Élaborer un plan stratégique à la fois concret et efficace : un art que ne maîtrisent pas toutes les organisations. À partir d’exemples réels, nous vous présentons certaines erreurs parmi les plus fréquentes à ce sujet. Saurez-vous les relever?

Une planification stratégique est un exercice extrêmement délicat qui requiert beaucoup de méthodologie ainsi qu’une grande créativité. Cette complexité pousse parfois les planificateurs à se perdre dans le processus, ce qui conduit alors à des absences, à des incohérences ou à des erreurs.

Dans cet article, on vous invite à analyser certains défauts récurrents, pris dans des plans stratégiques existants, pour vous permettre de développer votre esprit critique et d’établir des garde-fous essentiels à l’étape de la planification. Les exemples présentés sont réels; ils ont été anonymisés et tronqués afin de ne pas porter préjudice à une entreprise ou à un organisme en particulier.

La fiche de tâches

Observez le plan ci-dessous élaboré par un organisme à but non lucratif. Quelles critiques pourriez-vous formuler à son sujet? Indice : vous pouvez vous aider du titre du paragraphe.

Mission

  • [L’organisme] rassemble et concerte le peuple […] afin de représenter ses intérêts. 

Plan stratégique (liste d’objectifs partielle)

  • Axe 1 – Concertation des divers acteurs
    • Assurer la mise en œuvre d’activités unificatrices
    • Créer des occasions de réfléchir sur des enjeux clés ensemble
  • Axe 2 – Représentation du peuple
    • Assumer le rôle de porte-parole
    • Faire reconnaître le statut et rôle de [l’organisme] comme représentant du peuple
    • Représenter la communauté
  • Axe 3 – Promotion de la culture
    • Positionner [l’organisme] sur les diverses plateformes de communication
    • Positionner [l’organisme] dans les grands événements

La première chose à remarquer ici est l’absence d’objectifs. Le plan ci-dessus ne liste en effet que des actions ou des activités regroupées en grandes activités (les axes). D’ailleurs, les intitulés des axes mis bout à bout recomposent peu ou prou la mission. Autrement dit, chaque « objectif » du plan stratégique concourt à la réalisation de la mission et n’apporte a priori aucun changement notable au sein du groupement. En étant plus caricatural, il y aurait lieu de comparer cet exemple à une fiche de tâches pour l’organisme.

Cette erreur peut être facilement évitée en vous rappelant la raison d’être de la planification stratégique : définir un but à atteindre et tracer dans les grandes lignes le chemin pour y parvenir. Le plan doit donc comporter une série d’objectifs concrets convergeant vers le but en question.

La trancheuse à stratégie

Dans les organismes publics, répartir la stratégie en sous-stratégies se veut une forme de plan assez courante. Quelles remarques pouvez-vous formuler en observant le bloc ci-dessous?

Plan stratégique (liste d’objectifs partielle)

  • Développer et mettre en œuvre une stratégie pour le mieux-être et la rétention de nos équipes
  • Développer et mettre en œuvre une stratégie pour le recrutement des membres de nos équipes
  • Élaborer et mettre en œuvre un plan de développement et de gestion des technologies […]

Si vous avez identifié l’absence d’objectifs, bravo! Il ne s’agit ici que d’activités : celles qui consistent à concevoir des plans et à les mettre en œuvre. Par exemple, améliorer la rétention est un concept vague : faut-il doubler cette dernière? La tripler? Etc.

Un plan stratégique doit représenter une feuille de route à suivre pour atteindre un but. Il s’adresse à l’entreprise ou à l’organisme dans son ensemble et très rarement à des secteurs précis. Bien sûr, il sera décliné en plans plus détaillés en fonction des vice-présidences ou des directions. Diviser une stratégie en sous-stratégies ajoute selon moi du flottement à l’incertitude de l’avenir. Vous accroissez le risque de faire de la microgestion ou de diviser vos ressources pour des gains moindres. En outre, vous déléguez une part de responsabilité à des équipes et vous serez alors dépendant de leurs succès. Le pire serait d’avoir une multitude de plans dont les durées et les liens de subordination ne colleront plus avec votre structure organisationnelle et votre rythme, ce qui engendrera désorganisation et travail en silos.

La stratégie du paquebot

Analysons à présent la manière dont le plan suivant a été élaboré par un autre organisme à but non lucratif.

Plan stratégique (extrait du contexte de la planification)

  • À la conception du présent plan stratégique, le fait que des modifications seront apportées à la structure organisationnelle actuelle de [l’organisme] a été pris en compte. Dans le cadre de cette restructuration, une fondation […] sera créée pour ajouter aux activités actuelles […]

Ici, des décisions prises précédemment influent sur la planification en donnant au groupe une direction à poursuivre.  L’exemple ci-dessus nous laisse à penser que la mise en œuvre d’un changement, acté lors d’un plan précédent, sera alors réalisée automatiquement dans le plan à venir, sans même réévaluer le bien fondé de la décision prise cinq ans auparavant. Nul ne peut alors présager des conséquences de cette influence. Plus généralement, ce phénomène pousse certaines entreprises à vouloir aller jusqu’au bout de projets, pourtant voués à l’échec, pour ne pas « perdre » l’investissement consenti, à l’instar du joueur de casino par exemple.

