Les organisations misent beaucoup sur la collaboration en mode matriciel (aka transversal). Une équipe multidisciplinaire performante peut devenir un levier incroyable pour résoudre des enjeux complexes. Elle peut ainsi atteindre des objectifs ambitieux. Mais collaborer n’est déjà pas simple au sein d’une fonction donnée. Collaborer en mode matriciel, en assemblant des experts relevant de fonctions diverses, comporte un niveau de difficulté supplémentaire qui ne laisse personne indifférent.

Or, nous aurions avantage à tirer profit des façons de faire des organisations en TI. Généralement structurées par fonction, elles ont néanmoins appris à réaliser de nombreux projets de façon transversale. Elles assemblent des experts de divers domaines, le temps d’un projet. Elles les encadrent de structures, de routines et d'outils qui favorisent l’optimisation et le succès de telles initiatives. Elles ont appris à éviter plusieurs des écueils qui menacent la collaboration en mode matriciel.

Cet article présente cinq des pratiques courantes des TI dans ce domaine. Pour mettre celles-ci en contexte, je vous propose d’abord d’explorer plus à fond certains des enjeux les plus courants associés à cette forme de collaboration.

Enjeux commun de la collaboration en mode matriciel

Les organisations posent généralement l’hypothèse qu’il suffit de rassembler des personnes bien intentionnées pour que celles-ci travaillent efficacement en équipe. Pourtant, la recherche réalisée par Team Coaching International (TCI) démontre que seulement 12 % des milliers d’équipes sondées à travers le monde s’évaluent comme étant hautement performantes. De quoi faire réfléchir…

Il existe certainement des prédispositions individuelles plus favorables à la collaboration que d’autres (capacité d’écoute, d’ouverture et d’adaptabilité, par exemple). Toutefois, je suis persuadée qu'à la base, chacun d’entre nous souhaite contribuer et livrer la marchandise. Alors, qu’est-ce qui explique la performance mitigée des équipes ? Au-delà des défis personnels que certains peuvent rencontrer, les enjeux sont d’abord de nature structurelle.

Une grande dualité réside fréquemment dans le manque d’arrimage entre les objectifs organisationnels et les objectifs fonctionnels. Les objectifs stratégiques de l’organisation sont déclinés top-down en objectifs par fonction. Or, les organisations négligent trop souvent de finaliser l’exercice de planification. Elles négligent de consolider les stratégies envisagées par chacune des fonctions en une feuille de route commune. Il manque alors la rétroaction bottom-up qui pourrait rendre visibles les conflits.

Ainsi, il manque une vision d’ensemble précise des stratégies et des plans d’action de chacune des fonctions. Il est par conséquent ardu de détecter les interdépendances et les contradictions entre les différentes stratégies, les conflits de priorités et d’allocation des ressources. En l’absence d’une vision plus large, les objectifs fonctionnels sont souvent ambitieux. Ils laissent très peu de marge de manœuvre pour supporter les autres fonctions dans la réalisation de leurs plans.

Le programme de récompense, quant à lui, peut ajouter à la tension en focalisant souvent sur l’atteinte des objectifs fonctionnels plutôt que collectifs. Une telle vision par silo renforce la loyauté et l’engagement envers la fonction au détriment du bien commun de l’organisation.

Cinq leçons apprises grâce aux TI

J’ai œuvré au sein des TI pendant de nombreuses années, notamment à titre de cadre supérieur. J’étais à la fois responsable d’équipes fonctionnelles spécialisées, et de la livraison de projets requérant la constitution d’équipes en mode matriciel. Parmi les experts recrutés, certains relevaient de mon équipe, et plusieurs autres relevaient de mes collègues. De plus, des secteurs externes aux TI étaient responsables des priorités. En matière de complexité, difficile de faire pire — et pourtant, nous avions du succès.

Voici les cinq leçons que je retiens. L'expérience démontre qu'elles facilitent la collaboration en mode matriciel, quelle que soit la nature des activités réalisées.

