Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

À l’heure où les entreprises doivent composer avec une compétition grandissante et se démarquer sans relâche de leurs concurrentes, le caractère stratégique de la relation de vente s’accroît de jour en jour. Gestion s’est entretenue avec Bruno Lussier, professeur adjoint au département de marketing de HEC Montréal, pour mieux comprendre les façons de faire dans ce domaine en Amérique du nord. Propos recueillis Par Emmanuelle Gril.

Pourquoi avoir choisi d’orienter vos recherches vers la relation de vente et vers les équipes de vente ?

Bruno Lussier : Dans une autre vie, j’ai œuvré comme vendeur et assumé plusieurs autres fonctions au sein   de compagnies pharmaceutiques. J’ai donc pu prendre la mesure de tous les enjeux inhérents à ce secteur d’activité.

Ainsi, j’ai constaté qu’on en demande beaucoup aux vendeurs. Ils subissent en effet une forte pression et doivent atteindre des objectifs élevés en matière de chiffres de vente, faire preuve d’une grande adaptabilité, être habiles en écoute active et gérer de nombreuses relations – tant à l’interne qu’à l’externe – dans un environnement où les clients sont de plus en plus informés et de plus en plus exigeants. On leur demande d’être des superhéros avec des superpouvoirs !


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Le soutien et les ressources qu’on peut leur offrir pour les aider à relever ces défis constituent donc un des fils conducteurs de mes recherches.

De quelle façon établit-on une relation de vente en Amérique du Nord ?

B. L. : chez nous, la relation de vente est surtout considérée comme de la vente relationnelle. Concrètement, cela recouvre toutes les activités de marketing visant à établir, à développer et à maintenir de bonnes relations d’affaires avec la clientèle1.

La relation de vente s’inscrit aussi dans une perspective à long terme, fondée sur la connaissance réciproque des deux acteurs2. Elle s’appuie sur une confiance partagée et sur une approche personnalisée. Cela signifie qu’il faut apprendre à se connaître : ainsi, par exemple, un client n’achètera pas une nouvelle technologie coûteuse s’il n’existe pas de lien de confiance avec le vendeur ; c’est une condition essentielle.

De plus, la relation de vente s’inscrit dans une dynamique centrée sur le client (ou customer centricity en anglais). Il s’agit donc d’harmoniser le développement de l’offre de services ou de produits avec les besoins d’un segment restreint de clients afin de maximiser leur valeur financière à long terme pour l’entreprise3.

Il est donc indispensable de bien connaître la clientèle, de cibler les meilleurs clients et de leur consacrer un maximum d’efforts de vente. Autrement dit, le vendeur doit placer le client au cœur des objectifs stratégiques de l’entreprise.

L’approche relationnelle de la vente repose également sur le principe « gagnant-gagnant ». L’acheteur sait par exemple qu’il peut compter sur une équipe de service après-vente efficace, qu’il obtiendra du soutien en cas de besoin, etc. Un client satisfait est également plus engagé, ce qui signifie qu’il aura l’intention de poursuivre la relation d’affaires, qu’il parlera positivement de l’entreprise et qu’il recommandera les produits et services de cette entreprise à d’autres personnes.

Plusieurs chercheurs4 ont d’ailleurs démontré que le fait de développer et de maintenir de bonnes relations d’affaires aurait pour effet d’améliorer les performances des vendeurs et d’accroître les ventes. au bout du compte, ce sont les parts de marché et les profits de l’entreprise qui tendent à augmenter.

Lorsqu’il s’agit d’établir une bonne relation d’affaires, peut-on utiliser la même recette dans tous les cas ?

B. L. : Certains clients préfèrent avoir une certaine proximité ainsi que des contacts fréquents et chaleureux avec le vendeur. Ils veulent discuter et prendre leur temps. C’est un constat que j’ai souvent eu l’occasion de faire sur le terrain : dans le secteur pharmaceutique par exemple, lorsqu’on rencontre des médecins, nombreux sont ceux qui commencent par bavarder de tout et de rien avant de passer à la discussion d’affaires. Ici, le volet relationnel peut prendre beaucoup de place dans le processus de vente.

Inversement, d’autres personnes sont plus à l’aise avec des rapports neutres et moins intimes. Plus expéditives, elles souhaitent arriver rapidement au cœur du sujet. Dans les deux cas, le vendeur doit adopter une approche précise, faire preuve d’une grande adaptabilité et être en mesure de reconnaître les préférences comportementales de chacun.

Dans nos cours de vente avancés à HEC Montréal, nous utilisons des profils psychométriques pour mieux connaître les préférences comportementales, les compétences, le profil psychologique et les motivations de nos étudiants. Nous avons par exemple recours à des codes de couleur pour définir le style comportemental des gens. Le rouge correspond à un style actif, compétitif, exigeant et expéditif.


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Le jaune se rapporte aux personnes expressives, sociables, enthousiastes et dynamiques. Le vert représente un style aimable, attentionné, calme et coopératif. Quant au bleu, il s’applique à un profil analytique, formel, précis et réfléchi. Évidemment, chaque personne est un mélange unique de ces quatre profils. Dans un contexte de vente, on module donc la relation avec le client en fonction de ses caractéristiques propres, qu’on a appris à décoder et à connaître avec le temps.

Cela signifie-t-il qu’il y a une bonne part d’intelligence émotionnelle dans la relation de vente ?

B. L. : tout à fait. En ce sens, le vendeur doit être en mesure de percevoir, de sentir et de comprendre les émotions du client tout en maîtrisant ses propres émotions. Par conséquent, l’écoute active est un élément incontournable : le vendeur doit observer les signes verbaux (choix des mots, ton de la voix, etc.) et non verbaux (regard, posture, etc.) de son interlocuteur, et ce, sans nécessairement penser à sa prochaine question.

Plus encore, il doit écouter attentivement et paraphraser ce que son client vient de lui dire pour lui montrer qu’il a bien saisi son propos.


Notes

1 Morgan, R. M., et Hunt, S. D., « The commitment-trust theory of relationship marketing », Journal of marketing, vol. 58, n° 3, juillet 1994, p. 20-38.

2 Perrien, J., et Ricard, L., « L’approche relationnelle dans le secteur bancaire », gestion hec montréal, vol. 19, no 4, hiver 1994, p. 21-26.

3 Fader, P., customer centricity – focus on the right customers for strategic advantage (deuxième édition), Philadelphie (PA), Wharton Digital Press, 2012, 128 pages.

4Voir notamment : a) Palmatier, R. W., Dant, R. P., Grewal, D., et Evans, K. R., « Factors influencing the effectiveness of relationship marketing – A meta-analysis », Journal of marketing, vol. 70, n° 4, 2006, p. 136-153; b) Hoppner, J. J., Griffith, D. A., et White, R. C., « Reciprocity in relationship marketing – A cross-cultural examination of the effects of equivalence and immediacy on relationship quality and satisfaction with performance », Journal of international marketing, vol. 23, n° 4, 2015, p. 64-83; c) Lussier, B., Grégoire, Y., et Vachon, M.-A., « The role of humor usage on creativity, trust and performance in business relationships – An analysis of the salesperson-customer dyad », industrial marketing management, vol. 65, 2017, p. 168-181.