Article publié dans l'édition Été 2021 de Gestion


Jean Poitras, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

La résolution des conflits d’équipe représente un défi pour la plupart des gestionnaires. Dans un contexte de télétravail, la situation peut se compliquer bien davantage. Jean Poitras, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal, propose des solutions.

Quels sont les types de conflits les plus fréquents au sein des organisations?

Il existe des conflits spontanés, sans gravité et temporaires, par exemple lorsqu’une personne est de mauvaise humeur. Quant aux conflits latents, ils ont des racines plus profondes et d’origine organisationnelle, par exemple des tâches mal définies, des attentes différentes par rapport au travail à accomplir, etc.

Comment peut-on résoudre ces divers conflits?

Dans le cas des conflits spontanés, une bonne gestion suffit généralement. Il faut calmer le jeu et, si nécessaire, favoriser la présentation d’une certaine forme d’excuses. Quant aux conflits latents, on doit non seulement les gérer mais aussi les prévenir. Il faut remonter à la source du problème et effectuer les ajustements nécessaires pour éviter que cela se reproduise. En fait, lorsque des mesures préventives sont prises dès la formation des équipes de travail, ces conflits ne surviennent pas.

Cela dit, on constate que, la plupart du temps, les gestionnaires laissent les employés se débrouiller pour régler leurs conflits. Ce faisant, les problèmes perdurent et la situation se dégrade, alors que si les gestionnaires étaient intervenus et avaient montré qu’ils étaient sensibles à la question, ils auraient résolu 50 % du problème sans devoir s’interposer.

Quelles sont les principales causes des conflits latents?

Ces causes s’articulent non seulement autour des rôles et des responsabilités de chacun mais aussi autour des attentes implicites. La première catégorie de causes dépend de deux variables. Il y a tout d’abord la qualité des tâches réalisées. Ainsi, certaines personnes en donnent plus que le client en demande, alors que d’autres estiment qu’une telle perfection n’est pas nécessaire. Cela crée forcément de l’insatisfaction : l’un peut alors accuser l’autre de bâcler le travail. En revanche, si on s’était entendu dès le départ sur le degré de qualité requis au lieu de laisser les employés l’évaluer eux-mêmes, on aurait pu éviter cet écueil.    

L’autre variable en matière de rôles et de responsabilités a trait à l’organisation des tâches. Par exemple, si je dois accomplir quatre tâches et que je choisis d’effectuer la troisième en premier parce qu’elle me semble plus facile à faire, cela peut avoir des répercussions sur la chaîne de production et ralentir le travail de certains collègues qui doivent intervenir après moi dans cette chaîne. L’un accusera alors l’autre de tout retarder à cause de son inefficacité. Pour optimiser le processus, il aurait été préférable de préciser dans quel ordre les tâches devaient être réalisées.

Quant aux attentes implicites, le deuxième type de causes des conflits latents, elles ont trait à la façon dont les gens s’attendent à ce que le travail en équipe soit effectué. À cet égard, il existe une foule de variables, notamment des caractéristiques personnelles (une personne peut être extravertie, introvertie, etc.), des codes culturels et même des codes professionnels. En l’absence de consignes claires, ces différences peuvent nuire aux relations de travail et générer des frictions. Il n’est pas rare que les gens s’accusent mutuellement d’être de mauvais joueurs d’équipe.

De quelle façon un gestionnaire peut-il prévenir les conflits latents?

Dès la création d’une équipe de travail, le gestionnaire doit s’assurer de clarifier les rôles et les responsabilités de chacun, de même que les attentes. Il peut notamment édicter un code de collaboration qui précise trois ou quatre éléments essentiels, par exemple les bases d’un travail en équipe efficace, les délais de réponse aux courriels et aux questions, etc. De cette manière, on évite 80 % des conflits potentiels. Pourtant, ce processus est rarement adopté malgré son utilité évidente, car les gestionnaires pensent que ces choses vont de soi. Et c’est encore pire lorsqu’ils estiment que les membres de l’équipe se connaissent bien.

Quelles sont les difficultés particulières liées à la résolution de conflits en contexte de télétravail?

Les méthodes que nous venons d’exposer sont également applicables dans un contexte de télétravail, mais celui-ci comporte des difficultés qui lui sont propres. Un des principaux problèmes réside dans la disparition des mécanismes d’ajustement. À distance, on n’est pas en mesure de percevoir les signaux laissant deviner qu’il existe des frictions dans une équipe. Or, si un gestionnaire ignore qu’il y a un conflit, les tensions risquent de s’accentuer et la situation peut dégénérer. Déceler ces signes aurait permis d’apporter les changements nécessaires avant qu’il ne soit trop tard.

En télétravail, il est donc indispensable de s’adapter et de trouver le moyen de percevoir ces signaux à nouveau. On peut par exemple privilégier la visioconférence, qui permet de voir les réactions des gens et de faire des ajustements. On peut aussi avoir recours à une combinaison d’outils de communication : on commence par un appel téléphonique pour prendre le pouls, et si le résultat n’est pas concluant, on utilise Teams ou Zoom le jour suivant. De brefs sondages en ligne et des discussions de quelques minutes avant une rencontre sont d’autres façons de détecter et de dénouer les situations problématiques.

En cas de conflit dans un contexte de télétravail, quel est le principal défi que doivent relever les gestionnaires?

La plainte la plus fréquente entendue à propos du télétravail est qu’il a dû être instauré de façon massive et de toute urgence. On n’a donc pas eu le temps de s’organiser préalablement ni d’instituer des modes de fonctionnement précis. Plusieurs types de problèmes sont apparus : certains ont eu l’impression d’en faire plus, alors que d’autres ont réduit leur productivité pour des motifs ayant trait à la conciliation travail-famille. Cela finit par susciter un sentiment d’injustice et du mécontentement au sein des équipes. L’établissement d’un code de collaboration est donc très important.

Le défi des gestionnaires consiste alors à bien comprendre la réalité de chacun et de trouver des façons de rééquilibrer les choses, par exemple en témoignant de la reconnaissance ou en donnant une journée de congé supplémentaire aux employés qui en prennent davantage sur leurs épaules. Mais cela ne peut fonctionner que sur une base temporaire. À long terme, on devra établir des normes plus claires.