1) Identifier un porteur de l’initiative, et le rendre imputable

Chaque fonction collaborant à une initiative transversale demeure responsable des activités qui lui incombent. Néanmoins une condition essentielle de succès réside dans l’assignation claire d’un leader du projet. Ce dernier doit être imputable du projet dans son ensemble.

Il a pour rôle de responsabiliser et de mobiliser les contributeurs en expliquant le contexte, en clarifiant les objectifs, en précisant les attentes. Il mesure les progrès et l’atteinte des résultats, et rallie les parties prenantes.

Le leader crée le sentiment d’urgence, établit et parfois négocie les priorités, et maintient l’attention et l’équipe en action.

Il a un pouvoir décisionnel, du moins jusqu’à un certain point, au-delà duquel les enjeux devront être escaladés dans la chaîne de commande.

2) Identifier les parties prenantes

Une fois le leader désigné, et le projet défini en termes de ses objectifs, périmètre, bénéfices envisagés, et dates-clés, il est essentiel d'identifier les fonctions affectées par celui-ci. Pour ce faire, il faut rassembler une poignée d’experts de différents domaines. Ils auront pour objectif de réfléchir aux grandes composantes du projet, avec l’intention de faire l'analyse des impacts. L'identification des parties prenantes en découlera, tout naturellement.

Plus tôt les contributeurs sont identifiés dans le processus, même si leur implication n’est pas immédiate, meilleur sera leur engagement. Rien ne rebute plus les gens ni ne nuit plus à la collaboration que d’être contactés à la dernière minute, en mode panique, pour prendre des actions ou décisions qui auraient pu être planifiées dans le temps.

3) Tenir une rencontre de démarrage

Une rencontre de démarrage rassemble l’ensemble des contributeurs en début de parcours. Elle est essentielle pour s’assurer de la compréhension commune des objectifs du projet, de son contexte, des bénéfices envisagés, et des principaux jalons. Elle permet également des échanges concernant les risques et les enjeux potentiels. Une telle rencontre est plus que simplement informative. Son but est de créer l’alignement et l’engagement envers une cible commune. Bien animée, elle fera également émerger les défis qui n’ont peut-être pas été identifiés au préalable.

4) Gérer les interdépendances

Suite à la rencontre de démarrage, ou en préparation à celle-ci, il est essentiel de planifier le projet en tenant compte de l’ensemble des activités qui sont affectées de près ou de loin par le projet.

Par exemple, est-ce que les experts nécessaires au projet sont suffisamment disponibles ? Sinon, avec qui faut-il négocier ? Quels impacts ces affectations auront-elles sur d’autres initiatives planifiées ou en cours ? Faut-il repenser l’ordonnancement des priorités afin de niveler de façon optimale l’allocation des ressources humaines, financières ou techniques ? Devrait-on prévoir des plans de formation afin de créer de la relève ?

La gestion des interdépendances entre le projet, les opérations et d’autres projets en cours est essentielle. Elle permet de gérer les risques et d'optimiser la capacité de livraison de l’organisation. Et, notez bien, celle-ci s’initie dès le début du projet. Elle doit également être revue de façon périodique pour s’ajuster aux changements inévitables qui surviendront.

5) Suivi régulier des progrès

Un suivi régulier et rigoureux des progrès est essentiel pour remédier aux enjeux qui émergeront en cours de route. Les objectifs de ces suivis sont, d’une part, de valider que la livraison progresse selon les attentes. D’autre part, ils permettent de créer une plateforme organisée pour la résolution des enjeux et la prise de décision. Cela s'avère essentiel pour assurer le bon déroulement du projet.

Nous avons tendance à trouver les processus des TI lourds et bureaucratiques. Ceux-ci sont souvent un mal nécessaire dans ce domaine pour mettre de l’ordre dans le chaos. Ils deviennent indispensables lorsque les organisations sont soumises à des exigences élevées en matière de conformité.

Ne jetons toutefois pas le bébé avec l’eau du bain. Les approches adoptées par les TI sont adaptables au contexte, selon le niveau de complexité et de risques à gérer. À nous de tirer parti de ces grands principes. Il nous appartient d’apprendre de nos collègues qui ont su développer des pratiques éprouvées pour collaborer en mode matriciel.