Les gens seraient généralement encouragés à devenir des entrepreneurs grâce à des conditions favorables telles que le talent, l’énergie, de fortes personnalités ainsi que des environnements sociaux et économiques propices. Mais quand on examine la provenance de nombreux entrepreneurs en se basant sur des enquêtes nationales et internationales, on constate que des groupes fortement désavantagés sont nettement surreprésentés.

En anglais, on les appelle les underdog entrepreneurs. Il s’agit notamment de personnes handicapées1, de chômeurs peu formés (appelés « entrepreneurs par nécessité2»), d’immigrants3, de personnes dyslexiques ou ayant un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (ou TDAH4) ainsi que de vétérans de conflits internationaux5 et 6.

underdogs entrepreneurs

Des entrepreneurs immigrés

Sergueï Brin (1) : Google
Vinod Khosla (2) : cofondateur de Sun Microsystems
Élie et Jamil Chédid : les marchés Adonis
Aldo Bensadoun (4) : Aldo

Des entrepreneurs dyslexiques

Paul Orfalea : Kinko's
Charles Schwab et Richard Branson (3) : Virgin Atlantic
Bob Parsons : GoDaddy

Des entrepreneurs handicapés

Sharon Gardner : Healthy Life and Times
James King : Oliver James Garden Rooms

Certes, la majorité des entreprises créées par ces personnes sont de petite taille et ont peu d’employés, ceux-ci étant souvent des membres de leur famille. Toutefois, compte tenu du grand nombre d’entreprises fondées par des personnes désavantagées, on constate de nombreux succès remarquables. On peut citer les exemples des entrepreneurs immigrés Vinod Khosla (cofondateur de Sun Microsystems), Sergueï Brin (Google), Élie et Jamil Chédid (les marchés Adonis) et Aldo Bensadoun (Aldo), les entrepreneurs dyslexiques Paul Orfalea (Kinko’s), Charles Schwab et Richard Branson (Virgin Atlantic), David Neeleman ainsi que le vétéran Bob Parsons (GoDaddy). Toutefois, il y a aussi des fondateurs de plus petites entreprises comme les entrepreneurs handicapés Sharon Gardner (Healthy Life and Times) et James King (Oliver James Garden Rooms).

Prospérer dans des conditions ardues

Ces personnes sont inspirantes non seulement en raison de leur succès en affaires mais aussi parce qu’elles ont prospéré dans des conditions exceptionnellement ardues qui, dans certains cas, sont permanentes et avec lesquelles il est très difficile de composer. Les immigrants sont souvent confrontés à des obstacles socioculturels considérables. Pour les personnes dyslexiques ou atteintes d’un TDAH, les obstacles sont cognitifs, alors que les anciens combattants peuvent se heurter à des problèmes d’ordre émotionnel. Par ailleurs, ceux qui n’ont ni emploi ni compétences doivent souvent faire face à des obstacles économiques, tandis que les handicapés sont aux prises avec des incapacités physiques. Bref, ce sont des conditions peu enviables, voire des situations souvent dramatiques.

La prévalence – ou plutôt la surreprésentation – de ces groupes parmi les rangs des entrepreneurs, alors qu’on aurait pu s’attendre à l’inverse, nous a menés à nous demander pourquoi c’est le cas et pourquoi les entreprises d’outsiderspeuvent s’avérer durables et prospères. Voici quelques-unes de nos hypothèses, exposées sous la forme d’un argumentaire étape par étape.

Les incapacités ou les désavantages de ces entrepreneurs peuvent réduire considérablement l’éventail des options habituelles d’emploi qui leur sont ouvertes ou qui leur conviennent. Ceci les encourage à s’engager dans du travail autonome en créant leur propre entreprise.

Les gens appartenant à ces groupes sont habitués à être différents et à se sentir comme tels, et ils affrontent régulièrement les préjugés, l’incapacité et l’incertitude. Ainsi, les « risques » et les défis de l’entrepreneuriat peuvent leur paraître moins redoutables, du moins comparativement aux défis avec lesquels ils ont appris à vivre.

S’adapter à cause des désavantages

Leurs désavantages ont fait en sorte que beaucoup de ces personnes ont dû s’adapter de trois façons majeures. Premièrement, elles ont dû travailler beaucoup plus fort pour accomplir ce que d’autres peuvent faire avec beaucoup moins d’efforts ; elles sont habituées à travailler avec acharnement et assiduité.

