Les médias sont en transformation. Pour offrir aux lecteurs le contenu qu’ils désirent, quand ils le désirent, les grandes publications doivent oser de nouvelles stratégies, raconter différemment et expérimenter avec de nouvelles plateformes. Pour dresser le portrait de l’avenir du monde de l’information, Gestion a discuté avec le directeur de la rédaction du magazine Paris Match, Olivier Royant, aussi conférencier à C2 Montréal 2016.

Les médias ont connu des années difficiles. Les gens sont-ils toujours intéressés au journalisme?

Il n’y a pas de désintérêt pour le journalisme. Par contre, il y a probablement un désintérêt pour le papier au profit des nouvelles plateformes. En même temps, en France, on a gardé un réseau de 26 000 distributeurs de journaux. Il existe ici encore 4400 magazines. Je ne crois pas qu’il en restera 4400 dans dix ans, mais le magazine est un média moderne, c’est une expérience sensorielle avec le feuilletage, l’élément physique. Ça, ce n’est pas prêt de disparaître.


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Malgré tout, vous êtes quand même allés vers de nouvelles plateformes, comme le mobile.

Elles nous permettent de faire découvrir nos contenus auprès de gens qui ne nous connaissaient pas. On a par exemple triplé notre audience sur le mobile. Actuellement, on touche 14 millions de Français chaque mois. Beaucoup d’entre eux ont un pied dans le print et l’autre dans le numérique.

Quels sont les modes narratifs prometteurs?

J’ai commencé dans le métier il y a 30 ans avec un carnet de notes et un crayon. Le journalisme s’est aujourd’hui étendu à d’autres domaines, comme la visualisation de données. Il est devenu plus complexe. La réalité virtuelle, par exemple, ne doit pas demeurer l’apanage du jeu vidéo, du cinéma ou de la fiction.

Vous avez d’ailleurs produit du contenu en réalité virtuelle.

Nous avons proposé l’ascension du Mont Blanc avec le Google Cardboard. On permettait au lecteur de s’immerger dans l’expérience, de vivre les sensations que peuvent ressentir les alpinistes, mais en même temps, on ajoutait de l’information. Il ne faut jamais perdre de vue que notre travail, c’est l’information. Buzzfeed a fait un formidable carton d’audience, 10 millions de pages vues, avec l’histoire d’un melon d’eau qui explose.  Nous, ce n’est pas ça. Le sens et l’information ont beaucoup d’importance.

L’introduction de nouvelles plateformes s’accompagne-t-elle de changements dans la présentation des contenus? 

Notre survie dépend de notre capacité à donner au lecteur ce dont il a envie au moment où il en a envie. On ne peut pas imaginer que les gens s’arrêteront en après-midi pour lire un texte long. Le soir ou le weekend, par contre, ils prendront sans doute le plaisir de s’immerger dans la lecture. Les formats doivent accompagner l’humeur des gens. Les grandes histoires sont éternelles, mais le format long ne suffit plus parce que les gens vivent par le regard, par l’image, par la photo, le visuel, le graphisme. Il faut donc trouver une façon d’écrire en intégrant ces éléments, de mélanger des petits textes avec des images animées ou des vidéos.

Est-il important d’expérimenter pour trouver ce qui fonctionne?

Oui, on doit essayer des choses, car on ne sait pas où on va. On est en transition. On a par exemple tenté d’utiliser les codes QR pour amener des compléments vidéo à nos articles, mais le public ne les utilisait pas beaucoup. Nous sommes à l’affût des nouveaux usages, des nouvelles écritures et des nouveaux formats, même si on sait qu’ils ne gagneront pas tous le cœur des gens et n’entreront pas tous dans leur quotidien.

L’aspect participatif risque-t-il de diminuer le rôle des dirigeants des médias?

C’est possible. Je crois que le rédacteur en chef ne sera plus la sacro-sainte personne qui a le droit de décider de tout. Mais est-ce que chaque individu veut vraiment être le rédacteur en chef de sa vie? Veut-il choisir ses contenus et ses thématiques? Le rédacteur en chef est là pour choisir, choisir l’information, choisir le public. Le problème d’Internet et des réseaux sociaux, aujourd’hui, c’est qu’ils vous confortent dans ce que vous connaissez. Quand vous choisissez vous-même ce que vous lirez, vous avez tendance à aller vers ce qui vous rassurera dans vos convictions.

Et comment les médias évitent-ils ces écueils?

La beauté des magazines, c’est de vous faire découvrir un sujet vers lequel vous n’auriez pas nécessairement envie d’aller, quelque chose qui va peut-être vous provoquer, susciter un sens critique. Car il y a deux sortes d’histoires : celles que l’on couvre parce que ça intéresse les gens et celles que l’on couvre parce que c’est un devoir. Ce que les grands médias apportent, c’est l’esprit critique, la volonté d’aller au-delà de ce qui nous conforte. Ça fait peut-être moins d’audience qu’une pastèque qui explose, mais ça apporte un sens profond plutôt que d’en rester à l’écume des choses.