Le monde des affaires est de plus en plus interconnecté, imprévisible, incertain et volatile. Du point de vue des dirigeants, un constat s’impose : les prochaines années seront extrêmement difficiles et les modèles utilisés par le passé ne suffiront plus. Devant cette nouvelle complexité, quelles sont les capacités stratégiques que les équipes de direction devraient développer au sein de leur organisation ? Explications.

Le monde des affaires de la stabilité à la complexité

Devant la complexité du monde des affaires, les dirigeants devront dorénavant acquérir trois capacités essentielles : la capacité à collaborer, la capacité à innover en réseau et, pour le dirigeant lui-même, la capacité à changer. Ce constat se dégage d’une série d’enquêtes récentes menées auprès de PDG œuvrant partout dans le monde ainsi que de l’ouvrage collectif Paroles de PDG1.

La capacité à collaborer

Fonctionnement en silo, attentes des consommateurs pour des offres de services intégrées, partage de connaissances déficient entre les unités d’affaires, difficulté à intégrer les nouvelles générations et nécessité de mettre en place des chaînes de valeur transversales et interdisciplinaires : voici autant d’indicateurs qui militent en faveur d’une plus grande maîtrise de la capacité à collaborer.

Cette aptitude peut s’exprimer de différentes manières :

  1. La gestion en mode transversal et matriciel. La société Ubisoft Montréal, par exemple, met ce mode de gestion en pratique avec les directions métiers (les compétences tacites d’exploration), qui collaborent avec les producteurs de jeux vidéo (les compétences tacites d’exploitation) pour concevoir et réaliser un produit final correspondant parfaitement aux besoins des consommateurs.
  2. La gestion en mode « communautés de savoir ». Ceci permet à des experts appartenant à des unités différentes de développer des domaines de connaissances critiques, comme le fait par exemple la société française Schneider Electric, une entreprise internationale de 170 000 employés où, en 2015, plus de 24 000 d’entre eux étaient membres de 140 communautés de pratique. Ces communautés touchent 76 secteurs d’affaires, 60 domaines fonctionnels et huit domaines opérationnels.
  3. La collaboration intergénérationnelle. Celle-ci permet de transformer le conflit générationnel en synergie créatrice en s’appuyant sur des pratiques comme le mentorat inversé et les cercles de legs. Le projet Héritage, un partenariat entre Bombardier Aéronautique, Aéro Montréal et Mosaic – HEC Montréal (Pôle créativité et innovation) soutenu par Emploi Québec, s’inscrit dans cette perspective. Il vise à mettre en œuvre les meilleures pratiques individuelles et collectives de transfert de savoirs entre les générations autour de métiers clés et de domaines critiques d’expertise associés à la chaîne de valeur dans le secteur de l’aéronautique.

La capacité à innover en réseau

Historiquement, la capacité à innover prend la forme d’une fonction ou d’un bureau de recherche-développement qui fonctionne la plupart du temps en circuit fermé. Compte tenu des nouveaux enjeux d’affaires, plusieurs dirigeants en arrivent à la conclusion selon laquelle on ne peut plus agir seul ! La pratique de l’innovation prend alors diverses formes : elle devient plus ouverte, perméable à différents réseaux, et s’exprime au sein d’écosystèmes d’innovation.

Cette perspective ouverte de l’innovation peut revêtir différents aspects :

Hacking Health au Complexe Desjardins en mars 2016

Hacking Health au Complexe Desjardins en mars 2016

  1. Des projets d’innovation à l’aide de plateformes ouvertes de résolution de problèmes comme Innocentive, Idea Connection, NineSigma et Novacentris au Québec.
  2. Des projets en mode « production participative » (crowdsourcing) et « hackathon » avec des employés, des consommateurs et des citoyens. Les plateformes MyStarbucks Idea et IdeaStorm de Dell, le Coopérathon du Desjardins Lab et le Hacking Health du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal, en constituent de bons exemples.
  3. Des communautés de création conjointe de produits telles que la communauté des influenceurs créatifs de Frank + Oak ou la communauté de clients Mindstorms de la société Lego.

L’innovation ouverte peut aussi s’exprimer au sein d’un écosystème d’innovation, souvent pour explorer des sentiers inconnus. À titre d’exemple, le Michelin Challenge Bidendum Open Lab regroupe tous les ans des centaines d’acteurs aux expertises différentes et provenant de tous les milieux (industries, universités, institutions et entreprises en démarrage) autour d’un enjeu stratégique fondamental pour la société Michelin : bâtir la mobilité du futur2.

