leur article publié sur le site Internet de l'agence Bloomberg (lire « Negative Interest Rates. Less Than Zero »), il est sans doute trop tôt pour mesurer pleinement les effets de la chose. Car un dérapage potentiel est toujours possible, affirment les experts du domaine. Une politique de taux d'intérêt négatifs pourrait forcer les épargnants à garder leur pécule dans leur bas de laine ou sous leur matelas, plutôt que de le déposer à leur institution bancaire qui leur offrirait un taux d'intérêt frôlant le 0 %. Et moins d'argent disponible en banque signifie aussi contraction du crédit, et ralentissement économique en vue... C'est un risque que la Réserve fédérale américaine, la Banque d'Angleterre et la Banque du Canada n'ont pas voulu courir, celles-ci ayant à ce jour maintenu leur taux directeur à droite du zéro, à 0,5 %.

Au final, il semblerait que la politique de taux d'intérêt négatifs ait du bon jusqu'à présent. Le PIB européen prend du mieux (1,5 % de croissance prévue pour 2016) et la situation économique générale du Vieux Continent semble s'améliorer lentement mais sûrement. Mais la plupart des observateurs s'entendent sur le fait que cette politique constitue essentiellement un expédient, et qu'il faudra s'attaquer au problème de la croissance et de la prospérité par des incitatifs sans doute moins artificiels, et plus positifs...