Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

Les crises organisationnelles peuvent survenir en tout temps et de bien des manières. Trois études internationales explorent certaines dimensions de la gestion de crise ainsi que leurs conséquences pour les entreprises, les gestionnaires et les employés.

Ce qui stresse les pros des crises

Alors que bien des gestionnaires doivent s’adapter en catastrophe lorsqu’une crise survient, d’autres font plutôt leur spécialité de ces bouleversements, leur travail consistant justement à exercer un leadership en temps de crise. En adoptant cette approche, ils parviennent « à diriger les membres d’un groupe dans une situation soudaine et largement imprévue, intensément négative et épuisante sur le plan émotionnel1 ».

 

Des chercheurs2 ont donc décidé d’étudier les facteurs de stress qui affectent ces pros des crises. Ils se sont entretenus avec 31 superviseurs stratégiques, tactiques ou opérationnels œuvrant dans diverses organisations (Croix- Rouge, corps de pompiers, autorités gouvernementales, forces armées, etc.), et ce, dans cinq pays européens (Allemagne, Espagne, Luxembourg, Lituanie et Autriche). En plus d’examiner divers facteurs de stress, ils se sont intéressés aux perceptions de ces gestionnaires au regard de ce qui leur est demandé, du contrôle qu’ils exercent (ou non) et du soutien dont ils bénéficient. Les chercheurs se sont aussi penchés sur les façons dont ces gestionnaires composent avec ce stress.

L’étude révèle notamment que la responsabilité des décisions de grande portée, les contacts avec les personnes s’étant relevées d’une catastrophe, la justification des échecs et les rapports avec les médias sont des facteurs de stress importants pour ces gestionnaires. Si les niveaux de stress les plus élevés surviennent peu de temps avant et après le déclenchement d’une alerte, ceux-ci fluctuent ensuite selon le type de tâches et de fonctions qui incombent à ces gestionnaires, l’information disponible, la durée de la mission et le nombre de personnes affectées par la crise.

Alors que les personnes interrogées ont souligné la possibilité limitée de maîtriser pleinement une situation délicate, elles ont tout de même affirmé avoir davantage de contrôle lorsqu’elles disposent de ressources humaines suffisantes et compétentes pour faire face à une crise. D’ailleurs, le soutien organisationnel et l’appui des pairs jouent un rôle crucial dans l’atténuation du stress subi par ces gestionnaires. Pour réduire leur stress, ils ont dit faire du sport, prendre du recul par rapport à la crise en s’accordant des pauses salutaires, chercher du soutien, parler à leurs proches, pratiquer des techniques de respiration et de relaxation ou se distraire au moyen d’activités diverses.

Enfin, des formations en matière de gestion du stress sont jugées essentielles pour assurer la gestion efficace des crises. Les chercheurs recommandent donc d’inclure certains éléments dans la formation des gestionnaires de crise, notamment ceux-ci : sensibilisation aux facteurs de stress potentiels lors des interventions en cas de catastrophe, amélioration de leur faculté d’adaptation et moyens de reconnaissance des symptômes de stress, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou d’autrui.

Les employés, ces grands oubliés

Lorsqu’une organisation est soudainement aux prises avec une crise qui mine sa réputation, voire qui menace sa survie, les cadres supérieurs utilisent une variété de stratégies destinées à gérer la façon dont les parties prenantes externes (clients, fournisseurs, etc.) perçoivent la situation. Résultat? Ils négligent par ricochet de tenir compte de l’avis de leurs propres employés, dont ils sous-évaluent la contribution.

Une étude3 a donc été menée auprès de trois organisations australiennes (une équipe de sport professionnelle, un média et un établissement d’enseignement) qui ont récemment traversé une crise d’envergure afin de sonder les répercussions émotionnelles et les perceptions chez les employés.

Cette recherche nous apprend tout d’abord que les cadres supérieurs ont recours non seulement à des stratégies de déni, de fuite devant les responsabilités et de réduction du caractère traumatisant des crises mais aussi à des mesures correctives pour gérer les impressions de leurs employés en ce qui a trait à la crise. On note ensuite qu’une crise organisationnelle suscite des émotions comme la colère, la peur, la honte, la dépression et le choc nerveux chez les employés et que ces réactions émotionnelles dépendent entre autres des stratégies de gestion des impressions utilisées par les cadres supérieurs ainsi que de la pertinence de ces méthodes aux yeux des employés. Enfin, les chercheurs concluent qu’une mauvaise gestion des impressions lors d’une crise peut entraîner la démission ou l’absentéisme de certains employés.

