Prévoyiez-vous visiter Paris cet été? À moins d’être fanatique des compétitions de lancer du javelot ou du 100 mètres haies, comme la plupart des Parisiens, vous éviterez la capitale française. Au menu : sécurité renforcée aux quatre coins de la ville, codes QR pour accéder à votre hôtel en zone restreinte (hôtel dont les tarifs auront quadruplé), re-sécurité, bouquinistes des quais de Seine sauvés in extremis de leur refoulage en banlieue, transports collectifs détournés, monuments historiques sous haute surveillance, re-sécurité partout. Il faut ce qu’il faut pour accéder au plaisir de vivre le rêve olympique!

Dans quelques semaines, du 26 juillet au 11 août 2024, Paris, sa grande banlieue et plusieurs villes françaises présenteront les Jeux olympiques. Tant mieux si tout se déroule sans heurts ni incidents. Tout, mais vraiment tout, aura été mis en œuvre pour assurer la fluidité et la sécurité de ce grand cirque. Les Parisiens vivent le bordel préparatoire depuis des mois. Lignes de métro en rénovation, construction d’une nouvelle ligne, rues déviées, quotidien perturbé. D’ailleurs, plusieurs quitteront massivement leur domicile cet été (que certains loueront à des prix indécents à des touristes motivés), car la qualité de la vie quotidienne à Paris pendant ces Jeux sera exécrable. Dire que les JO laissent la population française sceptique est un euphémisme.

Je le redis : souhaitons aux organisateurs un grand succès. Mais ne nous empêchons pas d’émettre un doute sur la légitimité actuelle de cette institution qui en fait encore rêver quelques-uns. Depuis un certain nombre d’éditions, les JO ne sont plus cet événement fraternel et rassembleur voulu par Pierre de Coubertin. Ils sont devenus au fil du temps l’envers des valeurs olympiques que sont l’excellence, le respect et l’amitié. Aujourd’hui triomphent les valeurs de l’argent, de l’argent et de l’argent. Les Jeux, qui devaient être portés par des valeurs transcendantes, sont maintenant motivés par des enjeux politiques et économiques, dans un contexte de crise environnementale et de menaces multiples liées au terrorisme, à la crise sanitaire ou à la sécurité. Ils sont dorénavant la vitrine de villes hyper riches ou d’États autoritaires. Un peu partout, les populations de ces pays expriment leur refus de faire les frais des Jeux, qui sont un boulet pour les finances publiques.

À Montréal, en des temps plus naïfs, nous avons pourtant vécu comme une plaie l’explosion des coûts de présentation des Jeux. Ce sont ces coûts exponentiels qui font que, de plus en plus, le pool des villes pouvant présenter les JO se réduit à des cités riches ou des nations non démocratiques désirant présenter au monde l’image glorieuse de leur puissance. Aujourd’hui, la présentation des Jeux est quasiment synonyme de gouffre financier.

À partir des JO de Séoul en 1988, avec ses 11 milliards de dollars, les coûts sont partis en orbite : 14 milliards pour les Jeux de Londres, 15 pour ceux d’Athènes, 17,5 pour Tokyo, 22 pour le Brésil, 44 pour Beijing, plus de 50 pour la Russie. Paris a bien modestement évalué les siens à 12 milliards, mais le monde olympique se tord de rire.

Ces coûts faramineux laissent parfois des infrastructures durables, mais pas toujours. Il y a beaucoup d’éléphants blancs semi-honteux. Mais surtout, une hausse spectaculaire de l’endettement public, qui résultera en une diminution du bien-être collectif pendant des générations. Ce spectacle vaniteux et éphémère s’avère généralement une calamité pour les nations hôtes.

En cette époque où l’écologie importe, l’impact environnemental des JO commence à être pris en considération, et il est calamiteux. Pour construire des infrastructures imposantes, on bétonne de vastes superficies, on construit des échangeurs autoroutiers. On favorise les trajets incessants des avions et des jets privés en dispersant les épreuves aux quatre coins des pays hôtes. On expulse de leurs quartiers des populations souvent pauvres et démunies. On tient les Jeux d’hiver dans des pays de plus en plus méridionaux, avec un impact environnemental déplorable. Il est donc légitime de se questionner sur l’aspect écologique des JO à l’heure des changements climatiques.

Quant à la légitimité démocratique des JO, elle est plus que jamais dans la mire. Les villes ne se bousculent plus pour présenter les épreuves. Certaines d’entre elles se désistent, des populations appelées à se prononcer par référendum refusent de s’endetter durant des décennies et rejettent la candidature de leur État. La méfiance des nations est telle que certains, parmi les pontes du mouvement olympique, songent à des solutions de repli : créer des sites fixes et permanents, ou réunir des pays pour répartir les coûts.

Allons plus loin : quelle est, dorénavant, la légitimité du rêve d’une infime élite sportive en regard des coûts pharaoniques, de la santé même des athlètes, du dopage systémique, du drame des populations évincées et taxées, des coûts environnementaux, de la mascarade démocratique?

L’olympisme est devenu une entreprise productrice de crises, de déficit d’image. On y gère l’indéfendable en se dissimulant derrière la vertu d’athlètes méritants. D’un point de vue de stricte gestion, les JO sont un investissement discutable. Et du point de vue moral, le dossier à charge est lourd.

Il va s’en trouver pour plaider que les valeurs olympiques continuent à inspirer et que le monde a besoin d’idéaux. Cette belle candeur devient difficile à soutenir. Dans un monde à broil, le rêve prend d’autres significations, embrasse d’autres valeurs. Peut-être que les JO témoignent d’un idéal dépassé?

Article publié dans l’édition Printemps 2024 de Gestion