Qu’est-ce qui fait qu’un client s’estime satisfait ou pas? Les exigences ont évolué au cours des dernières années et la pandémie a aussi accéléré certaines tendances. Sylvain Sénécal, professeur titulaire au Département de marketing, et Jacques Nantel[1], chercheur, auteur et professeur émérite à HEC Montréal, font le point.

Comment peut-on définir les attentes actuelles de la clientèle?

Jacques Nantel : On constate que les consommateurs ont des exigences asymétriques, selon qu’ils achètent dans les commerces à grande surface ou dans des magasins spécialisés. Dans la grande distribution, les clients ne s’attendent pas à vivre une expérience ou à recevoir un service personnalisé : ils veulent que le produit soit disponible, que les prix soient bas, et que tout se déroule facilement et rapidement, y compris la sortie de caisse. En fait, ils souhaitent retrouver la même simplicité que lorsqu’ils effectuent des achats en ligne. À cet égard, le commerce électronique a exercé une influence non négligeable. Entrer dans un magasin à grande surface aujourd’hui équivaut à visiter un site Internet en trois dimensions. La seule différence réside dans l’immédiateté, dans un accès instantané aux produits recherchés. Dans ce cas de figure, la qualité du service à la clientèle se situe donc essentiellement sur le plan de l’efficacité, y compris en matière de retours de marchandises et de remboursements.

C’est pourquoi, à l’avenir, ces magasins auront sans doute moins de commis et davantage de technologies, grâce à l’affichage numérique des prix et des stocks, par exemple. Pensons aussi au magasinage sans caisse enregistreuse, comme c’est déjà le cas dans les magasins Amazon Go.

À l’autre bout du spectre, on trouve les plus petites boutiques spécialisées, où l’on mise sur l’expérientiel. Il y aura toujours un aspect hédoniste à la consommation et c’est dans ce type de commerces que la clientèle y trouve son compte. Le produit et le service sont valorisés. On peut toucher, essayer des vêtements ou des chaussures, goûter des aliments, feuilleter des livres… Les employés connaissent bien leur marchandise et ils aiment en parler. Parce que les stocks sont bas, c’est aussi un concept très agile et flexible qui évolue et s’adapte en fonction des besoins, de la demande et des saisons.

Sylvain Sénécal : Les commerçants doivent demeurer à l’écoute des exigences de la clientèle et se montrer proactifs. Par exemple, dans un magasin où le consommateur s’attend à vivre une expérience, il faut savoir se démarquer et lui offrir une valeur ajoutée pour lui donner envie de revenir. Si le service est médiocre, le client ira acheter chez un concurrent ou préférera commander en ligne.

En revanche, une personne ne se rend pas dans une très grande surface ou dans un entrepôt comme Costco pour la décoration ou le service. Elle ne va pas y chercher des conseils d’expert, mais des bas prix. En ce sens, ses attentes sont bien calibrées ; elle sait exactement ce qu’elle va y trouver. Costco l’a bien compris et a su se positionner selon certains avantages spécifiques, notamment des prix compétitifs, ainsi que des retours de produits et des remboursements faciles.

Les exigences de la clientèle varient aussi en fonction du canal de distribution. Par exemple, s’il se rend dans une boutique et que le produit recherché n’est pas en stock, le consommateur sera contrarié, mais se montrera relativement compréhensif. C’est l’inverse pour le commerce en ligne : si un produit n’est pas disponible chez un détaillant sur Internet, la personne éprouvera davantage de mécontentement.

Les canaux de distribution se sont également diversifiés. Est-ce que cela a un effet sur la satisfaction de la clientèle?

S. S : Effectivement, les clients nourrissent des attentes grandissantes à l’égard du commerce omnicanal. Désormais, un achat peut se dérouler par le biais de différents canaux. Cela signifie qu’on peut faire mettre de côté un article en ligne et aller le chercher en magasin ou en bordure de rue, ou encore, se le faire livrer à domicile. On peut aussi acheter un produit sur le site Internet d’un détaillant, puis le retourner en boutique ou le renvoyer par un service de messagerie en vue d’un échange ou d’un remboursement. Les détaillants doivent donc faire preuve de beaucoup de souplesse. Notons que les exigences de la clientèle en matière de service omnicanal se sont accrues depuis la pandémie.

J. N. : Le service à la clientèle omnicanal est devenu très important aux yeux des consommateurs. En fait, les deux univers, celui des magasins en briques et en mortier et celui du commerce en ligne, sont étroitement liés, et on ne peut pas les séparer l’un de l’autre.

Le facteur culturel entre-t-il aussi en ligne de compte lorsqu’il est question de satisfaction de la clientèle?

S. S. : Les attentes peuvent varier d’une culture à une autre. En Asie, par exemple, assurer un excellent service à la clientèle est crucial et les employés doivent satisfaire les exigences des consommateurs à cet égard.

Cependant, au sein d’une même culture, l’appartenance à tel ou tel segment sociodémographique peut également jouer. Par exemple, une personne qui effectue toujours ses achats en magasin aura forcément des attentes différentes de celle qui fait la plupart de ses emplettes en ligne. C’est pourquoi, en marketing, on définit des personas aux caractéristiques spécifiques, chacune représentant un segment de marché et un groupe cible différent.

J. N. : Le facteur culturel ne fait pas uniquement référence au pays d’origine : il faut aussi tenir compte de l’environnement commercial. Dans certaines cultures, par exemple, on négocie systématiquement quand on achète un produit, ce qui n’est généralement pas le cas au Québec. Cependant, dans des contextes spécifiques – une brocante, un marché public –, il est bien vu de négocier, même chez nous. Ces contextes se prêtent à l’interaction humaine. En somme, les facteurs culturels conditionnent les rapports et les relations sociales.

 

Article publié dans l'édition Été 2022 de Gestion


Note

[1] Jacques Nantel est l’auteur de l’ouvrage S’en sortir! – Notre consommation entre pandémie et crise climatique, publié en février 2022.