Une communauté qui partage une passion pour une activité ou une marque est généralement perçue comme indispensable au succès d’une nouvelle entreprise. Pourtant, générer un engouement communautaire n’est pas automatique et les modèles d’affaires ont souvent du mal à intégrer cet élément essentiel. Ainsi, trop d’entrepreneurs attendent le démarrage de l’activité pour s’intéresser à leur communauté, alors qu’il faut la cultiver au plus tôt.

Tout projet d’entreprise se conçoit avec l’idée de se gagner une communauté de consommateurs, même si la communauté autour d’une start-up, au départ, est davantage constituée de passionnés d’une activité que de passionnés d’une marque qui, par définition, en est encore au stade embryonnaire.

Internet regorge de conseils aux apprentis entrepreneurs sur les façons de créer, de développer et d’animer une communauté autour de leur projet. Selon ces listes de conseils, la création d’une communauté passe par le recrutement d’ambassadeurs qui vont « évangéliser » d’autres membres pour se regrouper sur une plateforme adéquate afin d’interagir et de partager autour de ce que la start-up apportera de nouveau (produit, service ou expérience). Cette plateforme doit être alimentée tant par du contenu provenant de l’entreprise que par les échanges entre consommateurs.

Pourtant, même en suivant scrupuleusement ces conseils, bon nombre d’entrepreneurs se retrouvent avec des plateformes désertées et des échanges très limités entre de soi-disant membres de leur communauté. Une communauté ne se décrète pas : elle se cultive ! Trop d’entrepreneurs raisonnent de façon à satisfaire les consommateurs individuels et isolés puis s’efforcent de les regrouper en communauté, une démarche vouée à l’échec.

A contrario, une start-up à succès comme Frank + Oak a construit sa relation commerciale avec la communauté. Les cofondateurs de cette jeune entreprise montréalaise l’affirment eux-mêmes : « Frank + Oak est une marque mise sur pied grâce à sa communauté et à l’esprit entrepreneurial. Nos fans ont toujours été au cœur de nos décisions. » À titre d’exemple, une boutique Frank + Oak est avant tout un endroit pour rassembler la communauté.

Il y a cinq règles fondamentales à suivre pour réussir le pari de cultiver et de faire croître une communauté autour d’une start-up. Nous les détaillons ci-dessous en citant l’exemple réussi du lancement de Tough Mudder et de la création de sa communauté de mudders (toughmudder.com) ou, littéralement, d’amateurs de boue. Depuis ce lancement, à la fin de 2010, près de trois millions de participants venus de partout sur la planète ont mesuré leur endurance en relevant le pari de cette course à obstacles qui se veut avant tout collaborative et ont formé la communauté des mudders.

Règle n° 1 : Prendre appui sur une communauté d’activité existante

tough mudder - construire une communauté dans sa startup

Tough Mudder propose aux participants de mesurer leur endurance dans le cadre de courses à obstacles avant tout collaboratives. Depuis 2010, ces courses ont attiré près de trois millions de participants.


La première règle pour cultiver une communauté consiste à bien choisir le terrain. Il y a des domaines d’activité, notamment ceux liés à la vente de produits de base, où l’idée même de communauté est absurde et inefficace. Par contre, il y a de nombreux domaines où existent déjà des communautés d’activité. Ainsi, avant même que Tough Mudder ne soit lancée, on comptait déjà plus d’un million de personnes qui s’adonnaient à de telles courses à obstacles aux États-Unis, ces épreuves étant un croisement entre le crosscountry et l’entraînement militaire.

Au moment où l’entreprise et sa marque sont embryonnaires, une communauté existe donc déjà. Il s’agit alors de détourner cette communauté non marchande au bénéfice de la start-up. Dans ce but, il faut approcher cette communauté avant le lancement, s’y faire admettre et s’en faire apprécier pour que la création de la start-up apparaisse légitime, celle-ci étant réalisée par quelqu’un appartenant à la communauté et non par un pillard venu de l’extérieur. C’est ce qu’a réalisé Will Dean, fondateur de Tough Mudder et grand passionné de courses à obstacles.

