Les acteurs de la philanthropie sont amenés à jouer un rôle de plus en plus actif dans leur écosystème et prennent conscience que cette approche est très prometteuse en ce qui a trait à la résolution de problèmes sociaux complexes. Pour augmenter ses chances de succès, chaque organisation philanthropique doit définir une stratégie écosystème.

En 2015, l’Institut Mallet pour l’avancement de la culture philantropique a consacré son colloque biennal à cette question des écosystèmes. La conclusion principale ? Il faut agir sur le système philanthropique pour augmenter les chances de résolution des grands défis sociaux tels que la pauvreté et les changements climatiques. Dans le contexte américain et international de la philanthropie, les auteurs Mark R. Kramer et Marc Pfitzer soulignent aussi l’importance pour les entreprises d’adopter une stratégie écosystème afin de soutenir leur volonté de création de valeur partagée. La présidente de l’association de donateurs Fondations philanthropiques Canada, Hilary Pearson, a également souligné dans son blogue que les fondations doivent se préparer à cette tendance.

Une cible commune

Bon nombre d’organisations philanthropiques cherchent à créer de la valeur en intervenant dans le domaine de la résolution de problématiques sociales complexes. Cette création de valeur sociale prend tout son sens lorsque plusieurs acteurs interdépendants agissent concrètement de façon concertée en investissant des ressources et du temps. Elle se distingue de la création de valeur au sein d’une organisation qui, par exemple, produit des activités pour ses bénéficiaires. Cette distinction est fondamentale. En effet, lorsque des organisations travaillent de concert pour la création de valeur commune, elles ont plus de chances d’obtenir des résultats positifs.

Le « Projet impact collectif », qui regroupe plusieurs acteurs de premier plan de l’écosystème philanthropique montréalais, en est un excellent exemple. Huit fondations importantes ont décidé de mettre en commun leurs ressources financières et non financières afin de s’attaquer au problème de la pauvreté dans certains quartiers de la ville. De telles initiatives nécessitent des approches adaptées qui vont au-delà des stratégies les plus courantes.

Les limites des approches actuelles

De façon générale, les organisations philanthropiques ont adopté l’une ou l’autre des trois approches suivantes pour créer de la valeur sociale.

➤ LE POURVOYEUR DE MOYENS FINANCIERS

L’objectif ici est de créer de la valeur en investissant directement dans des programmes et des causes. C’est souvent le cas des philanthropes individuels ou des petites organisations philanthropiques aux moyens limités, qui préfèrent entreprendre des actions ciblées pour répondre à des problématiques sociales particulières.

➤ LE BÂTISSEUR DE CAPACITÉ

Avec cette stratégie, une organisation philanthropique investit dans la capacité des organismes et parfois des entreprises sociales afin de les rendre plus performants. On choisit à l’occasion de ne pas soutenir directement les activités des organismes mais plutôt de renforcer la capacité d’action.

➤ L’AGENT DE CHANGEMENT

L’agent de changement oriente plutôt ses investissements et ses interventions sur la transformation des institutions afin qu’elles amplifient leur effet sur la résolution des problèmes sociaux. Cette approche a été populaire auprès de grandes fondations ayant pour but de susciter des changement sociaux d’envergure.

Toutefois, au moment des bilans, la plupart de ces organisations philanthropiques notent des effets plus limités qu’elles ne l’auraient souhaité. Ces résultats somme toute modestes démontrent l’insuffisance d’une démarche dont la création de valeur n’a pas été planifiée à plus large échelle.

Devenez un acteur de votre écosystème philanthropique

Toute organisation philanthropique, qu’elle soit petite ou grande, fait nécessairement partie d’un écosystème philanthropique et constitue un maillon de la chaîne de création de valeur sociale. Selon la nouvelle tendance qui consiste à intervenir au cœur du système philanthropique, chaque organisation doit définir la façon dont elle agira dans cet environnement. D’abord, elle doit s’orienter de façon résolue vers la création de valeur conjointe ; ensuite, elle doit définir de façon claire une stratégie écosystème.

Lorsqu’une organisation philanthropique choisit de s’inscrire dans une perspective écosystémique, elle doit nécessairement changer son mode de pensée et s’orienter vers la création de valeur conjointe. Cela requiert l’abandon définitif de l’idée selon laquelle on peut changer les choses tout seul en adoptant plutôt une démarche où l’action conjuguée de plusieurs acteurs de l’écosystème philanthropique permet de créer davantage de valeur sociale. Cette orientation portant sur la création de valeur conjointe est différente de la création de valeur partagée. Dans ce dernier cas, il s’agit pour une organisation d’arriver à créer aussi de la valeur sociale tout en créant de la valeur économique. Toutefois, les organisations adoptent souvent cette approche sans l’inscrire dans une perspective de création de valeur conjointe. Or, ces organisations doivent être prêtes à nouer des collaborations, voire des partenariats intersectoriels, avec les nombreux acteurs de l’écosystème philanthropique.

