Chacun regarde la réalité par une fenêtre plus ou moins étroite. Dans mon cas, l’étroitesse de la fenêtre provient principalement d’un manque de connaissances profondes du vécu des institutions avec le jeu des forces en présence, une connaissance qui pourrait être qualifiée de « charnelle ».

Pour en limiter les dommages, ce texte porte sur l’université, l’univers de ma carrière. Il veut montrer comment l’évolution de l’institution universitaire aux États-Unis a engendré la dépréciation relative des études de baccalauréat ou de premier cycle. Pour ce faire, nous nous référons à diverses publications spécialisées.

Les forces en présence

Deux facteurs importants influencent l’évolution de l’institution universitaire : le développement rapide des connaissances et le mode de financement des réseaux universitaires.  Au début des années soixante-dix, un économiste universitaire pouvait se tenir à jour dans sa discipline en consultant six ou sept revues spécialisées. Aujourd’hui, c’est ce même nombre pour un seul secteur, comme l’économie de la santé, en plus des multiples documents provenant d’institutions variées. C’est en effet devenu un monde de spécialisation privilégiant la recherche. Le mode de financement des universités influence aussi leur évolution. À l’exception des collèges et des universités privés des États-Unis, les établissements d’enseignement reçoivent directement des gouvernements une part considérable de leurs revenus. La répartition des subventions entre ces derniers est basée d’une façon prépondérante sur l’effectif des étudiants pondéré par le champ des disciplines et par le niveau de formation. Les étudiants sont aussi directement subventionnés par les systèmes de prêts et bourses. Le financement basé sur l’effectif provoque une course au nombre d’étudiants avec la présence de diverses voies pour faciliter l’obtention d’un diplôme. Il s’agit entre autres d’attirer une clientèle en périphérie qui est moins intéressée et disposée vers la qualité des programmes et une bonne formation. Cela devient une course à recruter une clientèle moins motivée qui, à son tour, fait sentir son influence sur la qualité des programmes.


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Les indicateurs de la détérioration du premier cycle

Quel est l’impact de cette dynamique sur les études de premier cycle aux États-Unis?

1. Sur l’absence de progrès dans les apprentissages

Les non-performants sont-ils si nombreux? Deux sociologues ont étudié, sur une période de quatre ans, 2 322 étudiants dans vingt-quatre institutions différentes décernant des baccalauréats. Voici quelques-uns de leurs résultats :

Un grand nombre d’étudiants n’a montré aucun progrès significatif dans les tests de pensée critique, de raisonnement complexe et d’écriture qui ont été passés au début de leurs études et à nouveau à la fin de leur deuxième et quatrième année. Si le test utilisé, le Collegiate Learning Assessment, est transposé en une échelle traditionnelle de 0 à 100 points, 45 pour cent des élèves n’auraient pas démontré des gains de même un point au cours des deux premières années de collège, et 36 pour cent n’auraient pas montré de tels gains sur les quatre années. (Arum et Roska, 2011 : WK 10)

2. Sur le temps consacré aux études

Une recherche a intégré les résultats de différentes enquêtes sur le temps scolaire des étudiants à temps complet de premier cycle aux États-Unis. Au début des années soixante, la semaine moyenne était de trente-neuf heures : quinze heures en classe et vingt-quatre heures en étude. Cette semaine moyenne est tombée à vingt-sept heures au début des années 2000, soit quinze heures en classe et seulement douze heures d’étude.

Cette baisse de plus de dix heures par semaine de temps d’étude s’applique à tous les sous-groupes (comme la présence ou non du travail externe) et à ceux qui consacrent généralement plus de temps au travail scolaire comme les femmes et les étudiants en génie.

En somme, aujourd’hui, l’étudiant à temps complet est à temps partiel à l’université.

3. Sur l’inflation des notes

L’évolution des notes reflète-t-elle la semaine écourtée des étudiants? La réponse est négative. Au cours des dernières décennies, il y a eu deux phénomènes, soit l’augmentation de la moyenne des notes et leur compression.

4. Sur la relation entre l’inflation des notes et la baisse du temps d’étude

Il existe d’ailleurs une relation entre l’inflation des notes et la baisse du temps d’étude. Une recherche basée sur des données de l’Université de Californie à San Diego conclut que le temps d’étude moyen serait d’environ cinquante pour cent plus court si les étudiants d’un cours prévoyaient une note moyenne de A au lieu de C.

Qu’en est-il au Canada?

Au Canada, la même dynamique a cours avec des résultats semblables. Telle fut la conclusion d’une importante recherche subventionnée par le Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur.