Le professeur Bélanger nous invite à ouvrir les yeux et nous apprend à ne pas nous laisser influencer.

Deux tragédies québécoises ont laissé des traces différentes. L’accident ferroviaire de Lac-Mégantic de juillet 2013 a fait 47 morts. Il eut un impact durable sur la société québécoise. Il en fut autrement pour une autre tragédie avec une mortalité beaucoup plus élevée.

Les hôpitaux québécois, principalement montréalais, affrontèrent durant les années 2000 l’épidémie de C. difficile. Une recherche académique propose un estimé pour les années 2003 et 2004 « entre 1 000 et 3 000 » morts. (Pépin et al 2005 : Online-5). Les problèmes d’hygiène des hôpitaux étaient mis en cause. Cet événement, lui, fut oublié.

L’impact différencié qu’ont entraîné les deux tragédies a pour origine une caractéristique particulière : sa visibilité. Ce qu’on ne voit pas demeure ignoré.

Ce qui est visible aujourd’hui

L’importance de la visibilité ne doit pas être sous-estimée. Les bulletins de nouvelles méritent à mon avis plutôt l’appellation suivante : ce qui est visible aujourd’hui. Le contenant est privilégié par rapport au contenu. Dans un univers de plus en plus spécialisé, il est difficile de traiter un sujet en profondeur. À l’intérieur de la série Fièvre politique diffusée sur Télé-Québec, l’ancien ministre Stéphane Bédard a bien identifié les problèmes du mélange des genres et de la superficialité de l’information :

 « Maintenant, le monde des médias, des nouvelles, des commentateurs, du spectacle, c’est rendu très près. On ne voit plus la différence entre celui qui commente, qui analyse et qui fait la nouvelle. Le mélange des genres est constant. On demande à quelqu’un d’être spécialiste d’un domaine en une demi-heure, qui doit produire un bulletin instantanément. On est dans l’instantané. Il doit résumer des sujets très complexes en deux ou trois phrases. C’est loufoque, complètement loufoque. Beaucoup de gens réfléchissent, pondent des programmes, mais pas assez de gens les lisent, s’intéressent au fond. Ce qui reste est deux ou trois phrases, un clip, un slogan… et votre essence. » 

Des décisions biaisées

La caractéristique de la visibilité agit sur la prise de décision. Dans un univers de connaissances imparfaites, toute décision implique des risques d’erreur. L’approbation d’un nouveau médicament entraîne deux types d’erreur :

  • Erreur de type 1 : Homologuer un médicament qui se révèle avoir des conséquences graves.
  • Erreur de type 2 : Refuser l'homologation d'un médicament valable et sans effet secondaire dangereux.

Les deux erreurs sont présentes et on ne peut pas y échapper. Une décision rationnelle demande de pondérer la probabilité anticipée des deux erreurs par leurs conséquences ou leurs coûts respectifs attendus.

Les décideurs des organismes réglementaires ont tendance à surestimer les coûts de l'erreur de type 1, vu les effets dévastateurs de ce type d'erreur pour leur carrière. Celle qui consiste à approuver un médicament qui s'avère avoir des conséquences néfastes est très visible, tandis que l'autre type d'erreur l'est beaucoup moins. Les malades ou même les morts épargnés par un nouveau médicament refusé ne sont pas connus.

La recherche de la tangibilité

La tangibilité du produit d’une action est importante. Si le médecin me donne une prescription au sortir de la visite, j’ai la satisfaction d’avoir été écouté. Ce n’est pas le cas s’il m’a simplement suggéré de prendre mieux soin de ma santé en évitant de brûler la chandelle par les deux bouts.

Il en est de même au niveau politique. Les subventions à de nouvelles entreprises se traduisent par des emplois visibles, donc intéressants pour le parti au pouvoir. La perte des emplois occasionnés par leur financement et la perte des marchés des concurrents ne sont pas visibles et avec peu de conséquences politiques.

C’est aussi le cas pour la multiplication des réglementations. Elles montrent que le gouvernement agit face à un problème. Malheureusement, il y a peu d’intérêt à connaître leur degré effectif d’implantation et aussi leur impact.

Le maquillage ou l’art de pomponner

La volonté de rendre visibles les aspects positifs des situations a engendré l’omniprésence des relations publiques dans la société. Beaucoup d’efforts portent sur l’amélioration du contenant par rapport au contenu. Cela correspond à une forme de maquillage ou à l’art de pomponner.

Dans cet univers, il est primordial de conserver un esprit critique et d’essayer d’identifier le revers de ce qui est présenté. Il est utile de se rappeler que l’erreur de type 1 a une contrepartie avec l’erreur de type 2.

Ce n’est pas une tâche simple puisqu’un brin de connaissance demeure une chose dangereuse.