De plus en plus, les programmes de reconnaissance au travail font place à une véritable «culture» de reconnaissance. Une évolution nécessaire pour maintenir la motivation des employés. Jean-Pierre Brun, CRHA et professeur associé au département de management de l’université Laval, Jean-François Bertholet, consultant en ressources humaines et chargé de cours HEC Montréal, et Annie Boilard, CRHA et présidente du réseau Annie RH, nous font part de leurs réflexions à ce sujet.

Le concept de reconnaissance au travail a-t-il évolué ces dernières années?

Jean-François Bertholet :  On a beaucoup misé sur les programmes de reconnaissance avec des gestes symboliques, comme la désignation de l’employé du mois. Mais cela a fini par générer du cynisme. Aujourd’hui, on tente plutôt d’implanter une culture de reconnaissance qui repose non pas sur des récompenses, mais plutôt sur une façon de voir l’autre, de reconnaître sa contribution.

Parmi les nouvelles tendances, on note aussi l’apparition d’applications où l’on attribue aux employés des points qui, ultimement, permettront d’acheter certains biens ou services. Je suis un peu sceptique face à cette approche, qui instrumentalise la reconnaissance au travail et manque de sincérité. Je suis plus favorable à une application comme Listen Léon, avec laquelle on envoie des compliments à ses collègues ou à ses employés de façon anonyme, ce qui constitue un geste gratuit et altruiste.

Jean-Pierre Brun : La reconnaissance au travail doit évoluer. Pendant longtemps, elle était synonyme de récompenses, mais on constate que cela ne génère pas un meilleur engagement de la part des employés. Il est préférable d’adopter régulièrement une démarche informelle dans la proximité, au lieu de souligner une fois par an le travail qu’une personne a accompli. Ce que les entreprises ont fait jusqu’ici – les mercis, les bravos, etc. – était nécessaire, mais cela demeure insuffisant. Il faut être davantage présent au quotidien et instaurer une véritable culture de reconnaissance à l’interne.

Annie Boilard : Aujourd’hui, on sait que ce qui a le plus de retombées positives, ce sont les relations individuelles et de personne à personne, tant entre le patron et ses employés qu’entre collègues de travail. Il faut donc agir en ce sens, de façon spontanée et authentique, et non pas sur une base programmée et prévisible (le fameux party de Noël, par exemple). Cela peut prendre la forme d’un simple message téléphonique, d’un courriel, d’un post-it, d’une carte pour féliciter ou reconnaître les efforts déployés. Mais ces actions peuvent aussi permettre de souligner l’attitude positive d’un employé, le fait qu’il ait respecté les processus, etc.

Pour reconnaître le bon travail d’un individu, on peut aussi lui assigner un projet particulier, lui confier des responsabilités dont on sait qu’elles le stimuleront, lui offrir une occasion de formation ou encore lui proposer de participer à un salon professionnel, par exemple. Cette méthode ne coûte rien et se conjugue facilement avec les programmes de reconnaissance traditionnels. Au bout du compte, cela contribue à fidéliser les talents.

Comment développer une culture de reconnaissance chez les gestionnaires et de quelle façon pourrait-elle se manifester concrètement?

J.-P. B. : On vise le changement dans les comportements et les attitudes. Pour y parvenir, il faut exposer les gestionnaires à ces idées par le biais de conférences et d’ateliers. Il faut favoriser l’échange et les discussions sur ces pratiques.

Dans le fond, il ne s’agit pas uniquement de reconnaissance, mais plutôt de considération, d’écoute des employés. Ainsi, on tient compte de leurs besoins en matière de conciliation entre le travail et la vie personnelle. On leur donne aussi l’occasion de participer aux décisions.

Les actions peuvent prendre des formes très variées d’une organisation à une autre. Ainsi, dans un centre de services scolaire, on a décidé de tenir chaque fois les rencontres de comités de direction dans une école différente, au lieu de le faire dans des bureaux administratifs. Cela permet de se rapprocher des équipes sur le terrain, de montrer qu’on est à leur écoute, et non dans une tour d’ivoire.

J.-F. B. : Je crois beaucoup à la force de l’exemple. En ce sens, les gestionnaires devraient prendre le temps de reconnaître la valeur de leurs équipes. Par exemple, en montrant de véritables signes d’appréciation, en soulignant la façon dont un employé s’est investi dans une tâche. Les gens veulent avoir un patron qui est réellement reconnaissant et non qui se borne à «faire» de la reconnaissance et à donner des récompenses.

A.B. : Je dis souvent qu’il faut «aller au gym du cerveau», c’est-à-dire s’entraîner à voir les éléments positifs au lieu de se concentrer sur les points négatifs. Le gestionnaire sera alors plus à même d’identifier les bons coups des employés et de donner régulièrement des signes de reconnaissance.

Devrait-on adapter les pratiques de reconnaissance en fonction des diverses générations au travail?

J.-P. B. : Les différentes générations n’ont pas la même vision du travail. Voilà pourquoi on devrait effectivement moduler les signes de reconnaissance en conséquence. Par exemple, l’équilibre entre le travail et la vie personnelle est particulièrement important pour les plus jeunes générations. Mais la question du genre a aussi son importance, parce les hommes et les femmes n’ont pas le même rapport au travail.

Par ailleurs, on met beaucoup l’accent sur l’accueil des nouveaux employés, mais on devrait accorder tout autant d’importance au départ des anciens et aménager une sortie graduelle qui favorise le transfert des connaissances et qui permet de valoriser tout ce qu’ils ont accompli.

A.B. : À mon avis, tout le monde, quel que soit l’âge, aime recevoir de la reconnaissance, car cela génère un sentiment de bien-être. Mais tous n’ont pas les mêmes besoins, notamment en ce qui a trait à la quantité de reconnaissance reçue. Ainsi, les nouvelles générations ont un plus grand appétit de rétroaction et de reconnaissance. Cela peut s’expliquer en partie par le fait que durant leur enfance, ils ont reçu une éducation qui les a beaucoup exposés au renforcement positif.

J.-F. B. : Lorsqu’on est jeune et qu’on a peu d’expérience, on est généralement moins sûr de soi. C’est pourquoi on a habituellement besoin de recevoir davantage de rétroaction et d’information sur son travail. Dans ce contexte, la reconnaissance a toujours une grande importance.

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion