Si l’expression « entreprise structurante » est fréquemment utilisée dans le discours public, il n’existe aucune définition consacrée dans la littérature économique. Plusieurs commentateurs en parlent, mais au fait, de quoi s’agit-il?

Parmi les experts qui s’intéressent à cette question, certains évoquent des facteurs structurants d’une entreprise, portant davantage sur sa probabilité de réussite que sur sa contribution au succès économique collectif. Certains facteurs individuels, dont la taille de l’entreprise, sont reconnus comme participant au caractère structurant de l’entreprise, sans toutefois que l’un d’entre eux constitue en soi la définition recherchée. Des programmes gouvernementaux ou certaines municipalités proposent des définitions maison qui changent selon qui tient la plume, ou encore selon les impératifs locaux. Il apparaît donc important d’établir une définition claire de ce qui constitue une entreprise structurante, en y donnant un sens précis qui respecte les principes économiques reconnus.

Depuis longtemps, la performance d'une entreprise se mesure à l’aide d’indicateurs connus : revenus, PIB, emplois, importance des investissements, etc. Il semble aujourd’hui pertinent d'y ajouter une caractéristique plus englobante, évaluant la contribution globale de l’entreprise à l'économie de la région étudiée. Cette contribution n'est pas seulement liée au rendement de l'entreprise, mais aussi à ses caractéristiques propres (ex. : innovation, croissance, etc.) et à ses interactions positives avec les autres entreprises de son réseau. La propriété structurante d’une entreprise doit en quelque sorte refléter son apport au capital global de la collectivité. De plus, il s’avère tout aussi important de pouvoir mesurer cette contribution de façon simple et objective, afin de pouvoir comparer les entreprises entre elles.

Qu’est-ce qu’une contribution structurante?

Notre définition a été développée pour la première fois en 2016, lors d’une enquête sur les filiales de sociétés internationales réalisée pour le compte d’Investissement Québec, puis reprise une seconde fois en 2019.

Tout d’abord, le premier facteur directement lié à la contribution structurante est la taille de l’entreprise. En effet, plus une entreprise engrange des revenus, a d’employés et paie des impôts, plus son empreinte économique est importante… et structurante.

Quant aux autres « caractéristiques positives », nous en avons retenu quatre, décrites au tableau suivant.

Quatre caractéristiques des entreprises structurantes

Comment mesurer la contribution structurante?

Pour analyser et comparer la contribution d’une entreprise à l’économie régionale, il importe de quantifier les variables précitées. Pour ce faire, nous avons développé un indice variant entre 0 et 100 points et représentant le produit des deux composantes principales de la définition : la taille de l’entreprise, dont l’influence est prépondérante et qui est cotée sur 10 points[1], et ses quatre caractéristiques structurantes[2], dont le total est aussi coté sur 10 points – soit un maximum de 2,5 points par caractéristique.

En catégorisant ainsi les variables dans un indice dont la valeur varie entre 0 et 100, il est possible de quantifier, d’analyser et de comparer la contribution structurante d’une ou plusieurs entreprises au fil des années.

La contribution structurante des filiales internationales au Québec

Nous avons appliqué cette grille d’analyse aux répondants des enquêtes 2016 et 2019 sur les filiales de sociétés internationales. Les résultats de l’édition 2019 se trouvent dans le tableau ci-dessous.

Indice de contribution structurante des filiales internationales (n=104 filiales)

L’indice moyen des 104 filiales évaluées en 2019 s’établissait à 33,1 points[3]. En prenant en considération la variabilité de l’indice au moyen d’intervalles de confiance[4], l’indice moyen des filiales consultées se trouve entre 29,5 et 36,7 points. Comme une plus grande taille d’entreprise se traduit par une cote plus élevée à ce chapitre, il est naturel que l’indice augmente avec la taille de l’entreprise.

Par ailleurs, l’intervalle de confiance pour l’indice des entreprises du secteur de la fabrication s’établit à une moyenne de 35,1 et à des bornes de [31,5 ; 39,8]. Comme cet intervalle « chevauche » celui de l’ensemble des entreprises, et donc que l’indice moyen de toutes les entreprises (33,1) en fait partie, cela suggère que les fabricants ne sont pas fondamentalement plus « structurants » que les autres types d’entreprises, par exemple de services ou du secteur primaire. Cela déboulonne un mythe selon lequel les entreprises manufacturières sont plus structurantes que les autres, du moins en ce qui a trait aux filiales internationales.

Le nuage de points ci-dessous montre la variabilité de l’indice (axe horizontal) et sa croissance selon la taille, représentée ici par le nombre d’emplois (axe vertical). Pour des indices plus bas, soit de 0 à 20-25, la taille a un effet déterminant sur la croissance, puis au-delà de ces niveaux, ce sont surtout ses caractéristiques qui permettent à une entreprise de se démarquer des autres.

Indice de contribution structurante des filiales internationales (n=104) – Selon la taille (nombre d’emplois, échelle logarithmique), 2019

On doit en faire plus

De 2016 à 2019, la contribution structurante moyenne des filiales internationales a augmenté de 12,6 %. Si cela semble une bonne nouvelle à première vue, il importe de comprendre comment une telle mesure peut informer les dirigeants économiques et politiques, en vue d’améliorer cette contribution. Ainsi, entre ces deux mesures séparées de trois ans, la croissance récente des entreprises, tout comme leurs dépenses chez les fournisseurs du Québec, ont augmenté, haussant leur effet structurant d’une année à l’autre. Également, les résultats suggèrent qu’un recours accru à la recherche et développement contribuerait à rendre ces filiales encore plus structurantes.  

Le concept d’entreprise structurante est pertinent et devrait servir à l’élaboration des politiques économiques. Mais au-delà des mots, cet outil doit intégrer le lexique économique courant afin d’éviter la diffusion de perceptions imprécises. Avec cette première mouture d’une définition claire, intuitive et mesurable, il est désormais possible de débattre en toute objectivité sur le rôle et l’importance des entreprises structurantes. À terme, l’utilisation d’un tel indice permettrait non seulement de brosser un portrait plus précis de la contribution des entreprises à l’économie du Québec ou d’une région, mais aussi d’identifier et de surveiller les tendances à long terme qui l’affectent. Il faut maintenant que les économistes et la société civile établissent un consensus à ce sujet, afin que ces mots à la mode deviennent des notions claires et partagées.


Notes

[1] La taille de l’entreprise est mesurée selon ses revenus et cotée ainsi : 2,5 pts : < 10 M$; 5 pts : 10 - 49,9 M$; 7,5 pts : 50 - 99,9 M$; et 10 pts : 100 M$ +.

[2] Les caractéristiques structurantes (chacune cotée sur 2,5 points et additionnées) sont : (1) la croissance récente mesurée sur la base de la moyenne de la croissance de l'emploi, les revenus et l'investissement lors des cinq dernières années (0 - 2,5 pts); (2) l’innovation (cotée 2,5 pts si l'entreprise fait de la recherche et développement, et zéro autrement); (3) le degré d’interactions externes, mesuré grâce au ratio de la valeur des contrats auprès des fournisseurs québécois sur les salaires (0,5 pt : < 25 %; 1 pt : 25 % - 49,9 %; 1,5 pt : 50 % - 74,9 %; 2 pts : 75 % - 99,9 %; 2,5 pts : 100 % et plus); (4) l’autonomie décisionnelle (cotée de 0,5 à 2,5 pts).

[3] La filiale avec le plus faible pointage atteignait seulement 3,8 points, alors que la filiale avec le pointage le plus élevé atteignait 85,0 points.

[4] Intervalles de confiance (IC) à 95 %.