Les données recueillies mettent aussi en lumière deux tensions qui apparaissent dans la gestion des employés pendant une crise : le maintien ou le changement des règles en vigueur et la manière dont les gestionnaires gèrent les attentes des employés. Enfin, l’harmonisation des paroles et des gestes concrets des cadres s’avère cruciale pour accroître la confiance de leurs employés. Le travail de planification et de prévention devrait également inclure des directives précises quant à la manière de reconnaître et de gérer les émotions individuelles et collectives des employés pendant une crise organisationnelle.

Gare au leadership destructeur!

Afin d’étudier le leadership destructeur dans un contexte de gestion de crise, une chercheuse a mené une enquête4 auprès de 21 gestionnaires impliqués dans des situations d’urgence en Suède (accidents graves, attaques terroristes, feux de forêt, etc.) et a relevé sept comportements qui en découlent.


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Considérant ce type de leadership comme une attitude systématique et fréquente jugée destructrice par les subordonnés, la chercheuse a d’abord relevé quatre comportements liés à la tâche même du leader, c’est-à-dire qui affectent la façon dont celui-ci gère une crise :

  1. Le chef exerce un contrôle excessif. Par exemple, il prend en charge les tâches des autres, ne les informe pas et ne leur reconnaît aucun mérite. Les subordonnés se sentent alors négligés, car ils s’attendaient à ce que leur supérieur les laisse exercer leurs responsabilités.
  2. Il évite d’assumer toute responsabilité. Le leader tend à se désengager et à déléguer des responsabilités. Il s’abstient aussi de prendre des décisions ou il met trop de temps pour le faire.
  3. Il cultive l’ambiguïté. Les communications du gestionnaire avec son équipe ne sont pas claires. Il filtre l’information, ce qui peut conduire à de nombreuses interprétations et à l’éparpillement du travail de ses subordonnés.
  4. Il est stressé et perd le contrôle. Incapable de composer avec la tension, le leader tend à exagérer l’ampleur de la crise, le tout ponctué de sautes d’humeur.

Trois autres comportements de leadership destructeur, cette fois-ci liés aux relations avec le personnel, ont aussi été relevés :

  1. Il est égocentrique. Le leader prend des décisions qui lui profitent ou qui profitent à son équipe plutôt que de tenter de résoudre la crise. Il peut aussi nuire au travail d’autrui en s’accordant tout le mérite ou en contrôlant l’information, par exemple.
  2. Il menace et punit. Le gestionnaire adopte des comportements désagréables, hargneux, voire carrément agressifs avec ses subordonnés et ses collaborateurs. Il les punit lorsqu’ils ne répondent pas aux attentes ou commettent des erreurs.
  3. Il ne fait montre d’aucun respect ni de bienveillance. Le leader est réticent à coopérer et à tenir compte des besoins d’autrui.

Pour conclure, la chercheuse souligne que les employés perçoivent le leadership de leur patron comme étant destructeur si celui-ci gêne la résolution d’une crise, empêche les employés d’accomplir leurs tâches ou nuit à leur bien-être au travail.


Notes

1 DuBrin, A. J. (dir.), Ha dbook of Research on Crisis Leadership in Organizations, Northampton (MA), Edward Elgar Publishing, 2013, 384 pages. La traduction est de l’auteure.

2 Haus, M., Adler, C., Hagl, M., Maragkos, M., et Duschek, S., « Stress and stress management in European crisis managers », International Journal of Emergency Services, vol. 5, n° 1, mai 2016, p. 66-81.

3 Ayoko, O. B., Ang, A. A., et Parry, K., « Organizational crisis: emotions and contradictions in managing internal stakeholders », International Journal of Conflict Management, vol. 28, n° 5, août 2017, p. 617-643.

4 Brandebo, M. F., « Destructive leadership in crisis management », Leadership & Organization Development Journal, vol. 41, n° 4, mai 2020, p. 567-580.