Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Non seulement l’accroissement du fardeau fiscal des entreprises québécoises contribuerait à pénaliser les travailleurs mais ce sont davantage les moins nantis qui en payeraient le prix, révèle une analyse réalisée par le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

Dans un contexte où le gouvernement du Québec a entrepris un examen de son cadre fiscal, quelles seraient les véritables répercussions d’une hausse de la charge fiscale des entreprises ? Pour tirer cette question au clair, les résultats de près de vingt-cinq études portant sur l’incidence de l’impôt des sociétés et des cotisations sociales sur les salaires des travailleurs ont été analysés. Cet exercice a révélé qu’en fin de compte, entre 20 % et 100 % de la charge fiscale des entreprises est transmise aux travailleurs, principalement par le biais de salaires plus faibles. Par ailleurs, ce transfert s’avère plus marqué sur le salaire des employés ayant peu d’éducation, d’ancienneté et d’expérience, ce qui signifierait que les travailleurs les moins bien rémunérés sont souvent les plus pénalisés.

Ainsi, même si les entreprises sont en pratique ciblées par une taxe, une cotisation ou un impôt et respectent bel et bien cette obligation juridique, elles n’en assument pas, dans les faits, tous les frais. D’importants mécanismes de transfert s’enclenchent, de sorte qu’à long terme, ce poids est transmis à des tiers.

À titre d’exemple, une entreprise pourrait compenser les charges fiscales qu’elle doit supporter en modifiant son capital installé (bâtiments, machinerie, outils, équipement, parc informatique, etc.) ou en changeant les conditions de travail consenties à ses employés (salaires, temps de travail, horaires, avantages sociaux, etc.). Dans les deux cas, cela résulterait ultimement en des salaires moindres, des emplois moins nombreux ou des conditions de travail moins avantageuses.

Une réduction de la taxe sur la masse salariale s’impose

Le fardeau fiscal des entreprises est déjà plus imposant au Québec qu’ailleurs au Canada. Lorsqu’on additionne toutes les taxes, toutes les cotisations sociales et tous les impôts exigés par les différentes autorités gouvernementales auprès des entreprises, il apparaît que les charges fiscales qu’elles assument au Québec sont de 1,2 à 1,7 fois plus élevées que dans les autres provinces canadiennes. En poussant l’analyse un peu plus loin, on s’aperçoit que le prélèvement de la taxe sur la masse salariale n’est pas étranger à cette situation.

Au Québec, la taxe sur la masse salariale représente 21 % des contributions effectuées par les entreprises par rapport à seulement 10 % dans l’ensemble du Canada. Alors que six des dix provinces canadiennes n’ont pas recours à cet outil fiscal, celles qui l’utilisent le font de façon moins intensive que le Québec. Résultat : le fardeau de la taxe sur la masse salariale est de 2,4 à 4 fois plus important au Québec qu’il ne l’est au Manitoba, en Ontario et à Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui explique en partie la lourdeur du fardeau fiscal au Québec.

fiscalite

Sources : ministère des Finances du Québec, La fiscalité des sociétés au Québec, 2014 ; PricewaterhouseCoopers, Renseignements fiscaux – Canada 2009, 2009 ; tableau CANSIM 384-0004, Recettes et dépenses du secteur des administrations publiques, comptes économiques provinciaux ; tableau CANSIM 384-0006, Impôts directs en provenance des particuliers, cotisations aux régimes d’assurance sociale et autres transferts aux administrations publiques, comptes économiques provinciaux ; tableau CANSIM 384-0007, Impôts sur production et importations, comptes économiques provinciaux. Calculs des auteurs. 

Illustration : iStock

À la lumière de ces constats, une évidence s’impose : la modernisation du cadre fiscal du Québec devrait d’abord passer par une réforme de la fiscalité des entreprises, notamment en réduisant la taxe sur la masse salariale. Le fardeau des entreprises deviendrait alors comparable à celui imposé par les autres provinces, ce qui non seulement améliorerait la compétitivité fiscale du Québec mais aurait aussi une incidence positive sur les salaires des travailleurs, surtout dans le cas des Québécois les moins bien rémunérés.

De plus, si le gouvernement craint de perdre les importants revenus générés par la taxe sur la masse salariale perçue auprès des entreprises, évalués à près de quatre milliards de dollars en 2013, il pourrait réformer l’aide publique qu’il accorde en parallèle à ces mêmes entreprises. Cette aide, rappelons-le, n’a pas toujours les effets escomptés et peut même avoir des répercussions négatives sur l’économie. Ainsi, la stratégie adoptée au Québec – qui consiste à taxer plus lourdement l’ensemble des entreprises et à redistribuer davantage de recettes fiscales à certaines d’entre elles – semble aller à contre-courant de ce qu’on observe sur la scène canadienne, voire internationale, d’autant plus que ce moyen s’avère peu efficace puisque la performance économique du Québec a été plutôt décevante au cours des trente dernières années.


Pour en savoir plus

  • Consultez le rapport Fiscalité des entreprises – L’incidence de la fiscalité sur les salaires, rédigé par Jonathan Deslauriers, Benoit Dostie, Robert Gagné et Jonathan Paré, à l’adresse suivante : cpp.hec.ca.