Règle n° 2 : Offrir du lien plus que du bien

La deuxième règle – peut-être la plus importante – pour cultiver une communauté consiste à semer la « graine tribale » dès la conception du projet d’entreprise et de l’offre originale que celle-ci va apporter. Pour ce faire, il faut instiller de la valeur de lien au cœur même de l’offre. La valeur de lien, c’est ce que vaut l’offre de l’entreprise dans la construction ou le renforcement des liens, même éphémères, entre consommateurs. Certaines entreprises présentent ainsi des offres à forte valeur de lien qui, par la mise en relation d’individus, forment le socle d’une approche communautaire. Il s’agit de concevoir une offre non pour le fameux consommateur isolé, roi du marketing traditionnel, mais pour des consommateurs qui vont vivre ensemble l’expérience offerte par l’entreprise. C’est le cas de Tough Mudder, qui oblige ses adeptes à participer aux courses en équipe afin de s’entraider à franchir les obstacles. « On ne peut pas réaliser Tough Mudder en solitaire », annonce en effet le site Internet de cette entreprise. Chaque participant doit d’ailleurs prêter serment avant le départ : « J’aide les membres de mon groupe à finir la course et je place l’esprit d’équipe et la camaraderie au-dessus de mon propre temps de course. » Les équipes peuvent être formées d’amis de longue date ou constituées ad hoc ; dans tous les cas, ce qui est vécu en groupe forge des liens communautaires. Ces individus vivent quelque chose dont ils vont se reparler plus tard ; leurs échanges (en ligne et hors ligne) fourniront le premier contenu communautaire.

Règle n° 3 : Favoriser l’interaction

La troisième règle pour cultiver une communauté consiste à permettre à la myriade de groupes générés par une offre bien précise de se connecter pour former ce qui va vraiment être une communauté. Au-delà de l’aspect fonctionnel des plateformes interactives de tout type – qu’il faut nécessairement préparer pour faciliter l’interaction –, l’entrepreneur doit penser à l’aspect symbolique. La conscience de faire partie d’un groupe distinct passe par une dénomination simple qui doit rappeler le nom ou la raison sociale de la start-up. Ainsi, les consommateurs regroupés autour de Tough Mudder sont des mudders et la communauté dans son ensemble est la Mudder Nation. Les mudders inondent Facebook de pages où ils racontent les épreuves et commentent les obstacles à franchir. L’entreprise se concentre surtout sur YouTube en y rediffusant les meilleures vidéos réalisées par les adeptes.

Règle n° 4 : Faciliter la collaboration

tough mudder - construire une communauté dans sa startup

Des participants s'entraident à franchir des obstacles lors d'une course de Tough Mudder.


La quatrième règle pour cultiver une communauté consiste à accélérer la consolidation de la communauté grâce à la collaboration. Plus les consommateurs collaborent, que ce soit entre eux ou avec les membres de la start-up, plus le sentiment communautaire est fort. Chaque course Tough Mudder se déroule dans un lieu naturel éloigné des villes et nécessite une logistique d’envergure pour réaliser les tâches suivantes : enregistrement des participants, distribution des dossards, gestion du flux des participants jusqu’au point de départ, approvisionnement en eau des coureurs, encouragement à franchir les obstacles, distribution des bandeaux à chaque étape réussie, distribution de la bière et des victuailles à la fin de la course, etc. Des consommateurs jouent le rôle de volontaires pour accomplir les tâches nécessaires à la course et aider les participants à la réaliser. Will Dean ne manque pas une occasion de les remercier de leur collaboration et déclare sans ambages dans une vidéo de motivation diffusée sur YouTube que son « entreprise ne pourrait pas fonctionner sans ce volontariat ». De cette façon, les consommateurs-volontaires sentent qu’ils font partie intégrante du projet de la start-up. La communauté n’est pas détachée de l’entreprise ; elle est au cœur de l’entreprise et de son modèle d’affaires.

Règle n° 5 : Miser sur la différenciation

La cinquième règle consiste à éviter le syndrome homogénéisant qui transforme tout membre de la communauté en clone de l’autre. Ce que recherchent les individus, c’est le mouvement perpétuel de différenciation et de dédifférenciation à l’œuvre dans une communauté qui fonctionne bien. La course à obstacles est aussi une sorte de carnaval ou de nombreux participants arrivent déguisés pour bien afficher leur différence avant d’être recouverts de boue comme tous les autres. Et les plateformes en ligne sont là pour relayer les images de ces individus déguisés et de leurs exploits.

À vous de jouer !