Le monde du travail change et les rapports d’autorité aussi. Le leadership participatif prend peu à peu le pas sur des relations plus traditionnelles de type vertical. Pierre Lainey, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal, fait le point sur cette tendance.

Les rapports d’autorité ont-ils évolué avec le temps?

Pierre Lainey : On remarque que le leadership s’est transformé parce que le contexte des organisations a lui aussi évolué. Ainsi, dans les années 1950, par exemple, exercer un leadership participatif était difficile, car les individus ne possédaient pas encore les compétences nécessaires pour participer aux décisions. Maintenant, la main-d’oeuvre est plus instruite, plus scolarisée et mieux formée. Un patron qui refuserait de mettre en oeuvre ce type de leadership se ferait critiquer et montrer du doigt. Par conséquent, les personnes qui occupent des postes d’autorité doivent revoir leur façon d’exercer celle-ci.

Est-ce à dire que le rapport d’autorité traditionnel est appelé à disparaître?

Dans un rapport d’autorité traditionnel, les subordonnés sont obligés de faire ce que le patron a décidé. Aujourd’hui, les choses ont changé et il faut plutôt se montrer bienveillant, faire preuve d’ouverture lorsque des voix différentes ou discordantes s’élèvent.

Cela dit, dans certaines circonstances, lorsque les autres formes de leadership ont échoué, le rapport d’autorité traditionnel peut encore avoir son utilité. Quand il règne une grande incertitude, comme ce fut le cas pendant la pandémie, notamment, beaucoup se sont tournés vers les dirigeants et leur ont demandé quelle était la marche à suivre. Nous nous trouvions alors dans un contexte très particulier où l’on attendait des leaders qu’ils exercent cette autorité.

Autre cas de figure où cela peut être pertinent : quand il existe au sein de l’organisation une incompatibilité entre les objectifs de certaines personnes ou lorsque la cohésion est difficile à atteindre au sein d’une équipe à cause du comportement de certains individus. Dans ces circonstances, l’autorité du patron peut permettre de dénouer ces situations.

Il se peut aussi que des employés aient des attentes bien précises et préfèrent que le patron fasse preuve d’autorité, parce que cela les rassure et leur permet d’orienter leurs actions. Enfin, lorsque les tâches sont circonscrites et que des impératifs de production sont clairement définis, les employés pourraient accepter ce rapport d’autorité s’il permet de maintenir la cadence au travail.

Les nouvelles générations sur le marché du travail ont-elles une vision différente des rapports d’autorité?

Lorsqu’on pose cette question à des gestionnaires, la réponse est unanime : il y a une résistance à l’autorité! Mais ce n’est pas tant l’autorité que la façon dont elle est mise en oeuvre que contestent les membres des nouvelles générations. Pour éviter la contestation, les gestionnaires devront donc adopter une posture d’écoute et établir un dialogue. Il est également souhaitable de mettre en place un leadership axé sur l’ouverture et la bienveillance ainsi que sur le partage du pouvoir.

Cela dit, ce n’est pas uniquement une question de générations, car, dans certaines cultures, l’autorité constitue une valeur importante et s’exerce différemment de ce qu’on remarque ici. Par exemple, dans certains pays européens comme la France et l’Allemagne, le lien d’autorité du patron est respecté, et on verrait mal un employé contester ouvertement les décisions de ce dernier. Inversement, au Québec, où la distance hiérarchique est plus faible, on n’hésite pas à reprocher au patron ses décisions et à chercher à entretenir avec lui une forme de proximité, ce qui serait inconcevable dans d’autres pays où la hiérarchisation est plus grande.

De quelle façon les rapports d’autorité au travail influent-ils sur la dynamique des équipes?

Pour qu’elles puissent être efficaces et s’autoréguler, les équipes doivent être autonomes et disposer d’une certaine latitude. Toutefois, au sein d’une équipe, une forme de rapport d’autorité peut finir par s’imposer, car certains membres voudront mener.

Lorsque l’équipe est mature, le leadership peut même passer de l’un à l’autre en fonction des projets, de façon partagée. Dans ce cas, les autres reconnaissent que la personne qui assume le leadership est la mieux placée pour le faire. Dès lors, on n’aura pas besoin d’autorité externe, puisque le leadership aura émergé directement de l’interne.

Quelles sont les tendances émergentes et que peut-on anticiper pour l’avenir?

Je crois qu’on aura toujours besoin d’un leader, c’est-à-dire d’un individu qui pourra prendre les rênes lorsqu’on vit beaucoup d’incertitude dans une organisation et que les équipes ont besoin d’être rassurées. Cela permet également de mettre en place une certaine imputabilité. Cette personne devra se montrer ferme sur les objectifs, mais en même temps souple sur les moyens.

Par conséquent, je ne pense pas que le rapport d’autorité soit amené à disparaître dans l’avenir : il va simplement s’exprimer autrement. On valorisera davantage la bienveillance, l’ouverture, et on permettra aux membres des équipes d’exercer le leadership chacun à leur façon.

Toutefois, tant qu’on aura des organigrammes dans les entreprises, il y aura toujours des leaders. Leur rôle a toujours son importance.

Article publié dans l'édition Printemps 2023 de Gestion