Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

Hormis quelques réfractaires, les entreprises sont de plus en plus ouvertes à la conciliation travail-famille. Les mesures appliquées sur le terrain ont d’ailleurs évolué au cours des dernières années. Sylvie St-Onge, CRHA, Professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal, chercheuse au Cirano et spécialiste de la question, a dressé un bilan pour Gestion.

De quelle façon la conciliation travail-famille a-t-elle progressé récemment ?

En ce qui concerne la société québécoise, on remarque des changements législatifs, notamment dans la Loi sur les normes du travail, qui ont permis d’accroître le nombre de jours de congé offerts pour prendre soin d’un proche, ou encore avec le projet de loi actuel qui vise à bonifier le Régime québécois d’assurance parentale.

Au sein des organisations, le concept de conciliation travail-famille a là aussi évolué. On parle davantage de conciliation entre les vies professionnelle et personnelle, ce qui est plus large que les considérations strictement familiales, car cela englobe les soins aux parents âgés, les études et la formation continue, les loisirs, les amis, l’implication communautaire, etc.

De plus en plus d’entreprises intègrent aussi leurs pratiques favorables à la conciliation des sphères de vie dans un vaste programme de bien-être ou de santé au travail destiné à améliorer la santé physique et mentale en ayant recours à une panoplie de moyens et d’outils : programmes d’aide aux employés permettant de consulter des experts dans divers domaines, massages sur chaise, salles de relaxation, consultations médicales sur place, paniers de fruits, machines à espresso et kombucha gratuits… Les possibilités sont infinies! Certaines entreprises offrent même à leur personnel un accès à une clinique de santé en ligne.

Quel rôle peuvent jouer les mesures de conciliation travail-famille pour une entreprise ?

Elles aident à attirer et à fidéliser le personnel, en particulier lorsqu’on est dans un contexte de rareté de la main-d’œuvre ou qu’on recherche une expertise de pointe. Elles contribuent aussi favorablement à la santé physique et mentale des employés, donc à réduire les coûts croissants des primes d’assurance invalidité et santé pour les employeurs.

Les effets positifs de ces mesures sur la qualité du travail réalisé par les employés, sur les services offerts par l’entreprise ainsi que sur l’assiduité du personnel ont été démontrés depuis longtemps1.

Compte tenu de l’expérience acquise au fil du temps, quelle pratique favorise le plus la conciliation travail-famille ? Sans hésitation, la pratique la plus profitable consiste à offrir de la flexibilité. Ainsi, la possibilité de travailler à des endroits différents, de moduler son horaire et d’effectuer les tâches de façons variées est un bon exemple. Les formules sont nombreuses : télétravail, horaires flexibles, congé les vendredis après-midi, fins de semaine de trois jours l’été, etc.

Évidemment, ce n’est pas possible pour tous les types d’emplois ni dans tous les secteurs d’activité, mais il faut s’interroger sur les façons de faire qui permettront tout autant, sinon mieux, d’atteindre les  résultats souhaités.

La génération des milléniaux, réputée pour avoir plus d’exigences et d’attentes à cet égard, réclame-t-elle davantage de mesures de ce type que les générations précédentes ?

Bien des gens exigent de telles mesures, notamment les parents, qu’ils soient jeunes ou un peu plus âgés, ainsi que les membres de diverses minorités qui souhaitent obtenir des accommodements pour répondre à des besoins particuliers. Certains jeunes, plutôt que de gagner plus d’argent, préfèrent avoir davantage de journées de congé. Plus instruits, ils sont plus enclins à changer rapidement d’employeur, surtout si leur expertise est très convoitée sur le marché.

Ils valorisent leur vie personnelle : amis, partenaire de vie, loisirs, sport, etc. ils souhaitent faire les choses à leur façon, tant en ce qui concerne le contenu de leur travail qu’en ce qui a trait au lieu où ils vont le réaliser. Avec les progrès technologiques, ils veulent avoir la possibilité de travailler à distance, du moins à l’occasion. Les entreprises où on souhaite que le personnel travaille constamment sur place doivent donc offrir un milieu très attrayant, ce que font déjà plusieurs organisations.

Y a-t-il encore des milieux réfractaires aux mesures de conciliation travail-famille ?

Sur le terrain, on observe de grandes disparités dans ce domaine. Cela dépend aussi des types d’entreprises, des secteurs d’activité, des catégories de personnel, etc. D’ailleurs, bien des employeurs ne voient pas l’intérêt d’offrir des conditions de travail qui vont au-delà de celles exigées par les gouvernements.

Ce phénomène est plus fréquent dans les secteurs où on peut compter sur une main-d’œuvre abondante ou peu qualifiée. Certains employeurs associent toujours ces pratiques à des coûts ou à des dépenses plutôt que d’y voir un investissement qui générera des bénéfices. Plusieurs estiment que la conciliation des divers volets de l’existence relève de la vie privée des employés.

D’autres ont peur d’ouvrir une boîte de Pandore, d’alimenter des perceptions d’injustice ou d’enclencher une spirale de demandes et d’attentes difficiles à satisfaire.

Il reste donc du chemin à parcourir en matière de conciliation travail-famille ?

Oui, tant pour les organisations que pour les personnes. D’ailleurs, même si bien des gens réclament de telles mesures, on remarque que ce sont traditionnellement les femmes qui en bénéficient le plus. Quoi qu’on en dise, il existe encore une distribution des rôles basée sur le genre au sein des couples, en particulier avec l’arrivée d’un premier enfant.

Par contre, dans certains domaines professionnels – droit, comptabilité, etc. –, certaines mères évitent d’avoir recours à ces mesures par crainte que cela nuise à leur carrière. Des études récentes montrent aussi que les pères qui veulent adapter leurs conditions de travail à leur famille ont les mêmes appréhensions.


LIRE AUSSI : « Vu d'ailleurs... La conciliation travail-famille »


Il faut du temps pour changer une culture… mais il est intéressant de voir paraître des livres populaires sur les pères au travail, par exemple The Working Dad’s Survival Guide – How to Succeed at Work and at Home2.

Sur les plans sociétal, organisationnel et individuel, il importe d’appuyer les actions favorables à la conciliation des sphères de vie du plus grand nombre possible de travailleurs : mères, pères, jeunes, employés plus âgés, et ce, quelles que soient les catégories d’emploi. Les membres des équipes de direction doivent manifester leur appui en montrant l’exemple et en donnant le ton.


Notes 

1 Voir notamment : Chrétien, L., et Létourneau, L., « La conciliation travail-famille : au-delà des mesures à offrir, une culture à mettre en place », gestion hec montréal, vol. 35, n° 3, automne 2010, p. 53-61 ; Guérin, G., St-Onge, S., Haines,V., Trottier, R., et Simard, M., « Les pratiques d’aide à l’équilibre emploi-famille dans les organisations du Québec », Relations industrielles / industrial Relations, vol. 52, n° 2, printemps 1997, p. 274-303.

2 Publié en 2015, cet ouvrage a été écrit par le professeur de management américain Scott J. Behson.

Pour aller plus loin

Poelmans, S., Greenhaus, J. H., et Las Heras Maestro, M. (dir.), expanding the Boundaries of Work-family Research – a vision for the future, New York, Palgrave Macmillan, 2013, 366 pages.

Greenhaus, J. H., et Powell, G. N., making Work and family Work – from hard choices to smart choices, New York, Routledge, 2017, 164 pages.