Définir une stratégie écosystème

Agir comme acteur de son propre écosystème repose sur l’élaboration d’une stratégie écosystème. Voici cinq questions destinées à guider la définition d’une telle stratégie.

1 - Quelle est la valeur ajoutée de mon écosystème ?

Une organisation doit cerner l’état de son écosystème et définir les actions à entreprendre pour le maintenir, l’améliorer ou le transformer en profondeur. Mais comment déterminer si la transformation de l’écosystème est nécessaire ? Un exemple : le taux de décrochage scolaire peut être un bon indicateur de l’efficacité de l’écosystème qui agit sur la réussite scolaire. Lorsque le taux de décrochage est trop élevé, cela signifie que l’ensemble de l’écosystème n’est pas efficace. Cela ne peut pas être attribuable à une seule organisation.

2 - Quelle est la configuration de mon écosystème ?

Les écosystèmes ont la particularité d’être composés d’acteurs qui ne sont pas nécessairement en relation directe. Par exemple, on note souvent que les organisations philanthropiques d’entreprises et les organisations philanthropiques indépendantes ont tendance à s’ignorer mutuellement alors qu’elles appartiennent au même écosystème. Pourtant, une organisation qui veut jouer un rôle actif dans cet écosystème doit en connaître tous les acteurs. Elle doit reconnaître les liens indirects, les écarts en matière d’activités et de ressources ainsi que les formes de collaboration envisageables.

3 - Quels sont les risques ?

Une organisation doit mesurer ses risques écosystémiques, par exemple ceux liés à la création de plusieurs partenariats ou à la réalisation d’activités conjointes avec d’autres acteurs. Un des risques possibles est la perte de contrôle de son rôle particulier dans le système philanthropique. Toutefois, la prise de conscience des risques ne doit ni décourager cette organisation ni réduire sa participation au fonctionnement et à la mission de l’écosystème : elle doit plutôt lui permettre d’agir de facon dynamique.

4 - Quel rôle puis-je y jouer ?

Une stratégie écosystème ne se limite pas à une simple mise en commun de ressources financières. La coordination des priorités et des processus ainsi que le pilotage concerté des actions conjointes sont essentiels pour atteindre le but commun : la création de valeur sociale. Il faudra donc définir et négocier le rôle qu’on voudra jouer avec les autres partenaires. Les trois fonctions principales dans l’écosystème philanthropique sont celles de leader, de leader adjoint et d’accompagnateur. Le rôle d’accompagnateur dépend de la position de l’organisme dans un écosystème donné. Si on reprend l’exemple du « Projet impact collectif », certaines fondations de tout premier plan, notamment la fondation Lucie et André Chagnon et la fondation McConnell, ont laissé le leadership à Centraide du Grand Montréal, compte tenu de la position centrale de cet organisme dans le domaine de la lutte contre la pauvreté à Montréal. Toutefois, rien n’empêche une fondation de prendre le leadership dans un autre écosystème.

5 - Comment composer avec les rivalités ?

La question de savoir qui tirera le plus grand avantage de la valeur créée ne doit pas être négligée. On peut par exemple se demander qui bénéficiera davantage du capital de sympathie sociale ou d’image et rayonnera auprès des bénéficiaires et du grand public. La stratégie écosystème doit tenir compte de cette réalité et prévoir les rivalités potentielles afin d’imaginer des mesures appropriées pour les gérer, le cas échéant. La question clé à se poser est donc celle-ci : comment répondre le mieux possible aux besoins des uns et des autres de façon à favoriser un alignement entre les divers acteurs ?

L’humilité comme facteur clé du succès

Pourvoyeuses de ressources et portes d’accès à de vastes réseaux d’influence, les organisations philanthropiques ont beaucoup de pouvoir dans l’univers de l’action sociale et peuvent donc être tentées de s’imposer. Dès lors, la question de l’humilité devient cruciale en ce qui concerne le succès d’une approche écosystémique. Cela signifie qu’il faut impérativement reconnaître qu’on n’a jamais assez d’argent pour agir seul et que l’argent ne suffit pas pour résoudre des problèmes sociaux complexes. Cela signifie aussi que les rôles varieront selon la configuration des différents projets. Il faut donc accepter de ne pas toujours être le leader dans un écosystème. Le but consiste à faire en sorte que le système philanthropique apporte une véritable valeur ajoutée dans la résolution des problèmes sociaux qui affectent notre monde.


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