Deuxièmement, elles ont acquis l’habitude de demander de l’aide ou de la collaboration pour faire avancer les choses ; en fait, elles n’avaient pas vraiment le choix. Bon nombre d’entre elles maîtrisent l’art d’attirer d’autres personnes et de travailler avec elles dans des situations de dépendance.

Troisièmement, la plupart de ces personnes ont dû trouver des façons de faire différentes au cours de leur vie parce que les approches conventionnelles sont hors de leur portée. Ce besoin d’être créatif peut les avantager pour créer une nouvelle entreprise ou, du moins, pour œuvrer dans un secteur où la créativité est moins courante.

Ces trois façons de s’adapter suscitent de façon quasi directe de la persévérance et de la discipline, des compétences sociales, du réseautage ainsi que des approches originales et créatrices, toutes des caractéristiques favorables à l’initiative entrepreneuriale et peut-être au succès en affaires.

Il est certain que toutes les personnes appartenant à ces catégories ne deviennent pas des entrepreneurs, et toutes celles qui le font ne réussissent pas. Il est également vrai que les entrepreneurs en Amérique du Nord sont encore en majorité des hommes blancs provenant de milieux relativement aisés, ce qui constitue toujours un avantage de nos jours, et ce n’est pas surprenant. Cependant, il est vrai que les entrepreneurs sont surreprésentés dans chacune de nos catégories de personnes désavantagées (bien sûr, bon nombre de ces sous-catégories comptent également des hommes blancs).

L’entrepreneuriat est un choix de vie, celui d’une carrière potentiellement enrichissante pour ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire ceux qui, en raison de leur condition, ont moins de possibilités mais peuvent aussi être mieux préparés en ce qui a trait à la discipline, aux compétences sociales, à la motivation et à la pensée créatrice. Il serait utile pour les éducateurs et les organismes qui s’adressent à ces groupes d’outsiders de faire clairement ressortir l’entrepreneuriat comme une possibilité de carrière potentielle et de fournir des mesures de soutien précoce à ceux qui souhaitent s’y lancer.

En ce qui concerne la population dite normale, compte tenu des avantages que comporte la capacité d’adaptation aux défis, on peut se demander s’il serait profitable d’enseigner l’entrepreneuriat dans le cadre de compétitions d’affaires qui présenteraient aux aspirants participants des défis contraignants où ils devraient, pour atteindre un objectif important, travailler en étroite collaboration avec des personnes qu’ils n’auraient pas choisies et, dans le cadre de ce processus, traiter un problème non structuré exigeant une solution originale. Bien entendu, ces compétitions ne sont utiles que si elles ont une signification et une durée réelles, où l’échec est une véritable possibilité avec des conséquences concrètes.


Pour aller plus loin

  • Miller, D., et Le Breton-Miller, I., « Underdog Entrepreneurs : A Model of Challenge-Based Entrepreneurship », Entrepreneurship Theory & Practice, vol. 41, n° 1, septembre 2016, p. 7-17.

Notes

1 Pagán, R., « Self-Employment among People with Disabilities : Evidence for Europe », Disability & Society, vol. 24, n° 2, mars 2009, p. 217-229.

2 Block, J., et Wagner, M., « Necessity and Opportunity Entrepreneurs in Germany : Characteristics and Earnings Differentials », Schmalenbach Business Review, vol. 62, n° 2, avril 2010, p. 154-174.

3 Hart, D. M., et Acs, Z. J., « High-Tech Immigrant Entrepreneurship in the United States », Economic Development Quarterly, vol. 25, n° 2, mai 2011, p. 116-129.

4 Logan, J., « Dyslexic Entrepreneurs : The Incidence ; Their Coping Strategies and Their Business Skills », Dyslexia, vol. 15, n° 4, novembre 2009, p. 328-346.

5 Haynie, J. M., et Shepherd, D., « Toward a Theory of Discontinuous Career Transition : Investigating Career Transitions Necessitated by Traumatic Life Events », Journal of Applied Psychology, vol. 96, n° 3, mai 2011, p. 501-524.

6 Par exemple, 49 % des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale ont lancé leur propre entreprise ; à l’heure actuelle, les anciens combattants sont 45 % plus susceptibles que d’autres de créer leur propre entreprise.