Innobahn, une initiative de la société Ubisoft en collaboration avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

Innobahn, une initiative de la société Ubisoft en collaboration avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain

C’est aussi cette approche que préconise la société Ubisoft de Montréal en collaboration avec la Chambre de commerce du Montréal métropolitain dans le cadre de l’initiative Innobahn, qui permet aux grandes entreprises d’accélérer leurs processus d’innovation en explorant des perspectives inédites avec de nouvelles entreprises novatrices.

le Living Lab du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal, en collaboration avec la SAT

le Living Lab du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, à Montréal, en collaboration avec la SAT

Le Laboratoire vivant (Living Lab) en humanisation des soins du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine représente un autre exemple d’un écosystème d’innovation où se rencontrent, dans une logique de cocréation, les domaines de la santé et des arts technologiques et qui intègre des partenaires en innovation tels que le Cirque du Soleil, Moment Factory et la Société des arts technologiques de Montréal.

La capacité du dirigeant à changer

La capacité du dirigeant à changer repose sur son aptitude à se remettre en question, à comprendre ses forces et ses limites ainsi qu’à se poser les bonnes questions personnelles par rapport aux défis qui se présentent à lui et à son organisation.

Sur la plateforme « Leaders in the 21th Century » de la société McKinsey, de nombreux témoignages de dirigeants sont résumés de la manière suivante : « Après des années de collaboration à faire la promotion de la pratique du leadership et de la transformation culturelle, nous sommes désormais convaincus que le changement organisationnel est inséparable du changement individuel. Autrement dit, les efforts de changement s’amenuisent souvent parce que les individus négligent la nécessité d’effectuer des changements fondamentaux en eux-mêmes3. » Ainsi, une meilleure gestion de soi renvoie à trois types de pratiques : l’analyse réflexive, la gestion de son énergie et l’élaboration de son propre plan de développement personnel.

Un art plutôt qu’une science

On en conviendra : l’exercice du métier de dirigeant s’apparente davantage à un art qu’à une science. Bien que les concepts en management soient utiles, la pratique de ce métier est extrêmement contextualisée. L’analyse réflexive peut s’appuyer sur des pratiques individuelles, telles le mentorat et le coaching stratégique, ou sur des pratiques collectives expérientielles, comme on en trouve au sein de collectifs de dirigeants comme le Groupement des chefs d’entreprise du Québec, le réseau IDE et le Cercle des présidents.

Quelques programmes de développement des dirigeants de certaines écoles de gestion ou d’universités d’entreprises introduisent des modules réflexifs, des activités d’apprentissage par les pairs et des contenus expérientiels qui constituent autant d’activités permettant de soutenir le travail réflexif d’un dirigeant.

La gestion de l’énergie

Pour les PDG, la gestion de l’énergie passe par un équilibre à entretenir autour de trois grandes sphères : les sphères physique, cognitive et émotionnelle. La gestion de l’énergie physique renvoie principalement aux activités sportives, à la limitation du temps de travail et à la qualité du sommeil. Les dirigeants doivent aussi apprendre à éviter la surcharge cognitive. Trop d’information tue la décision ! Dans ce sens, certains d’entre eux suggèrent de prendre du recul, de faire davantage confiance à son instinct et de mieux compartimenter le temps de travail. Quant à la gestion de l’énergie émotionnelle, les conseils portent sur les éléments suivants : la capacité à mettre les choses en perspective, à se réserver une oasis de paix, à s’impliquer dans la communauté et à s’occuper des autres.

Le développement personnel

Enfin, on peut affirmer que toutes les entreprises ont leur propre plan de développement mais que les dirigeants n’en ont pas pour eux-mêmes. À cet égard, les PDG suggèrent un plan de développement personnel construit autour de trois stratégies d’apprentissage : l’apprentissage par l’expérience (exemple : la participation à des conseils d’administration, l’acceptation de mandats difficiles pour sortir de sa zone de confort), l’apprentissage par les pairs (exemple : les relations privilégiées avec des personnes signifiantes) et l’apprentissage par l’acquisition de connaissances (exemple : l’inscription à un programme de formation pour dirigeants, à un programme de maîtrise en administration des affaires – EMBA – ou à des conférences d’envergure).

Collaborer, innover en réseau, apprendre : voilà trois capacités qui relèvent de l’intangible mais qui apparaissent comme des incontournables dans un monde de plus en plus complexe.


Notes

Hébert, L. (dir.), Paroles de PDG – Comment 75 grands patrons du Québec vivent leur métier, Montréal, Éditions Rogers, 2014, 148 p.

Le treizième Michelin Challenge Bidendum a lieu à Montréal les 13, 14 et 15 juin 2017.

« Leaders in the 21th Century », McKinsey Quarterly, février 2017.