Le nationalisme économique peut constituer un formidable vecteur de mobilisation et peut être porteur d’une vision. Mais quand la politique s’en mêle et fait trop vibrer la corde identitaire, l’enthousiasme de bon aloi peut engendrer un sentiment d’euphorie qui, elle, n’est pas bonne conseillère.

C’est ce qui semble se passer dans le dossier de la filière batterie, une stratégie industrielle prometteuse que l’on a voulu transformer en grand geste historique qui prolongerait l’œuvre d’Adélard Godbout – la nationalisation de l’électricité – ou celle de Robert Bourassa – la Baie James.

La multiplication des superlatifs dans le discours portant sur la filière batterie constitue un indice assez sûr du fait que l’on a quitté le terrain du développement économique pour gagner celui de la construction symbolique. Cela nous prive du recul et de la retenue absolument nécessaires pour établir des politiques publiques, pour lesquelles nous avons besoin de repères et de références factuelles plutôt que de belles formules.

C’est au nom de cet impératif de prudence que j’aimerais me pencher sur trois affirmations qui sous-tendent le discours public à propos de cet enjeu. Le Québec est-il vraiment un champion de la filière batterie? L’investissement de Northvolt est-il l’investissement privé le plus important de notre histoire? Cette stratégie fait-elle du Québec un champion mondial de l’économie verte?

«On est les champions du monde dans la filière batterie[1]», a par exemple déclaré le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. En misant sur la production de batteries pour les véhicules électriques, le gouvernement du Québec a déployé une stratégie audacieuse, quoique risquée, qui permettra au Québec de tirer avantage de son électricité verte pour développer des activités dans un secteur en émergence où les besoins mondiaux sont colossaux, et surtout, de trouver enfin sa place dans une industrie automobile qui l’a toujours boudé.

Est-ce que cela fait du Québec un champion? Le total des investissements annoncés s’élève à environ 15 G$, dont 7 G$ pour le projet d’usine de batteries de l’entreprise suédoise Northvolt. C’est beaucoup. Et il y en aura d’autres. Mais il ne faut pas chercher bien loin pour découvrir que nous ne sommes pas seuls. L’Ontario a annoncé des investissements aussi importants que ceux du Québec, dont deux sont majeurs : Volkswagen, 7 G$ et Stellantis, 5 G$!

Le Québec est néanmoins dans la course parce qu’il dispose d’une source d’électricité verte au moment où les autres économies sont encore en train de décarboner leur production d’électricité. Cette rente de situation sera toutefois temporaire. L’augmentation de la demande fera en sorte que d’autres pays gonfleront leur production. En 2022, selon une étude de McKinsey[2], les besoins en production de batteries s’établissaient à 700 GWh. La production prévue de 60 GWh de l’usine Northvolt permet de faire bonne figure. Cependant, les besoins mondiaux pour 2030 sont évalués à 4 700 GWh, ce qui forcera l’Europe et les États-Unis à mettre le paquet. Le poids du Québec deviendra alors plus modeste.

Le potentiel de la province reposera vraisemblablement sur ses minéraux critiques, comme le graphite et le lithium, qui permettront de réduire notre dépendance envers la Chine. C’est un rôle essentiel. Mais le rêve de grandeur et de prospérité du Québec n’a jamais été de devenir un géant minier.

Le vrai champion, dans ce dossier, c’est plutôt la Suède, un pays pas tellement plus populeux que le Québec, avec ses 10,4 millions d’habitants, où est née l’entreprise Northvolt qui, avec sa capacité d’innovation, s’est imposée à travers le monde. 

Par ailleurs, est-ce qu’on peut célébrer l’investissement dans Northvolt comme le plus important investissement privé de l’histoire du Québec? Techniquement, oui, quoique l’explosion des prix des grands projets, des ponts aux usines, en passant par les lignes de métro, rend les comparaisons difficiles. Mais surtout, depuis la surenchère déclenchée par l’Energy Transition Act américain, on a un problème de définition : qu’est-ce qu’un investissement privé quand, sur un total de 7 G$, 4,3 G$ proviendront de fonds publics de diverses formes?

Est-ce que cette filière permet de dire que «le Québec devient un vrai leader mondial de l’économie verte», comme l’a affirmé le premier ministre François Legault[3]? Il est clair qu’avec ces projets, le Québec réussit à profiter des occasions engendrées par les obligations de la transition énergétique.

Le véritable enjeu, pour une société qui se veut verte, c’est de décarboner son économie, sur son propre territoire, d’ici 2050. Si cette stratégie permet de produire des batteries plus sobres en carbone – ce qui réduira un peu l’empreinte carbonique de cette industrie à l’échelle de la planète–, il n’en reste pas moins qu’au Québec, de nouvelles usines et de nouvelles mines augmenteront les émissions de GES.

En associant le développement de la filière batterie à une forme de leadership vert, on crée une confusion des genres. La batterie fait en sorte que le Québec joue un rôle pour développer un produit vert. Mais l’économie du Québec n’est pas verte pour autant, comme le montre sa performance décevante au chapitre des efforts déployés pour atteindre ses cibles en matière de réduction des émissions de GES.

Article publié dans l’édition Hiver 2024 de Gestion


Notes

[1] Halin, F., «Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, défend le recours à la firme McKinsey», Journal de Québec, 25 novembre 2022.
[2] «Battery 2030: Resilient, sustainable and circular», McKinsey & Company, 16 janvier 2023.
[3] Communiqué «Fabriquer les batteries les plus vertes au monde au Québec», Justin Trudeau, premier ministre du Canada, 28 septembre 2023.