Tel un paquebot lancé à pleine vitesse, l’entreprise ou l’organisme aura donc les plus grandes difficultés qui soient à changer de cap si le besoin s’en fait ressentir. Normalement, une stratégie prend fin lorsque la situation l’exige ou que le but est atteint. Dans le monde des affaires, elle s’achève à une date prédéfinie, calquée sur le cycle budgétaire. Pour éviter cela, vous pouvez alors redéfinir le but pour le rendre plus accessible, rallonger la durée d’exécution de la stratégie, réduire votre temps de planification et prévoir un temps de stabilisation en fin d’exécution.

Le plat de spaghettis

Dans l’exemple ci-dessous, vous trouverez un extrait du plan stratégique d’un organisme public de formation. Au total, le plan comprend 22 orientations et 52 objectifs. Quels défauts pouvez-vous y déceler?

Plan stratégique (liste d’objectifs partielle)

  • Orientation 1.1 : [L’organisme] consolide sa stratégie de recrutement afin de demeurer la destination de choix des élèves […]
    • Appuyer le plan de recrutement auprès des écoles […]
    • Adapter la stratégie de recrutement international en fonction d’un environnement sans cesse changeant
    • Mobiliser toute la communauté […] dans la démarche de recrutement
  • Orientation 2.5 : [L’organisme] renouvelle et renforce sa stratégie interne et externe de communication, de promotion et de marketing en faisant la promotion de ses réalisations, de ses services et programmes ainsi que de sa mission et de ses valeurs.
    • Renouveler et intensifier notre stratégie interne et externe de communication, de promotion et de marketing
    • Promouvoir le rôle que joue [l’organisme] au sein de la société ainsi que la mission et les valeurs qu’elle véhicule et les communiquer efficacement

Vous commencez à y être habitué; vous avez donc dû noter l’absence d’objectifs. Ensuite, un plan qui comprend 22 orientations et 52 objectifs est un plan abscons : soit vous vous noierez dans un niveau de détail tel que vous perdrez le recul nécessaire pour coordonner les grandes équipes; soit les équipes elles-mêmes se perdront dans l’ensemble des tâches, qui ne seront pas forcément bien ordonnées; soit vous faites de la microgestion. Un plan doit rester simple et de bon niveau; il vous faut trouver le juste milieu dans le détail de la trajectoire à suivre. Schématiquement, un plan stratégique doit avoir un but unique, trois axes et deux ou trois objectifs par année.

Le château de cartes

Quelle que soit la méthodologie suivie, l’ensemble de votre stratégie reposera sur la justesse de votre analyse de la situation. Cette partie mériterait à elle seule un ouvrage complet; aussi n’allons-nous ici que formuler quelques mises en garde quant aux défauts communément rencontrés à ce sujet. Ainsi, vous trouverez ci-dessous un florilège d’extraits de plusieurs plans stratégiques, plutôt qu’un exemple particulier.

Extraits de différents plans stratégiques (phase d’analyse)

  • Plus de 45 séances de consultation ont été organisées […] et 600 personnes ont participé
  • Une large consultation a été menée auprès de la population. Les commentaires ont été recueillis lors d’un sondage public
  • Une rétrospective sur les réalisations des cinq dernières années a permis de dresser un portrait clair de la situation
  • Une analyse FFPM a été menée

Mener de larges consultations peut sembler rassurant, mais cela comporte également de grands risques : une dissolution d’informations importantes dans la masse des données, un effacement de l’ambition au profit d’un consensus, un apport de changement réduit, etc.

Par ailleurs, il est indispensable de procéder à une rétrospective pour faire évoluer vos méthodes de planification ou d’organisation. Elle peut aider à l’évaluations de la situation, mais elle ne doit pas conduire à l’imposition d’une direction à suivre avant même d’avoir défini de but.

La méthode des « forces, faiblesses, possibilités et menaces » (FFPM, ou SWOT [Strengths, Weaknesses, Opportunities, and Threats] en anglais) comporte de nombreux avantages, mais également certains défauts : elle fournit une vision très partielle qui dépend des personnes consultées; elle donne une image figée qui ne permet pas forcément de présumer de l’évolution à venir; elle peut générer beaucoup d’informations sans les prioriser… C’est sans compter que, trop souvent, les faiblesses comme les menaces sont laissées de côté pour ne garder que les points positifs.

Le plan idéal en 4 questions

La planification stratégique est un processus complexe. Comme vous l’avez vu, de nombreux écueils sont possibles, et il faut beaucoup de rigueur pour les éviter. Le but de cet article était d’aiguiser votre esprit critique pour vous permettre de déceler les grandes erreurs les plus fréquentes à ce sujet et de concevoir des plans à la fois plus concrets et plus pratiques. Le dernier conseil – et certainement le plus important – est de rester clair et concis : votre plan doit être compris par toute votre équipe, sans ambiguïté, et il doit pouvoir être schématisé sur une seule page.

En résumé de cet article, voici quatre questions, en guise de garde-fous, à garder en tête pour vous assurer que votre plan stratégique est adéquat :

  • Est-il unique, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être reproduit sur plusieurs cycles?
  • Fait-il référence à l’environnement (concurrence, partenaires, marché)?
  • Avez-vous les ressources nécessaires pour réaliser vos objectifs?
  • Avez-vous défini de vrais objectifs mesurables qui concourent vers un but?

Si vous avez répondu non à l’une de ces questions, c’est que votre plan comporte certainement des défauts.