Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

On apprend de ses erreurs, dit-on. Mais encore faut-il avoir la possibilité de le faire en milieu de travail, où une personne qui gaffe s’expose souvent à des blâmes. Il y a pourtant de grandes leçons à tirer de nos erreurs et de celles des autres, constatent de nombreux chercheurs.

Les erreurs méritent de l’attention

Les erreurs sont des écarts involontaires par rapport à un objectif, à une règle, à une procédure ou à une norme. Par exemple, lorsqu’un employé utilise sans le savoir un fichier informatique obsolète pour commander des marchandises, il commet une erreur. Les erreurs se distinguent des infractions du fait qu’elles ne sont pas intentionnelles et peuvent avoir des effets positifs. Un exemple? Apprendre à agir de façon à ne plus commettre la même erreur dans le futur et éviter ainsi d’éprouver un sentiment de honte ou de culpabilité.

En effet, quand un travailleur commet une erreur en exécutant ses tâches, cette maladresse peut devenir une source d’apprentissage si trois conditions sont réunies:

  1. Lorsqu’il est personnellement responsable de la bourde;
  2. Lorsque ce manquement entraîne de lourdes conséquences pour l’organisation; 
  3. Lorsque celle-ci est déjà dotée d’une forte culture de gestion des erreurs, c’est-à-dire d’une volonté ferme de les percevoir non pas comme de simples faux pas mais comme des occasions d’apprendre.

Ce sont les principales conclusions d’une étude1 lors de laquelle des chercheurs ont analysé les manières dont certains travailleurs américains, hongrois et allemands tirent des leçons de leurs erreurs.

Cette recherche soutient que pour devenir une source d’apprentissage, une erreur doit avant tout susciter une attention accrue de la part du personnel et des dirigeants du fait de sa gravité pour l’organisation. En vertu de cette logique, on apprendrait davantage de ses propres erreurs que de celles commises par d’autres personnes, puisqu’il est plus facile d’en faire abstraction dans ce dernier cas.

Cependant, comme la plupart des erreurs ne mènent pas à la catastrophe, il est important que les organisations focalisent l’attention de leurs équipes sur tous les types d’erreurs, même celles dont les conséquences sont limitées, afin de maximiser le potentiel d’apprentissage.

Les gestionnaires peuvent aussi organiser des réunions au cours desquelles on discutera des erreurs commises par certains membres de l’équipe. Ainsi, l’organisation dans son ensemble tire des enseignements, ce qui favorise le développement d’une culture de gestion des erreurs qui, au terme de cette étude, s’est d’ailleurs révélée plus fréquente aux États-Unis qu’en Hongrie et en Allemagne.

Comment peut-on apprendre de nos erreurs?

Puisqu’on associe souvent les erreurs à de la faiblesse et à la possibilité d’être blâmé, il est naturel de chercher à les dissimuler. Trois chercheurs néerlandais2 ont voulu déterminer comment les entreprises peuvent freiner cet instinct d’autoprotection en encourageant plutôt leurs troupes à comprendre les causes de leurs erreurs et à apporter des changements pour qu’elles ne se reproduisent pas. En effet, en l’absence d’un tel apprentissage, la viabilité des organisations est menacée par des cascades d’erreurs potentielles et par l’acquisition de connaissances dysfonctionnelles au sein des équipes.

Après avoir sondé 150 auditeurs en début de carrière à propos de la gestion des erreurs dans leur organisation, les chercheurs ont constaté que le fait, pour une entreprise, de déclarer qu’elle valorise l’apprentissage à partir des erreurs peut être insuffisant pour dissuader les membres du personnel de les dissimuler. Pourquoi? Parce qu’il doit y avoir cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait, c’est-à-dire entre les valeurs proclamées (ce que les gens et les entreprises communiquent explicitement) et les valeurs adoptées (celles qui s’expriment réellement dans les comportements).

Par exemple, un responsable d’audit peut dire à son équipe qu’il est important d’apprendre des erreurs commises mais les sanctionner malgré tout. Cette inadéquation peut susciter du désenchantement chez les employés et donc les amener à tenter de dissimuler leurs gaffes. Ainsi, la valorisation de l’apprentissage des erreurs doit être tangible dans le comportement des superviseurs et des collègues, notamment des façons suivantes: discussions sur les expériences personnelles, soutien des collègues, publication des connaissances acquises, valorisation effective des erreurs en tant qu’occasions d’apprentissage et responsabilisation des travailleurs.

Au sein des organisations, on peut aussi soutenir l’apprentissage continu des employés en mettant des ressources à leur disposition, notamment du temps réservé à l’analyse des erreurs, un accès à des collègues compétents pour obtenir de l’aide ainsi qu’une infrastructure qui prend en charge la diffusion des connaissances tout au long du processus.

Les dessous du droit à l’erreur

Deux chercheurs français3 ont pour leur part analysé les façons dont une organisation peut passer d’une culture de prévention des erreurs (où les gens sont réprimandés pour leurs bévues) à une culture de gestion des erreurs (où les gaffes sont perçues comme une source d’apprentissage susceptible de favoriser l’innovation). Ils se sont donc penchés sur le cas d’une grande compagnie d’assurance française qui a formellement introduit un droit à l’erreur dans sa politique de gestion de ressources humaines.

Il ressort entre autres de cette étude qu’une telle transition est un processus long et ardu, surtout dans un pays comme la France, où l’erreur est jugée inacceptable dans la culture nationale. En effet, même si plusieurs dirigeants de cette compagnie ont fait la promotion d’une certaine tolérance à l’erreur, des employés ont continué à percevoir de façon négative le fait de commettre des erreurs. Ainsi, l’instauration d’un climat de confiance ne suffit pas à changer du jour au lendemain des mentalités bien ancrées.

Cette étude a aussi révélé que les employés sont plus à l’aise de discuter de leurs erreurs avec leurs patrons qu’avec leurs collègues quand ils ne craignent pas de subir des sanctions. Toutefois, un fait demeure: les gens n’aiment pas que les autres voient leurs faiblesses et encore moins que celles-ci soient célébrées! Ainsi, la tolérance à l’erreur peut inquiéter les employés au lieu de les rassurer.

Cette recherche montre également que la perception de la tolérance à l’erreur varie selon que la faute d’une personne résulte d’une initiative innovatrice qui a échoué ou d’une faute d’inattention commise lors de l’exécution d’une tâche quotidienne. Si la première est bien acceptée par les salariés, la seconde ne l’est pas, même s’il s’agit du type d’erreur le plus fréquent!

Les chercheurs concluent que pour réussir la transition vers une culture de gestion des erreurs, l’idée consiste non pas à inciter les salariés à commettre des erreurs mais à stimuler l’innovation de manière à contribuer au développement de l’organisation avec l’aide de gestionnaires qui ne craignent pas de révéler leurs propres faiblesses et de faire état de leurs apprentissages au jour le jour.

Cinq bonnes pratiques

À la suite d’une enquête menée auprès d’employés de 13 entreprises financières des Pays-Bas, des chercheurs4 ont défini cinq pratiques essentielles pour créer une culture de gestion des erreurs au sein d’une organisation:

1. La haute direction doit promouvoir sans détour une culture d’entreprise où les membres du personnel ne doivent pas craindre d’admettre leurs erreurs. Elle doit donner l’exemple: le fait d’entendre un PDG reconnaître avec franchise qu’il a fait fausse route prouve que même des individus très performants peuvent se tromper et en tirer des leçons.

2. Les gestionnaires doivent créer un environnement de travail où les employés se sentent motivés et écoutés. Les travailleurs ne doivent pas craindre d’être pénalisés s’ils admettent avoir fait une erreur, par exemple ne pas être retenu comme candidat pour une promotion ou être privé d’un boni.

3. La structure et la culture de l’organisation doivent être harmonisées de manière à envoyer un message cohérent aux troupes. Ainsi, les gestionnaires qui essaient de valoriser l’aveu des erreurs mais qui omettent de mettre en place un système efficace pour les signaler au quotidien ont peu de chances d’atteindre leur objectif.

4. Très souvent, la cause première d’une erreur n’est pas la personne qui l’a commise mais le système où cette personne doit fonctionner. Ainsi, au lieu de châtier le coupable, les dirigeants de l’organisation devraient plutôt procéder à une analyse approfondie des raisons pour lesquelles cette erreur s’est produite et corriger ce qui cloche.

5. Enfin, la mise en valeur des employés qui admettent courageusement leurs erreurs et la diffusion bienveillante de leur histoire dans l’ensemble de l’organisation peut certainement motiver les membres du personnel à devenir des vecteurs de changement et de progrès.


Notes

1. Horvath, D., Klamar, A., Keith, N., et Frese, M., «Are all errors created equal? Testing the effect of error characteristics on learning from errors in three countries», European Journal of Work and Organizational Psychology, vol. 30, n° 1, janvier 2021, p. 110-124.

2. Grohnert, T., Meuwissen, R. H. G., et Gijselaers, W. H., «Valuing errors for learning: Espouse or enact?», Journal of Workplace Learning, vol. 29, n° 5, juillet 2017, p. 394-408.

3. Cusin, J., et Goujon- Belghit, A., «Error reframing: studying the promotion of an error management culture», European Journal of Work and Organizational Psychology, vol. 28, n° 4, mai 2019, p. 510-524.

4.Van Steenbergen, E., van Dijk, D., Christensen, C., Coffeng, T., et Ellemers, N., «Learn to build an error management culture», Journal of Financial Regulation and Compliance, vol. 28, n° 1, octobre 2019, p. 57-73.