Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Parmi l’ensemble des pratiques de rémunération instituées dans les entreprises, le fameux boni a-t-il perdu de son attrait? On peut se poser cette question en observant les effets somme toute assez faibles des incitatifs financiers sur le degré d’engagement des employés. Jean-François Bertholet, CRHA, chargé de cours à HEC Montréal et consultant en développement organisationnel, nous livre ses réflexions sur ce sujet.

Les primes et les bonis peuvent-ils encore influer sur la mobilisation des employés?

En entreprise, on a manifestement atteint la limite des effets que peuvent avoir les bonis. De nos jours, ils sont vus comme un acquis par les travailleurs et ils n’accroissent que très rarement leur engagement, et ce, d’autant plus que l’impôt en prélève une bonne partie et qu’il en reste moins dans les poches des salariés.


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De plus, on sait que la rémunération incitative fonctionne davantage dans le cas des postes où les tâches sont répétitives. Pour les gens dont les tâches sont plus complexes, il y a peu d’effets positifs.

À bien y penser, ce type de pratique relève aussi d’une logique particulière : on distribue des primes incitatives pour donner envie de performer aux employés. C’est comme si on tenait pour acquis dès le départ qu’ils n’ont tout simplement pas envie de se donner à fond et que, sans bonis à la clé, leur rendement demeurera faible.

La prime incitative – aussi appelée prime au rendement – peut-elle avoir des effets pervers?

Oui, car non seulement elle coûte cher aux entreprises, mais elle peut aussi susciter des comportements contre-productifs. Par exemple, un vendeur qui touche une prime incitative sera peut-être motivé à accroître ses ventes au maximum, mais il ne se souciera pas nécessairement de la qualité du service à la clientèle ou du service après-vente. De la même façon, une rémunération trop élevée a pour effet d’attirer des personnes qui s’intéressent avant tout à l’argent et non pas à leur travail en tant que tel, ce qui pose des risques.

Des questions à caractère social se cachent également derrière la rémunération. On le voit régulièrement – mais plus encore en période de crise – lorsque l’opinion publique s’indigne devant les primes à la performance ou les salaires versés à certains PDG dont l’entreprise est parfois même en pleine déroute financière. Les employés tolèrent les grands écarts salariaux lorsque c’est mérité et lorsque les pratiques en matière de rémunération correspondent à la situation de leur organisation. Quand le patron travaille fort, lorsqu’il s’investit dans l’entreprise, une rémunération élevée est acceptée, sinon cela crée un sentiment d’injustice.

Alors, quelle est la solution?

Il faut sortir de la logique transactionnelle. Les entreprises devraient s’efforcer de verser un juste salaire à leurs employés, établi en fonction de ce qu’ils valent vraiment, au lieu de miser sur les primes. Mener des enquêtes sur la rémunération dans son secteur d’activité constitue une bonne pratique afin de fixer des barèmes.

Cela dit, il est difficile de contenter tout le monde, et les gens sont rarement satisfaits de leur salaire… Il existe d’ailleurs un biais égocentrique qui fait en sorte que lorsqu’on se compare, on a tendance à surestimer son propre apport à une organisation et à minimiser celui des autres employés.

Mais l’argent n’est pas tout : il y a aussi tout ce qui relève de la satisfaction au travail, de la possibilité de se développer et de progresser professionnellement, de se voir confier des responsabilités, etc. Les employés souhaitent être entendus et écoutés, ils veulent que leur expertise soit reconnue, qu’on leur fasse confiance et qu’il y ait une forme d’habilitation [ou empowerment en anglais]. C’est un des grands défis de l’avenir en matière de rémunération.

Lorsque les employés se sentent bien traités par leur organisation, sont-ils davantage disposés à faire des compromis en matière de rémunération?

Le fait qu’une entreprise réponde aux aspirations de ses employés, qu’elle leur confie des responsabilités, qu’elle reconnaisse et valorise leurs compétences, constitue un levier aussi efficace – sinon plus – que l’argent.

Durant la pandémie de COVID-19 et la crise qui en a résulté, on a notamment vu des organisations demander à leurs employés de réduire leur rémunération afin qu’elles puissent poursuivre leurs activités, et ils ne s’y sont pas opposés. D’ailleurs, il est intéressant de constater que les travailleurs qui se sont sentis soutenus et bien traités par leur employeur pendant la crise – par exemple en allégeant les exigences compte tenu des problèmes reliés au télétravail ou en maintenant les emplois malgré l’interruption des activités – ont développé une grande loyauté envers leur entreprise.

En revanche, l’authenticité est de rigueur. On assiste actuellement à la multiplication des programmes de reconnaissance. En Europe, par exemple, on parle de plus en plus de « stratégie de la bienveillance ». Pourquoi ne pas tout simplement témoigner de la reconnaissance à ses employés de façon naturelle et spontanée au lieu d’instaurer des programmes formels en ce sens? Un gestionnaire devrait vraiment s’intéresser à ses ressources humaines et les placer au cœur de ses priorités. C’est comme le sourire : quand il est forcé et factice, ça se sent. Les gens ne sont pas dupes!


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Il y a quelques années, on a aussi vu des entreprises installer des machines à espresso et des tables de billard ou aménager des salles de relaxation pour leurs salariés. À mes yeux, c’est la cerise sur le gâteau. Mais encore faut-il qu’il y ait effectivement un gâteau sous la cerise! Autrement dit, cela doit servir à couronner une base de bonnes pratiques.