Longtemps considérée comme une priorité pour les grandes entreprises, la gestion des connaissances devient de plus en plus critique du côté des petites et moyennes entreprises (PME) dont l’économie est axée sur le savoir et qui produisent notamment des services. Puisque ce type de gestion et celle de l’innovation sont intimement liés, pareilles entreprises n’ont d’autre choix que d’y consacrer des ressources pour demeurer compétitives. Mais par où commencer? Quels avantages y a-t-il à miser sur l’investissement en actifs intangibles?

L’importance des actifs intangibles

Les investissements dans les actifs intangibles qui sous-tendent l’économie du savoir – pensons à la propriété intellectuelle, à la recherche, à la technologie et aux logiciels ainsi qu’au capital humain – ont beaucoup augmenté au cours du dernier quart de siècle, et la pandémie de COVID-19 semble avoir accéléré cette transition vers une économie dématérialisée, selon la firme McKinsey & Company.

Une nouvelle recherche combinant des données sectorielles et les résultats d’une nouvelle enquête menée auprès de plus de 860 dirigeants révèle que les entreprises du premier quartile pour la croissance de la valeur ajoutée brute, une mesure de la croissance économique, investissent 2,6 fois plus dans les actifs incorporels que les autres. Ces «avoirs» incluent des compétences économiques comme la publicité et les marques, la recherche en marketing, le capital organisationnel et la formation. Cette définition plus large semble pertinente comme jamais au regard du rôle de plus en plus déterminant que de tels actifs jouent dans les entreprises.

La part des actifs intangibles dans l’investissement total a augmenté régulièrement, bien que cette évolution ait ralenti au lendemain de la crise financière mondiale en 2008. Pendant la pandémie toutefois, lorsque la distanciation sociale a nécessité une transition vers le travail à distance et une numérisation à grande échelle, les investissements dans ce type d’actifs se sont à nouveau accélérés. Aux États-Unis par exemple, la proportion des investissements intangibles (mesurés par la formation brute de capital fixe) dans l’investissement total a augmenté d’un point de pourcentage entre les trois premiers trimestres des années 2019 et 2020, pour atteindre 29% de l’investissement total en 2020.

Les entreprises qui investissent le plus dans ce type d’actifs supplantent leurs pairs. Même dans les secteurs où la croissance est relativement plus faible (celui de la fabrication, par exemple), les principaux producteurs effectuent des investissements élevés dans ces actifs pour mieux performer par rapport au marché. Les entreprises qui se démarquent dans les secteurs axés sur l’innovation – notamment les télécommunications, les médias et la technologie – investissent 5,2 fois plus que les autres dans les actifs intangibles.

Qu’est-ce que la gestion des connaissances?

La gestion des connaissances (en anglais : knowledge management) est une démarche qui regroupe l’ensemble des initiatives, des méthodes et des techniques en gestion. D’abord et avant tout, cela permet de percevoir, d’identifier, d’analyser et d’organiser les connaissances des membres d’une organisation – les savoirs créés par l’entreprise elle-même (par exemple le marketing, la recherche et développement, etc.) ou les acquis venant de l’extérieur (l’intelligence économique, etc.) – autant que de les mémoriser et de les transmettre, le tout en vue d’atteindre un objectif fixé.

Pour l’entreprise, la gestion des connaissances sert surtout à mettre à profit les connaissances accumulées. Cette valorisation prend généralement la forme de méthodes d’aides à la diffusion et à l’organisation de documents.

Aux États-Unis, l’American Productivity & Quality Center (APQC) a réalisé une étude portant sur les bénéfices pour les organisations d’une bonne gestion des connaissances et sur les coûts réels d’une mauvaise gestion de ces dernières. Près de 1 000 travailleurs du savoir ont été interrogés dans le cadre de cette démarche. Les résultats montrent que le travailleur de ce domaine passe en moyenne 10 heures (par semaine de 40 heures) de façon improductive, c’est-à-dire qu’il ne réalise alors pas des tâches qui sont directement liées à ses objectifs d’emploi; des tâches qui pourraient être éliminées grâce à de meilleures pratiques d’affaires, à des processus efficaces ou à des outils utiles. D’autres résultats dévoilent que :

  • 43% des employés se disent plus frustrés ou stressés en raison de cela;
  • 42% ont moins de temps pour la créativité et l’innovation;
  • 37% disposent de moins de temps pour l’apprentissage.

Du côté des dirigeants de l’organisation, ce déficit en matière de bonne gestion des connaissances se révèle tout aussi préoccupant :

  • 55% disent que la résolution de problèmes est plus lente;
  • 37% mentionnent que la gestion de l’innovation ou la mise en marché l’est également;
  • 37% affirment que cela diminue la qualité des produits et services.

Alors que les organisations de moins de 20 employés représentent 86% des entreprises au Québec, quels sont donc les projets de gestion des connaissances à la portée des PME pour leur permettre de créer de la valeur?

Parmi les pistes de solution, mentionnons les actions suivantes :

  1. Documenter le savoir critique au sein l’organisation;
  2. Implanter un outil de recherche qui couvre l’ensemble des plateformes et systèmes;
  3. Fournir des outils permettant d’identifier les experts et les collègues qui transmettent leurs intérêts;
  4. Créer des communautés de pratiques.

Vos connaissances ont de la valeur

En cernant bien leurs connaissances (savoirs et savoir-faire) critiques, les PME sont à même de réussir à créer de la valeur.

Néanmoins, il s’avère tout aussi important pour elles de trouver des pistes de solution qui leur permettront de créer de nouvelles connaissances critiques. Cela peut se faire, entre autres exemples, par l’achat d’entreprise ou par la création d’une coentreprise pour venir soutenir la stratégie actuelle ou projetée.

C’est un fait : le départ à la retraite des baby-boomers ou encore les démissions et les promotions peuvent entraîner une perte d’expertise dans les organisations. Une bonne stratégie de gestion des connaissances contribue à un meilleur transfert des connaissances entre les employés.

Les compétences, les métiers, les savoirs, les savoir-faire et les brevets constituent également une richesse à l’intérieur d’une entreprise. Ses dirigeants doivent trouver le moyen de faire fructifier ce capital immatériel, puisqu’il permet de valoriser les connaissances du personnel tout en contribuant à l’amélioration de la performance de l’organisation. 

Dès lors, les gestionnaires gagnent à implanter au sein de l’entreprise une culture de transmission des connaissances qui facilite la capacité d’innovation. Pareille approche aide à améliorer le recrutement et la rétention de la main-d’œuvre, deux sujets de préoccupations pour bon nombre de PME québécoises.

Mais de quelles connaissances s’agit-il?

Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi, deux experts de ce type de gestion, identifient deux formes de connaissances : les connaissances tacites et les connaissances explicites.

Les premières correspondent à celles que possèdent les gens. Il s’agit de savoirs qui ne sont pas formalisés et qui sont difficilement transmissibles. On parle ici des compétences, des expériences, de l’intuition et des secrets de métier qu’une personne a acquis et dont l’entreprise a pu profiter à l’occasion d’échanges internes et externes. Pour simplifier, les connaissances tacites se transmettent par imitation et imprégnation et peuvent se résumer par une phrase comme « on le sait sans le savoir »; la personne met donc en œuvre des pratiques sans vraiment s’en rendre compte. Inversement, les secondes – les connaissances explicites – sont formalisées et transmissibles; elles existent sous la forme de documents réutilisables qui rassemblent des informations concernant les processus, les projets, les clients, les fournisseurs, etc. 

L’utilisation des connaissances est ce qu’on désigne communément par les termes « savoir-faire » et « compétences ». La conceptualisation des savoir-faire et des compétences de même que l’expérience de ces situations de travail forment ce qu’on appelle l’expertise.

Pour implanter un processus en gestion des connaissances, il est nécessaire de disposer de bons moyens d’action. La distinction entre donnée, information, connaissance et intelligence s’avère primordiale; elle contribue à la prise de décisions, comme l’illustre le schéma suivant.

Donnée, information, connaissance, intelligence

Source : F. Brouard (1999).

Comment s’y prendre?

Heureusement, il est possible de suivre une méthode simple et efficace pour tirer profit des connaissances dont dispose l’entreprise. Voici donc un processus en trois grandes étapes : la génération des connaissances, leur codification et, enfin, leurs diffusion et transfert. En suivant cette méthode et en déployant les outils appropriés, le gestionnaire parviendra à simplifier l’utilisation des données tout en augmentant la valeur qu’il en retirera.

Processus détaillé de gestion des connaissances

 

Génération

Outils

1. Identification du capital intellectuel (interne)
  • Veille et vigie
  • Étalonnage (en anglais : benchmarking)
  • Exploitation de banques de données

2. Création du nouveau capital intellectuel (externe)

  • Communautés virtuelles de pratiques

3. Appropriation du capital intellectuel

  • Foire et carrefour des innovations

Codification

Outils

4. Regroupement des connaissances dans des bases de données

  • Référentiels de connaissances et leurs dépositaires
  • Inventaire des meilleures pratiques
  • Stockage de données

5. Explication des connaissances dans un langage commun et une forme accessible à tous

  • Gestion documentaire
  • «Pages jaunes» d’expertises

Diffusion et transfert

Outils

6. Diffusion : transmission et circulation des connaissances entre les membres de l’organisation

  • Intranet informationnel et transactionnel
  • Collecticiels
  • Forums de discussion
  • Foire aux questions

7. Transfert : utilisation et réinvestissement des connaissances dans le processus de travail, les produits, les services, la formation, etc.

  • Équipe de travail multidisciplinaire
  • Outils d’aide à la tâche, système expert
  • Apprentissage en ligne

Depuis l’avènement de la pandémie de COVID-19, les mesures de transformation numérique qu’adoptent les PME se sont accentuées, ce qui a occasionné des défis supplémentaires pour la gestion des connaissances. Or les petits gains rapides sont à portée de main des gestionnaires. Il s’agit de choisir les projets appropriés qui créeront le plus de valeur possible.

En somme, une bonne gestion des connaissances dans les PME rend les employés plus efficaces et plus efficients, ce qui permet entre autres d’améliorer la gestion de l’innovation dans les organisations.


Références

https://www.apqc.org/resource-library/resource-listing/knowledge-management-makes-employees-more-efficient-and-effective

Jacob, R. et Pariat, L., Gérer les connaissances : un défi de la nouvelle compétitivité du 21e siècle – Information, interaction, innovation (document en ligne), Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO), Québec, octobre 2000, 73 pages.

https://www.oecd.org/fr/sti/inno/40825836.pdf

https://www.mckinsey.com/business-functions/marketing-and-sales/our-insights/getting-tangible-about-intangibles-the-future-of-growth-and-productivit